Le maelstrom idéologique du trumpisme emportera-t-il l’Union européenne ? Les espérances de Robert Schuman et Jean Monnet, leur vision d’une réconciliation entre la France et l’Allemagne démocratisée autour d’une Communauté européenne seront-elles être emportées par l’ouragan nationaliste ?
La nouvelle « Stratégie nationale de sécurité des États-Unis d’Amérique » décrit une Europe qui court vers un « effacement civilisationnel » : « Parmi les problèmes majeurs auxquels l’Europe est confrontée, on peut citer les activités de l’Union européenne et d’autres organismes transnationaux qui sapent la liberté politique et la souveraineté, les politiques migratoires qui transforment le continent et créent des conflits, la censure de la liberté d’expression et la répression de l’opposition politique, l’effondrement des taux de natalité, la perte des identités nationales et de la confiance en soi ».
Cette charge idéologique de la Maison Blanche contre l’Union européenne, qui tranche avec les us et coutumes de la diplomatie, est à replacer dans le cadre de la politique globale des États-Unis. Un des objectifs majeurs de la Maison Blache est le rétablissement d’une « stabilité stratégique avec la Russie », laquelle aurait été minée par la guerre en Ukraine. On est bien loin de la vision de la première présidence de Donald Trump consignée dans une édition précédente de la « Stratégie nationale de sécurité » : elle s’inquiétait du « retour de la compétition entre les superpuissances ». Car « la Chine et la Russie tentent d’éroder la sécurité et la puissance des Etats-Unis ». Curieusement, en dix ans, la caractérisation de la Russie s’adoucit bien qu’elle ait agressé l’Ukraine entre-temps.
La détente des relations entre Washington et Moscou a été actée le 15 août 2025 en Alaska, face à la Sibérie, un lieu symbolique de la continuité territoriale des deux superpuissances. Ce duopole peut-il générer un Nord global, ethniquement fondé ? Il manque le Canada et le Groenland (revendiqués par les Etats-Unis) et l’Europe occidentale. C’est dans ce cadre d’un rapprochement stratégique entre Washington et Moscou qu’il faut situer la volonté de destructurer l’Union européenne. Et l’appel aux Européens d’embrasser un nationalisme hostile à l’immigration et à la bureaucratisation. Les États-Unis soutiennent « la résistance à la trajectoire actuelle des pays européens », claironne la Stratégie des Etats-Unis. Car « il est plus que plausible que d’ici quelques décennies, certains membres de l’Otan deviennent des pays majoritairement non-européens ».
Pour les européens qui minimisent le maelstrom qui gagne nos rivages et qui voudraient voir dans ce texte, publié vendredi 5 décembre, les exagérations des conseillers de la Maison Blanche, Donald Trump donne quatre jours plus tard, le mardi 9 décembre sa vision personnelle. Pour mieux se faire entendre des Européens, il la livre à la journaliste Dasha Burns de Politico, un media américain propriété d’une entreprise européenne. Il distribue des bons points aux politiques migratoires de la Hongrie et de la Pologne avant d’en venir aux dirigeants de l’Europe occidentale. « Nombre de ces pays ne seront plus viables. Leur gestion de l’immigration est catastrophique. Ils (les migrants) arrivent de partout dans le monde, pas seulement du Moyen-Orient. Pire, ils arrivent des prisons du Congo et de nombreux autres pays. Et pour une raison qui m’échappe, ils (les dirigeants) veulent être politiquement corrects, ce qui à mon avis est tout le contraire. Mais ils veulent l’être et ils refusent de les renvoyer d’où ils viennent. » Et, au cas il serait mal compris à Londres et Paris, il ajoute : « Si vous regardez Paris, c’est trés différent. J’adorais Paris. C’est bien différent d’avant. Si vous regardez Londres, vous avez un maire nommé Khan. C’est un maire horrible. Un maire incompétent … Il a fait un travail déplorable. J’adorais Londres. Je déteste voir ça ». Il conclut : « Je hais ce qui est arrivé à Londres. Je hais ce qui est arrivé à Paris ».
L’engagement spectaculaire de Donald Trump renforcera-t-il, chez les nationalistes de France, les courants idéologiquement structurés, celui des ethno-différencialistes proches des thèses d’Alain de Benoist ou celui des défenseurs du Grand Remplacement de Renaud Camus ? Les pensées de ce dernier seraient soutenues par des conseillers de Donald Trump, et on trouverait des traces dans le texte de la Stratégie nationale de Sécurité des Etats-Unis, si l’on en croit Michael Shear, Jeanna Smialek et Lara Jakes, des journalistes du New York Times.
Donald Trump déclare à Politico qu’il appuiera des candidats nationalistes en Europe, après rappelle-t-il l’avoir fait pour Milei en Argentine. Son engagement personnel suffira-t-il pour que les nationalistes l’emportent après tant d’échecs? Il sait que les sondages les donnent vainqueurs aux prochaines élections en France et en Grande-Bretagne.
Mais son assaut idéologique contre l’Union européenne pourrait par contrecoup provoquer une réaction de l’électorat. Depuis qu’en 1949, les français Robert Schuman et Jean Monnet ont lancé la réconciliation avec une Allemagne démocratisée autour d’une Communauté économique, cette vision a été entérinée de façon ininterrompue dans les élections législatives et présidentielles. Les électeurs se prêteront-ils tout à coup à la désarticulation de l’Union européenne ? Voire à "l'abolition de l'Union européenne" comme le souhaite Elon Musk ? Pour fonder le Nord Global ? Pour admirer Moscou et Washington ?
À coup sûr, dans les scrutins à venir les questions idéologiques et internationales prendront plus de place que d’habitude. Qui s’en plaindra ?