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Giorgia Meloni guidant l’Europe en Tunisie. Dans la caricature publiée par DEBATunisie.com, fixons leur hôte qui leur souhaite la bienvenue. Lui aussi, depuis plusieurs mois, dénonce les migrants venus d’Afrique subsaharienne. Puis, revenons sur la femme aux côtés de la première ministre italienne, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Elles font équipe contre l’immigration ce jour là. Giorgia Meloni a préparé leur voyage quinze jours auparavant en rencontrant Kais Saied en tête à tête (débloquer les négociations avec le FMI, augmenter le montant des coopérations économiques, entraver les migrants). « Les migrations seront au cœur des discussions », confirme, avant la visite, le porte-parole de la Commission européenne.
Giorgia Meloni qui veut repeupler son pays avec des italiens de souche de « familles traditionnelles », et diminuer l’immigration, voilà qu'elle guide la politique européenne en Méditerranée. Quel chemin parcouru par cette nationaliste en quelques mois. De quels atouts disposait Giorgia Meloni pour se retrouver si vite aux premières loges de la politique migratoire de l’Europe ? La jeune femme, brocardée pour son inexpérience gouvernementale (ministre de la jeunesse de Silvio Berlusconi en tout et pour tout) était parvenue à la tête de l’Italie avec un solide bagage bruxellois. La présidence du parti européen ECR lui avait ouvert un canal direct avec les dirigeants de la Pologne et de la Tchéquie. Quand, première ministre, elle se présenta à son premier Conseil européen, elle avançait sous l’ombrelle de 68 voix sur 323 (celles de Rome, Varsovie et Prague), et en ayant conservé la présidence du parti ECR (conservateurs et réformistes européens), qui dispose d'un groupe au Parlement européen.
Sur la politique migratoire, qui lui tient particulièrement à cœur, elle peut compter sur la Hongrie illibérale, ce qui fait avec la Pologne, un bloc nationaliste de 68 voix soit le cinquième. En face, les quatre-cinquièmes des autres voix ne forment pas un bloc humaniste. Loin de là. Le centre-gauche socialiste qui dirige le Danemark durcit les conditions de vie des immigrés enracinés légalement depuis des années (à Copenhague, les aides sociales dans « les ghettos » sont conditionnelles, etc.) – à tel point que sa politique est citée comme un exemple par la droite parisienne. Le centre-droit grec repousse les migrants hors des eaux territoriales et sans ménagements – voir le naufrage de Pylos où quelques 800 crânes s’ajoutent aux 20 000 qui tapissent le fond de la Méditerranée. Et, Mark Rutte, le premier ministre des Pays-Bas n’est pas bégueule (« Si vous n’êtes pas contents, vous pouvez partir »).
L'Italie de Giorgia Meloni dispose donc de larges possibilités de manoeuvre dans les Conseils européens. Illustration l'avant-veille du voyage à Tunis. La Commission européenne soumet au Conseil des ministres de l'intérieur son projet de pacte pour l'asile et les migrations, soutenu fermement par l'Allemagne. L'italien arrive opposé au texte, tout comme le polonais et le hongrois. La réunion est présidée par la nouvelle ministre suédoise (élue avec le soutien parlementaire des nationalistes suédois). L’Italie veut pouvoir rapatrier les migrants vers les pays qu’elle juge « sûrs », en s’affranchissant des critères de Bruxelles. Ses arguments trouvent des oreilles attentives. Elle obtient satisfaction avec le soutien de l’Autriche, la Bulgarie, le Danemark, la Grèce, la Lituanie, Malte, la Slovaquie, et bien sûr la Pologne et la Hongrie (les voix de ces pays forment potentiellement une minorité de blocage, le vote sur les questions migratoires nécessitant une majorité qualifiée); l’Espagne et les Pays-Bas regardant ce compromis plutôt d’un bon oeil.
Voilà qui permettrait (si le Pacte est adopté tel que par le Parlement européen) d'expulser vers la Tunisie, les migrants tunisiens bien sûr, mais aussi les subsahariens qui auraient embarqués dans ce pays (si Tunis le veut bien). Et pour financer de nouveaux investissements économiques dans les pays où ont embarqué les migrants, un fonds sera abondé par les indemnités que verseront les pays européens qui refusent d'accueillir les migrants débarqués en Italie, en Espagne et en Grèce (20 000 euros par personne et par an). La présidente de l'Union européenne se rend deux jours plus tard à Tunis en compagnie de la première ministre italienne pour donner du crédit à ses propos.
Revenons à la caricature de DEBATunisie.com. Sur l’esquif européen, Z, le dessinateur, invisibilise Mark Rutte, qui s’est joint à la visite. Nul besoin de faire croire que les migrants tunisiens préoccupent le premier ministre batave (les Tunisiens représenteraient 7% des migrants qui accostent en Italie, mais bien rares sont ceux qui prennent la route d’Amsterdam). Mark Rutte est sur la photo de Tunis en politicien, aux côtés de Meloni et d’Ursula von der Leyen dont la réélection l’an prochain n’est pas acquise, (certains espèrent que le groupe ECR, que présidait Giorgia Meloni, lui sauvera la mise).
Au fil des mois, la position de Giorgia Meloni se renforce. Si elle a perdu le soutien de la Tchéquie après les élections présidentielles de janvier 2023, la Finlande et la Suède sont maintenant dirigées par des coalitions parlementaires droite-extrême-droite (les vrais Finlandais et les Démocrates de Suède sont alliés au parti de Giorgia Meloni à Bruxelles). Et tous ces groupes nationalistes ont de fortes chances d'obtenir plus de députés à Bruxelles, lors des élections de l'an prochain. Dans la tectonique géopolitique, l’arrivée de Giorgia Meloni au Palais Chigi accélère la dérive xénophobe de l’Europe.
Jusqu'où?
La faible effectivité des politiques de restriction des migrations (sur les cinq premiers mois de l'année, les migrations à travers la Méditerranée ont augmenté de 12%) entraîne leur durcissement qui à son tour pâtit d’inefficacité corrigée par un nouveau tour de vis, etc. Ce bouclage génératif, cette radicalisation des programmes antimigrations est le principal attracteur vers les partis originaires de l’extrême-droite.
L’ébahissement et le scepticisme ne sont plus de mise.
La circulation des frustrations provoquées par l’effectivité limitée des politiques migratoires est instrumentalisée pour élargir le contrôle culturel. Le tourbillon des batailles idéologiques (contre le multiculturalisme, le « wokisme », les LGBT, etc.) devient âpre. La récente mise au pas des institutions culturelles, des universités et le screening de leurs dirigeants en Suède et en Italie marquent une nouvelle étape. L’enjeu s’élargit à "l’hégémonie" d’un nouvel imaginaire.