Comment les jeunes veillent sur une planète qui se réchauffe
Alfredo Pena-Vega
Enseignant chercheur au Laboratoire d’Anthropologie Politique
– EHESS/CNRS, Paris – Directeur scientifique du Global Youth Climate Pact
Un outil d’éveil pour le futur
« Comment les jeunes veillent sur une une planète que se réchauffe », c’est en ces termes que je peux qualifier la contribution des jeunes du Global Youth Climate Pact au Manifeste de Belém, élaboré à l’occasion de leur participation à la COP30. Alors même que les négociations de Belém n’ont pas permis de mettre fin à l’ère des combustibles fossiles — en grande partie en raison de l’influence déterminante de puissants lobbys, notamment celui de l’Arabie Saoudite et de ses alliés — les États parties ne sont pas non plus parvenus à concrétiser l’un des engagements porteurs d’espoir formulés en Amazonie : la mise en œuvre d’un objectif contraignant de lutte contre la déforestation.
Parmi les milliers de voix exhortant les diplomates du climat à « faire preuve de courage », celles des jeunes ont résonné avec une force singulière, portées par une conviction précise : la crise climatique est simultanément une crise économique, sociale, éthique et éducative. Sécheresses, migrations forcées, destruction d’emplois et hausse des prix des denrées alimentaires fragilisent déjà les fondements du bien-être mondial. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une urgence environnementale, mais bien d’une crise de civilisation.
Tout en reconnaissant le consensus scientifique sur l’urgence d’agir, ces jeunes observent avec inquiétude la lenteur de la mise en œuvre des politiques climatiques. Ils constatent un monde de plus en plus fragmenté, des sociétés plus divisées que jamais et, surtout, un recul préoccupant des préoccupations écologiques et climatiques. Dans un contexte d’incertitude généralisée, les membres du Global Youth Climate Pact questionnent le manque d’ambition politique, la lenteur des gouvernements et leur incapacité à répondre à l’ampleur de la situation. Une telle passivité ne fait, selon eux, qu’aggraver les dommages et repousser des décisions dont le report n’est désormais plus soutenable.
Ils affirment avec clarté qu’aucun accord climatique ne pourra être pleinement efficace sans une transformation culturelle et éducative profonde, capable de renouveler les valeurs, les pratiques et les modèles économiques qui rendent la vie possible.
Les jeunes engagés dans ce programme sont animés par la conviction d’appartenir à un « pacte » de coopération établi il y a une décennie entre des scientifiques issus des sciences et des humanités, des enseignants et des acteurs de la jeunesse (Pena-Vega, 2021). L’objectif de ce pacte n’est pas de se cantonner à des débats généraux sur les fondements de la crise climatique. Il consiste à offrir un cadre renouvelé d’intelligibilité, ainsi qu’un guide pratique d’action, permettant aux jeunes d’élaborer des projets concrets pour affronter les réalités de la nouvelle ère climatique dans leurs territoires respectifs (Pena-Vega, Pinheiro do Nascimento, 2025).
Les arguments en faveur d’une « démocratie cognitive »
L’appel à une démocratie cognitive n’apparaît pas explicitement dans le Manifeste de Belém ; il s’impose néanmoins comme une évidence. Les jeunes réclament une éducation capable de développer l’esprit critique et la capacité d’auto-examen, compétences devenues cruciales à l’ère d’une réalité climatique nouvelle et déstabilisante. Seule une démocratie cognitive peut cultiver une conscience de l’interdépendance et de la responsabilité planétaire, fondements indispensables de toute économie solidaire et régénérative. Comme l’affirme Morin, il est en effet impossible « de démocratiser un savoir cloisonné et ésotérisé par nature » (Morin, 2008).
Aujourd’hui, il devient toutefois plus envisageable de promouvoir un mode de pensée capable de relever le défi majeur qui nous enferme dans l’alternative suivante : soit subir le déferlement d’informations qui nous parviennent en cascade via les réseaux numériques, soit nous en remettre à des systèmes de pensée ne retenant des informations que celles qui les confirment ou leur sont intelligibles, rejetant comme illusion ou erreur tout ce qui les contredit ou leur demeure incompréhensible. Dans cette perspective, les jeunes ont besoin d’outils cognitifs, et non d’une simple accumulation de données creuses.
Les systèmes éducatifs doivent ainsi favoriser le développement de compétences du XXIᵉ siècle : une pensée complexe (« educa-xité »), collaborative, créative et ancrée dans un leadership éthique. Il s’agit d’une éducation dont les savoirs transmis soient enracinés dans notre culture et dans notre relation à la nature, permettant de comprendre le monde à partir d’idées claires et distinctes. À défaut, elle ne ferait qu’accentuer les inégalités déjà existantes.
Seule une éducation véritablement transformatrice peut garantir la participation des communautés les plus vulnérables à la transition écologique et leur permettre d’en bénéficier, contribuant par là même à réduire les inégalités sociales et économiques. Pourtant, les écarts entre les connaissances produites par les sciences du climat et leur diffusion auprès du public (van Eck, 2023), en particulier des jeunes, demeurent considérables (Pena-Vega, Siqueira Santos, 2025).
Une véritable démocratie cognitive en matière d’éducation au climat doit bénéficier, au même titre que la mitigation, l’adaptation ou la financiarisation des émissions de CO₂, d’un espace de discussion et de négociation. L’éducation doit ainsi devenir un axe stratégique des prochaines COP. Sans éducation, il n’y a pas de transformation : le savoir génère argumentation, conscience et mobilisation. Actuellement, l’éducation de qualité demeure inéquitable et l’accès à l’information reste limité. D’où la nécessité d’engagements financiers pour garantir un système éducatif universel et transformatif. Ces financements permettront de former des enseignants et de produire des ressources pédagogiques durables, avec une attention particulière pour les pays du Sud.
L’expérience récente du Brésil montre que des investissements ponctuels, comme ceux réalisés pour la COP30 à Belém, ne se maintiennent pas toujours dans la durée. La déforestation, l’insécurité alimentaire, les enjeux de santé — en particulier la santé mentale des jeunes — ainsi que la faible protection des populations autochtones persistent. Le manque de financements adéquats affecte également l’agriculture et les activités économiques respectueuses de l’environnement, amplifiant les pertes dans un contexte d’événements climatiques de plus en plus intenses.
**
Les événements climatiques extrêmes, conjugués aux incertitudes liées à l’entrée dans une nouvelle ère climatique, entraînent fréquemment un déficit de compréhension ainsi qu’un manque d’explications scientifiquement accessibles pour un public non spécialisé. Par ailleurs, de nombreux enseignants soulignent la difficulté de disposer d’un modèle éducatif sur le changement climatique qui soit transposable et adaptable aux différents contextes locaux. Ce déficit d’information se manifeste particulièrement à propos des notions fondamentales, donnant l’impression de ne pas savoir par où commencer dans la transmission des connaissances.
En matière de transmission des savoirs, un élément particulièrement préoccupant réside dans le temps extrêmement limité consacré à l’enseignement du changement climatique — à peine une à deux heures en moyenne. Ces données qualifient la qualité de l’éducation climatique dispensée aux élèves, alors même qu’une majorité de jeunes considèrent ce phénomène comme un enjeu majeur. Cela laisse supposer que la manière dont les élèves reçoivent une formation sur le changement climatique dépend désormais d’un facteur nouveau : l’accélération des phénomènes extrêmes dans une nouvelle ère climatique. Or, ce facteur, d’une complexité considérable du point de vue de la compréhension, ne peut être appréhendé sans remettre en cause les approches pédagogiques conventionnelles.
La démarche de ce Manifeste aboutit à la création d’un outil d’éveil intellectuel et de réflexion que nous pourrons proposer aux établissements scolaires souhaitant s’associer à cette aventure de l’esprit critique, et s’engager ensuite vers la découverte de la complexité du réel, c’est-à-dire la capacité à saisir les liaisons, interactions, implications mutuelles, phénomènes multidimensionnels, et réalités à la fois solidaires et conflictuelles.
Références
Morin E. (2008) La Méthode 6 Éthique, p. 171, Editions du Seuil, Paris.
Pena-Vega, A. (2021) Les sept savoirs nécessaires à l’éducation au changement climatique. Comment les jeunes s’engagent pour l’urgence climatique. Editions Atlantique
Pena-Vega, A. Pinheiro do Nascimento, E. (2025) Juventude e clima : vozes do futuro (organisation).
Editora Cortez, Fundação Astrojilfo Pereira, Brasilia.
Pena-Vega, A. Sirqueira Santos, Bruna (2025) Enfrentar a emergência climatica. O protagonismo dos jovens para o planeta (organisation). Atêlie de Humanidade Editorial, Rio de Janeiro.
van Eck, C. W. (2023). The next generation of climate scientists as science communicators. Public Understanding of Science, 32(8), 969-984.