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Billet de blog 22 août 2023

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RETOUR D'ALGER .

Quand j'évoquais mon futur voyage à Alger , les réactions oscillaient souvent entre perplexité ou plus franche réprobation : bon courage me disait-on ! Or , cette escapade a non seulement dépassé toutes mes espérances touristiques mais m'a permis de repenser totalement l'épineuse question de la réconciliation des Mémoires aux antipodes du Rapport Stora . Voilà pourquoi :

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Illustration 1
Le Port d'Alger .

D'abord , avant même de poser pour la première fois un pied ému sur la Terre algérienne , ce choc visuel unique provoqué par la Baie d'Alger couronnée par sa Casbah d'un blanc immaculé , grimpant avec fantaisie jusqu'au ciel : du bleu , du blanc puis à nouveau du bleu ! Passé ce moment d'une rare intensité esthétique , depuis le pont du bateau , s'enchaînent tout au long du séjour , des merveilles pour tous les sens , loin d'un tourisme de masse qui a corrompu tous les autres pays du Maghreb , malgré leur patrimoine réputé et reconnu . Je laisse pour La Ville Blanche le soin de sa description méticuleuse ou plus poétique aux nombreux peintres , écrivains ou cinéastes qui ont su capter son âme singulière , comme Albert Camus ou Jules Roy , bien sûr , les enfants du pays .  Pour se réconcilier avec son peuple  il faut donc commencer par tomber raide dingue amoureux de cette beauté algéroise méditerranéenne , l'admirer au point d'en être subjugué ! Ce coup de foudre peut aussi contribuer à guérir l'occidental de sa posture orientaliste condescendante , héritage de mentalités coloniales encore vivaces . Surtout , quand l'Histoire vous a séparé et profondément déchiré , blessé et traumatisé .

    Aussi , pour favoriser ce rapprochement et cette réconciliation , savoir arpenter Alger dans tous les sens , malgré les températures estivales ou ses topographies chahutées , car chacun de vos pas dans cette ville plurimillénaire , résonne encore du fracas des envahisseurs qui se sont succédé : phéniciens , romains , arabes , ottomans puis français en 1830 pour chasser les pirates qui écumaient la Méditerranée à partir d'Alger ! Rappeler ce temps long de l'Histoire , qui a laissé des traces de sang mais aussi de pierre dans l'architecture éclectique et métissée , permet d'envisager colonisation et décolonisation avec le recul , la sérénité et l'ouverture d'esprit nécessaires pour apaiser , cicatriser des plaies encore mal refermées : une résilience fondée sur ce syncrétisme culturel que chaque mètre parcouru révèle au gré de ces déambulations tous azimuts : église redevenue  mosquée à l'indépendance  ( Mosquée Ketchaoua dans la basse Kasbah ) Grande Poste aux coupoles mauresques dans l'ancienne ville européenne , Notre Dame d'Afrique sur les hauteurs de Bologhine où viennent se recueillir les étudiants avant leur examen ( " Notre Dame d'Afrique priez pour nous et pour les musulmans " ) , pour ne citer que quelques exemples de ce bel oecuménisme artistique parmi d'autres . Mais l'essentiel n'est toujours pas là :

     Pour regarder son histoire en face ( discours d'Emmanuel Macron en Août 2022 ) , il faut commencer par observer sans œillères , se taire et écouter le peuple algérien lui-même , qui à rebours de la rancoeur attendue ou de l'esprit revanchard redouté , vous traite d'abord comme un invité d'honneur, tellement la langue et la culture françaises sont ancrées et aimées profondément , considérées par la plupart des habitants comme un magnifique butin de guerre à l'instar de l'auteur Kateb Yacine . Cette francophonie et cette francophilie authentiques et sincères , c'est l'autre grand atout de cette Réconciliation en marche . Cette hospitalité réelle et non de pacotille , je l 'ai rencontrée à tous les coins de rue , depuis le coiffeur qui me fait visiter spontanément la modeste demeure de Camus à Belcourt transformée en boutique , jusqu'à l'ancien correspondant de la BBC à Alger devenu à la retraite un remarquable cicérone des splendeurs et des petits secrets de la Casbah  (" Raconte-moi Alger " de Mohamed-Arezki Himeur ) Sans oublier la bibliothécaire des " vraies richesses " ,  (ancienne librairie et maison d'édition d'Edmond Charlot au  2 , ex Rue Charras )  qui tient à me montrer la toute petite pièce à l'étage où le jeune Camus officiait pour écrire ou traduire (lire à ce sujet l'extraordinaire roman de la toute jeune écrivaine Kaouther Adimi " nos richesses " ) Sur la vitrine , on peut d'ailleurs encore lire en majuscule : UN HOMME QUI LIT EN VAUT DEUX " . J'aimerais aussi parler plus longuement de ce gardien du cimetière européen Saint Eugène à Bab El Oued , un philosophe érudit qui me consacre sans broncher presque deux heures à commenter les tombes dont il a la charge , pour terminer par celle de Roger Hanin sur lequel il est intarissable ! Et tout cela , fortuitement et gratuitement , sans aucune arrière-pensée mercantile , pour le plaisir de l'échange et de la conversation française !

   Ainsi , de ce splendide voyage algérois où beauté , culture commune et mentalité sont autant de chances pour la Réconciliation à venir , j'en ai tiré deux leçons concrètes et inédites pour l'action politique :

   1) La population algérienne est mûre aujourd'hui pour cette paix des Mémoires à condition que l'Etat français , comme il l'a fait pour Vichy , se repente officiellement pour ses crimes contre l'Humanité en s'excusant pour  " ce passé colonial qui ne passe pas " ,  parce qu'il a nié les droits les plus fondamentaux de l'Homme . Malgré la politique d'oubli , d'amnésie ou d'amnistie en faveur des tortionnaires français ou de leurs complices de l'OAS , il ne peut y avoir de réconciliation sans aveux ( reconnaissance de la faute ) et sans volonté de justice : c'est ce que l'on a fait pour Maurice Papon , pourquoi ne pas l'appliquer pour la guerre d'Algérie afin d' apurer les comptes une bonne fois pour toutes ? Cette repentance , ce n'est donc pas " un piège politique "  ( B . Stora en janvier 2021 ) ni " une vanité "( E .Macron ) c'est la recherche de la vérité , condition sine qua non du pardon , préalable indispensable à tout le reste , y compris certaines préconisations intéressantes du Rapport remis au président . La construction de mémoires plurielles et contradictoires sur les deux rives de la Méditerranée ne doit en aucun cas diluer la responsabilité originelle ( la colonisation ) et criminelle ( meurtres de masse et tortures pour garder l'Algérie à tout prix ) de l'Etat français . Sinon , elle risque d'être un leurre et un dangereux traquenard mémoriel tendu aux algériens en renvoyant dos à dos colonisateurs ( colons et militaires français) et colonisés ( résistants mais aussi harkis ) D 'où , leur méfiance bien  compréhensible ! Malgré cela , sans doute sur les conseils de Monsieur Stora , le président Macron ne veut toujours pas entendre parler de repentance !  (" je n'ai pas à demander pardon " janvier 2023) et va même jusqu'à dénoncer chez les responsables politiques algériens une "rente mémorielle" ( septembre 2021 ) pour se maintenir aux affaires ! Allant jusqu'à douter que la Nation algérienne ait une existence avant la colonisation ! Autant de propos inutilement provocateurs sur un sujet sensible en remettant de l'huile sur le feu ! Sur ce bord de la Méditerranée , ces allégations d'une légèreté incroyable pour un homme d'Etat , ont été perçues comme une terrible offense à la mémoire collective , de l'avis de tous les algériens que j'ai pu interroger à ce sujet : imagine t-on une seule seconde un président algérien stigmatiser notre propension légitime à entretenir la mémoire de la Résistance française et de ses grandes figures contre l'occupant nazi dans notre " roman national " ? Quel mépris mais surtout quelle régression sur le chemin de la Réconciliation des Mémoires !

  2) Ensuite , comme il n'y a pas de justice sans sanctions puis réparations , alors que la plupart des responsables politiques et militaires ont disparu sans être jugés par un tribunal international comme à Nuremberg pour les nazis ( Massu , Bigeard , Aussaresses et tous les autres ) pourquoi , ne pas rembourser notre dette immense à l'Algérie , en facilitant grandement l'immigration légale de sa population dans notre pays ( accords de 1968 ) plutôt que de laisser ces harraga mourir en Méditerranée ? Autre crime supplémentaire commis en toute impunité par le gouvernement de Monsieur Macron avec la bénédiction de tous les régimes néo- fascistes européens ! En bref donc , solder le passé et le passif en pariant sur l'avenir et la jeunesse !

   C'est ce que me suggérait l'un des très nombreux hitistes adossé à un mur ( hit en arabe ) de la Casbah , trentenaire au chômage et désoeuvré malgré sa thèse et ses dix années d'études : " je n'ai pas peur de mourir en tentant la traversée , car ici , je suis déjà mort "

   La faute à qui , Messieurs Macron et Stora ?

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