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Billet de blog 15 mars 2023

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18 mois après, le point sur les fissures

Septembre 2021 : l'affaire des corrosions sous contraintes démarre, et obligera a vérifier les reacteurs jusqu'en 2024 Mars 2023 : un fissure dangereuse est découverte sur le réacteur 1 de Penly, et d'autres fissures de fatigue se font connaître... Avec les retards de l'EPR, cela met définitivement à mal l'expertise française en matière de nucléaire... Un petit point...

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Les fissures par corrosion sous contrainte (à partir de septembre 2021)

Lors de la visite décennale de Civaux 1 (1450 MWe – couplage au réseau en 1997) à l'été 2021, un contrôle par ultrasons de plusieurs soudure du circuit d'injection de sécurité RIS a mis en évidence des défauts près des soudures de coudes. EDF a découpé les portions suspectes pour analyse et effectué les mêmes mesures sur les tuyaux d'injection RIS du réacteur n°2 qui ont montré les mêmes défauts. L'analyse de ces défauts a montré des signes de corrosion sous contrainte (CSC).  Par la suite, EDF a testé l'ensemble des réacteurs du palier N4 (les 4 plus récents, de 1450 MWe) qui ont été arrêtés durant l'année 2022, et a étendu ces contrôles aux autres réacteurs des paliers P4 et P'4 au cours de 2022 et 2023 (il en reste 6 du palier P'4). A priori pour ces réacteurs, des portions de tuyaux RIS ont été remplacées, fautives ou non (après analyse).

En novembre 2022, 6 réacteurs avaient été testés : 3 avaient des fissures, et 3 étaient réparés (contrôles destructifs, mais pas de fissures détectées). 7 autres réacteurs  étaient en réparation (4 avec fissures, 2 sans).Les contrôles devraient être étendus à tous les réacteurs au cours des années 2024, voire 2025 (au cours de leurs arrêts de maintenance).

 "La" fissure de Penly 1 (6 mars 2023)

Lors du test du circuit RIS réacteur Penly 1, a été découverte une fissure plus importante : d'une longueur de 155 mm (1/4 de la circonférence du tuyau) et profonde de 23 mm (sur 27). Compte-tenu de sa dangerosité potentielle, l'ASN a décrété un incident de niveau 2 (les autres fissures CSC correspondent à un incident unique – générique – de niveau 1).

 Les fissures de fatigue thermique (mars 2023)

Dans la même mise à jour, EDF annonce la découverte de fissures de fatigue thermique sur les lignes RIS des réacteurs Penly 1 et Cattenom 3. Tuyauteries remplacées.

Dans son communique de presse du 7 mars, l'ASN annonce que "EDF met en œuvre un programme de contrôle sur les soudures réparées des systèmes RIS et RRA. Plus de 150 soudures ont fait l’objet d’expertises en laboratoire et les contrôles se poursuivent, avec un programme de contrôle de l’ensemble des réacteurs à partir de 2023." – voire plus tard…

 Causes et remèdes (?)

La corrosion sous contrainte correspond à la fissuration d’un matériau sous l’effet de contraintes mécaniques, ou en cas de pollution des fluides circulant – ou les deux-. Ces contraintes mécaniques proviennent des opérations de soudage, et la CSC correspond à l'oxydation du métal activée par la chaleur (le circuit primaire est à 320°C, et sous pression). Ce phénomène peut rester caché plusieurs années, et seul un contrôle périodique permettrait de vérifier l'amorce  de telles fissures.

Pour l'ASN (mai 2022), la cause principale de ces fissures serait la géométrie de cette ligne RIS, modifiée sur les filières 1300 et 1450 MW, par rapport  au palier 900 MW construit sur l'observation stricte de la licence Westinghouse : les lignes RIS ont plus de coudes, et sont donc plus sujettes à déformations (ce qui peut induire des contraintes) thermiques.  Pour l'IRSN, cette cause reste à vérifier… On trouvera un dossier très complet dans le n° 296 de la Gazette Nucléaire du GSIEN : https://gazettenucleaire.org/2022/296/.

 Située sur la branche chaude théoriquement moins sujette à CSC, l'importante  fissure de Penly 1 de mars 2023 serait due à une double réparation de la soudure lors de la construction du réacteur (1982-1990). Lors de ces réparation, "Il y a eu une approche qui n'est pas acceptable, qui a consisté un peu à forcer les tuyauteries pour les aligner pour les souder, et il y a eu sur cette soudure des défauts qui ont conduit à une deuxième réparation" selon l'ASN.  Il est possible que ce défaut se retrouve sur l'ensemble des circuits RIS des 19 réacteurs semblables à Penly 1…

Pour ce qui en est des fissures de fatigue thermique, moins importantes  mais réelles, elles sont plutôt dues à des problèmes de mélange d'eau très chaude (circuit primaire à 320 °C) et plus froide (de l'ordre de 90°C) du circuit RIS. En outre lors d'opération d'arrêts d'urgence, un choc thermique peut induire une fragilisation des soudures par fissures.  Ainsi que l'a montré une étude de Global Chance https://www.global-chance.org/Fissures-dans-des-circuits-de-sauvegarde-de-reacteurs-du-parc-nucleaire-d-EDF  de telles fissures étaient déjà apparues en 1998 sur le réacteur Civaux1 générant une fuite de 30 m3/h et imposant  des réparations sur l'ensemble du palier durant plus d'un an.

Pour l'IRSN, les fissures CSC ne remettent pas fondamentalement en cause la sûreté des réacteurs :

Dans un avis de juillet 2022, s'appuyant sur des études thermodynamiques d'EDF, l’IRSN "a la raisonnable assurance du respect des critères de sûreté en cas de brèches complètes sur deux lignes RIS ou de rupture partielle de plusieurs lignes RIS" (avis 2022-00156). Autrement dit, deux lignes RIS qui se rompent totalement, ou les 4 lignes RIS (une par boucle) qui fuient.

Mais cette étude a été faite (par EDF) sur les paliers à 4 boucles. Rien n'est dit sur le palier 900 MWe à tris boucles. En outre, si une rupture importante sur les lignes RIS  survenait lors de leur utilisation en cas de brèche du circuit primaire (à 320 °C) mènerait à une vaporisation rapide de l'eau primaire, induisant un possible dénoyage du cœur, ainsi qu'une  augmentation importante de la pression dans bâtiment réacteur. Cette étude reste à faire.

Et concernant la chimie de l'eau borée des circuits RIS, pour l'IRSN la présence d’oxygène dans le fluide primaire constitue un "aggravant du risque de corrosion sous contrainte" et il est recommandé " de réduire le risque en opérant un contrôle plus strict de l’oxygène présent dans les eaux d’appoints, [et]  de contrôler plus fréquemment la teneur en oxygène du fluide primaire" (avis 2022 – 189)

 Conclusion (provisoire ?)

Qu'elles qu'en soient les causes réelles, ces fissures peuvent exister sur l'ensemble des lignes RIS du parc nucléaire français. Il sera probablement nécessaire de vérifier l'ensemble des lignes apportant de l'eau au circuit primaire : RIS (injection de sécurité) ou RRA (circuit de refroidissement à l'arrêt). Avec le temps que cela impose, le coût que cela va représenter, et surtout le manque d'électricité qu cela va entraîner.

Il reste que l'incident de la fissure de Penly pose un problème supplémentaire : s'il  a été possible de remonter à la double réparation de soudure de Penly 1, il reste que le réalignement forcé des tuyauteries a existé et n'a pas posé question à l'époque.  La culture de sûreté et la maîtrise de tous les aspects du nucléaire était donc  déjà sujette à caution plus de 25 ans avant la construction de l'EPR…

 L'inquiétant est que la plupart des incidents relevés ces dernières années se situent sur des systèmes de secours (alarmes, lignes d'appoint en eau, vannes…). Ce constat avait déjà été fait lors des études d'incidents pour les VD2 et VD3 de la centrale de Fessenheim. (contre-expertises du GSIEN).

Ces systèmes étant peu ou pas sollicités, ils sont souvent peu ou pas contrôlés, et un n ombre important de signalements concernent  des dépassements de délais de maintenance, de remplacement par des matériaux non conformes…

Ainsi que cela avait été relevé : les réacteurs sont en général dans un état satisfaisant et sont bien surveillés, mais il y a de quoi s'inquiéter sur la résistance en cas d'incident grave sur un circuit primaire.

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