Dès lors il se montra prudent. Il lut Proust en cachette, rasa les murs pour se rendre au musée, mit le son en sourdine quand il regardait Arte ou écoutait France Culture. Il se désabonna de Télérama, brûla tous les livres de sa bibliothèque qui traitaient de philosophie. Et n’utilisa plus le subjonctif .
Pour assurer sa tranquillité et faire vraiment « peuple », puisque le mot était furieusement à la mode, il donna le change en disant partout qu’il adorait l’humour de Jean-marie Bigard et détestait l’art moderne. Il fredonna les chansons de Patrick Sébastien. Il s’inscrivit dans les courses dominicales de caisses à savon et même parfois participa, lui qui n’aimait pas les oeufs, à la confection festive d’omelettes géantes non pour figurer dans un quelconque livre Guinness des records, mais pour entrer, par la grande porte, dans la légitimité protectrice des masses populaires.
Et quand autour de lui, on affirmait que l’immigration était la cause du chômage et de la délinquance, que les blancs devaient commander et les noirs obéir, que les femmes étaient à leur juste place devant leurs fourneaux, qu’à l’école les profs enseignaient la théorie du genre, que Depardieu était le héros génial d’une épopée fiscale, que c’était beaucoup mieux avant, que le soleil tournait autour de la terre et que un et un ne faisaient pas deux… Il ne protestait plus, ne disait mot, faisait semblant de ne pas entendre, baissait la tête. Honteux.