Noémie, petite élève de primaire, interroge, "le renard a mangé les poules", on ne fait pas l'accord du participe passé. Mais si ce sont "les poules que le renard a mangées", on fait l'accord! Pourquoi? C'est idiot! Dans les deux cas, ce sont bien ces pauvres poules qui ont été mangées!
Parce que c'est comme ça, répond l'académicien, quand les poules sont devant, on accorde. Et quand les poules sont derrière, on n'accorde pas. Un point c'est tout. C'est la règle. Et la règle, c'est la règle. Elle est faite pour être appliquée!
Noémie s'amuse alors tout haut que le simple déplacement de la poule dans la phrase puisse modifier l'accord du participe passé construit avec avoir… Noémie s'étonne aussi qu'une réformette vieille de 26 ans (ndlr: autant dire le Moyen Age pour Noémie) visant à remettre la dite poule à sa juste place puisse susciter chez des gens pourtant réputés sages une telle hostilité…
Notre académicien explose, - Noémie, ne te fais pas plus bête que tu ne l'es! Une règle n'a pas besoin d'avoir du sens pour être appliquée. Au contraire, je dirais même que plus une règle est absurde, plus il est nécessaire de la faire appliquer! Avec une règle de bon sens , ce serait trop simple!C'est comme un radar planqué en rase campagne sur une route bien large et bien droite, ça n'évite pas les accidents, ça ne sert en rien la sécurité, mais ça permet de piéger beaucoup d'automobilistes et de mettre des contraventions! Et avec notre bonne vieille dictée, 5 fautes, zéro, on en attrape beaucoup de contrevenants! Le plus important, tu vois Noémie, ce n'est pas d'apprendre aux élèves la langue, mais c'est de leur apprendre à obéir sans se poser de questions et à devenir ainsi de bons citoyens! Et quoi de mieux pour leur apprendre à obéir que de les habituer à respecter des règles absurdes! Et quoi de mieux que l'orthographe pour multiplier les règles absurdes! L'autorité du Maître, et par delà celle des Institutions et de l'Etat, se construit sur la soumission de l'élève à des règles absurdes. Toucher à notre orthogaphe, Noémie, c'est saper les fondements de notre société!
Noémie n'écoute plus, elle se répète, comme antidote, ce bout de phrase de Pessoa: - "…dire ce que l'on éprouve exactement comme on l'éprouve - clairement si c'est clair; obscurément si c'est obscur; confusément si c'est confus; et bien comprendre que la grammaire n'est jamais qu'un outil, et non pas une loi. "