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Billet de blog 3 juillet 2025

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LETTRE OUVERTE AU PRÉFET DE LA VIENNE POUR LA RÉGULARISATION DE 19 SANS-PAPIERS

Comme dans « L'histoire de Souleymane », des livreurs de repas poitevins d'origine étrangère tentent de survivre par un travail dur et peu rémunéré : le 22 mars dernier, vingt d'entre eux sollicitaient un titre de séjour pour régulariser leur situation. Demande rejetée. Par cette lettre, je souhaiterais que le préfet explique officiellement ses motifs pour dissiper tout malentendu.

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M. le Préfet,

Le 23 juin dernier, contre toute attente, vous avez refusé 19 titres de séjour à des migrants guinéens sans-papiers, travaillant pourtant courageusement comme livreurs depuis plusieurs années dans votre département, tout en assortissant votre décision de l'obligation de quitter le territoire français (OQTF) malgré leur parfaite insertion : pourquoi une telle injustice ?

 1) En enfourchant vaillamment leur bicyclette ou leur scooter par tous les temps pour livrer leur commande dans les délais, ces travailleurs ubérisés représentent-ils vraiment un danger pour la sécurité de nos concitoyens en ayant attenté gravement à l'ordre public par leurs excès de vitesse cyclistes ou un comportement délictueux et criminel plus grave encore ? 

 2) Sans-papiers condamnés à un système de sous-location pour survivre , ont-ils manqué à leur devoir d'intégration par ce labeur harassant dans un secteur en tension, devant supporter tous les jours, en serrant les dents, des propos humiliants de la part de certains clients pour 3 euros la course ?

 3) Dans les documents requis par la préfecture, peut-être une énième pièce fait -elle encore défaut pour clore ce parcours du combattant kafkaïen du titre de séjour ? Pour l'administration tatillonne, tout est bon pour "chercher la petite bête" et dissuader les plus motivés ? 

 4) Enfin, pourquoi n'avoir régularisé qu'un seul livreur mais pas tous les autres alors qu'ils présentaient exactement le même profil ?  Mystère ! Leurs dossiers ont-ils été examinés par vos services avec le soin nécessaire ou plutôt au doigt mouillé et à la va-vite ?

J'insiste pour que vous apportiez les raisons précises et objectives qui ont motivé votre refus, car vous ne devez surtout pas laisser la porte ouverte, par votre silence, à des interprétations erronées :

 1) Des esprits chagrins, en effet, prétendent que votre décision serait liée à la création, à Poitiers, d'un collectif de coursiers solidaires inédit, pour défendre leurs droits dignement sans devoir se cacher, face à des plateformes omnipotentes (Uber Eats ou Deliveroo) profitant de leur précarité pour les exploiter en toute impunité avec la complicité hypocrite des autorités . Qu'en est-il exactement ? Est-ce une mesure de rétorsion ? Diviser et invisibiliser pour mieux régner ?

 2) Je n'ose même pas vous le demander, M. le Préfet, tellement cela pourrait paraître tendancieux et offensant, mais certains pensent que vous auriez reçu de votre ministre de tutelle, M. Retailleau (circulaire du 23 janvier 2025), des consignes officieuses de "fermeté" encore plus drastiques, pour limiter au maximum les régularisations et au contraire multiplier les OQTF pour faire du chiffre à des fins électoralistes nauséabondes ? Difficile à croire tellement cela serait odieux quand l'on sait que des vies sont en jeu !

J'espère par votre démenti et votre réponse circonstanciée que vous parviendrez à clouer le bec à toutes ces mauvaises langues toujours promptes à des procès d'intention hâtifs sur les vraies raisons de votre zèle !

Pour conclure cette requête, afin de tenter d'infléchir votre décision dans un sens plus humaniste, je vous offre deux citations de ces jeunes hommes francophones et francophiles qui viennent de recevoir votre OQTF, car si rien n'est fait , c'est l'arrestation au hasard d'un contrôle au faciès , le camp d'internement de Rouillé de sinistre mémoire ( 1941 ) rebaptisé pudiquement centre de rétention , puis l'expulsion :

"J'ai choisi d'être ici et je suis prêt à servir la France […] je suis prêt à faire n'importe quel travail dès que j'aurai les papiers. Avoir ces papiers, ça va changer la vie. Être indépendant, c'est ce que veut tout être humain." Pas vous, Monsieur Boulanger ?

"On a déjà risqué nos vies en mer pour venir, on ne peut pas gagner de papiers sans prendre de risques " : pour certains , ces papiers , c'est donc bel et bien une question de vie ou de mort !

Rassurez-vous Monsieur le Préfet, personne  ne vous demande de risquer votre peau, votre carrière et votre légion d'honneur en faisant preuve du même courage que ces hommes, vous n'êtes pas non plus Jean Moulin, mais reprenez votre plume et signez un ordre de régularisation pour tous , sans exception et vous aurez enfin la conscience en paix !

Comptant sur votre attachement à l'Etat de droit si cher à votre ministre et aux valeurs fondatrices de la République française comme la fraternité, principe devenu constitutionnel , je vous le rappelle , le 6 juillet 2018 , grâce à l'éminent Cédric Herrou ,

Dans l'attente de votre réponse que j'espère aussi diligente qu'un arrêté d'expulsion, 

Meilleures salutations,

Jean-Marie Caucal 

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