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Le Chili s’apprête à commémorer le coup d’Etat du 11 septembre 1973. Cette tragédie a été vécue comme un traumatisme collectif par la société chilienne, victime d’un système de répression qui n’épargna aucun opposant, hommes, femmes, jeunes, enfants. Tous ont été victime des atrocités du régime du dictateur Auguste Pinochet et de ses complices.
La violence et le terrorisme perpétrés par les agents de l'État de la Direction d’Intelligence Nationale (DINA) pendant la dictature ne visaient pas seulement à torturer, exécuter et faire disparaître la population adulte, les enfants et les adolescents étaient aussi directement ciblés.
Au long d’un demi-siècle, les parents des exécutés politiques, la Commission nationale pour la vérité et la réconciliation et la Commission nationale pour la réparation et la réconciliation n’ont cessé d’enquêter, de rassembler des preuves et des indices afin non seulement de trouver les coupables mais aussi reconstituer une mémoire collective après cette tragédie. Ainsi, au cours de ces dernières années, de nouvelles informations et de nouveaux récits font apparaître le caractère extrêmement cruel du régime militaire, comme en témoignent les rapports Rettig et Valech, le premier portant sur les exécutions et les disparitions, et le second sur l'emprisonnement politique et la torture.
En effet, d’après le rapport Rettig, au moins 307 adolescents et enfants ont été exécutés, et 75 détenus ont disparu. La Commission Valech I a recueilli 1.080 témoignages de la répression exercée contre les mineurs chiffres qui a augmenté de manière significative ces dernières années. La brutalité de ces données ne reflète qu'une partie de la violence exercée contre les adolescents pendant la dictature. Ces documents rendent aussi compte des atrocités massives, par exemple, les rafles dans les quartiers populaires, la violence psychologique dans les lycées et les écoles, les limitations de la liberté d'expression, etc.
Dans cette même quête de vérité, la parution du livre, « Briser le silence : des enfants et des adolescents exécutés pendant la dictature civile-militaire : 1973-1990 » (2023) a été publié grâce au formidable travail de l’Association des parents d’exécutés politiques pour faire face à l’oubli et à l’impunité des crimes perpétrés par le terrorisme d’Etat. Ce livre poignant reconstitue de manière exhaustive et minutieuse chacune des histoires de vie de ces adolescents. Au-delà des faits entourant leur exécution et/ou disparition par les agents de la DINA, les familles cherchent à les faire revivre par la voix et les écrits de leurs proches. Il s’agit d’un exercice difficile pour mettre les mots sur l’enfer que ces personnes ont enduré, grâce à l’ouverture d’archives et aux efforts pour rompre le lâche pacte de silence des auteurs de ces crimes, visant à empêcher l’accès à la vérité et à la justice concernant les adolescents exécutés et disparus.
Enfin, à quelques jours de la commémoration, le président Gabriel Boric Font vient de lancer un Plan National de Recherche des disparus, soit plus de mille personnes et parmi elles quelques dizaines de jeunes adolescents.
Ici, je voudrais avoir une pensée toute particulière pour l’adolescent Aristote España, 17 ans, dirigeant étudiant, arrêté dans la ville de Punta Arenas sur la dénonciation d’une camarade de lycée, emprisonné et torturé à mort dans le camp de concentration situé dans l’Île Dawson, à l’extrême austral du Chili, considéré par ceux qui ont survécu à l’indignité humaine de ce camp comme « l’enfer glacé ».
Alfredo Pena-Vega
Enseignant-chercheur
Laboratoire d’Anthropologie Politique, ancien Centre Edgar Morin
EHESS-CNRS

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