Massacres en Vendée
La Guerre des mots pour étouffer l’histoire
Dans les années 1980, de jeunes historiens, soutenus par Pierre Chaunu et un homme politique en devenir, Philippe de Villiers, ont eu l'audace de faire revivre, l'un les études, l'autre la mémoire vendéenne. On a alors commencé à parler d'un « génocide » perpétré par les révolutionnaires de 1793. Après avoir raillé en vain les « agités du bocage », la gauche universitaire et politique en a été réduite sans succès à l'expédient cache-sexe d'une guerre des mots qui aurait dû escamoter la réalité historique. Elle poursuit ce combat d'arrière-garde en embouchant comme d'habitude les trompettes de l'exclusion du débat d'une droite forcément extrême, puisqu'elle n'est pas d'accord avec elle. Lorsqu'ils n'évoquent pas une fake news, les supporteurs de la « révolution de 93 » veulent faire croire que ces dizaines de milliers de morts furent le résultat d'un nécessaire accident sur la route du bonheur promis par Saint-Just et Robespierre.
LES FAITS
D'avril 1793 à juillet 1794, entre 120000 et 150000 personnes (20 % de la population) ont trouvé la mort dans les combats puis la répression du premier soulèvement vendéen. À la guerre civile des premiers mois succédèrent, à partir du printemps 1794, les massacres et destructions ordonnés par le Comité de salut public alors dominé par Robespierre, et la Convention. Cette phase des événements représente entre 70 et 80 % des pertes humaines, auxquelles il faut ajouter la destruction volontaire de 10 000 habitations (sur environ 50 000 que comptait la région), des récoltes et des moyens de production.
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Jusque-là, sans être des partisans convaincus de la Révolution, les Vendéens s'y étaient résignés. Ni la politique antireligieuse, ni la chute de la royauté n'avaient ici suscité d'opposition plus marquée qu'ailleurs en France. C'est l'idée de retirer de leurs familles et de leurs activités des milliers de jeunes gens qui fut la mesure de trop, enflammant le sud de la Loire.
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Laissées à l'initiative du commandement ou des députés envoyés en mission par le Comité de salut public, elles commencèrent par l'exécution des prisonniers ou des hommes pris les armes à la main, chefs comme piétaille. Vint le tour des simples suspects et, enfin, des populations civiles. Malheur inévitable dans ce type d'affrontements fratricides, certes, mais à des niveaux ici tout de même ahurissants. On massacra allégrement au Mans et à Savenay. À Saint-Florent-le-Vieil, on passa au stade supérieur avec 2 000 hommes, femmes, enfants et vieillards exécutés dans l'abbatiale. À Nantes, pour « vider les prisons », le député Carrier utilisa la guillotine puis les fusillades de masse (2 700 morts) avant de passer au stade supérieur en faisant noyer dans la Loire les prêtres, puis toute la « race scélérate » (sic), soit cette fois 4 000 personnes. Le résultat de cette politique carcérale expéditive fut un « succès » : 10 000 morts sur 13 000 détenus. La méthode ayant fait ses preuves, on noya encore dans une vingtaine d'autres localités baignées par le fleuve.
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TECHNOCRATIE CRIMINELLE
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Des décrets de l'été 1793 permettaient déjà beaucoup, comme d'incendier les bois et taillis, détruire les maisons des insurgés, confisquer les récoltes, déporter hors de Vendée les « femmes, enfants et vieillards ». Sous l'impulsion de Bertrand Barrère et l'approbation tacite de Robespierre furent ajoutées des instructions générales effrayantes : « Les brigands doivent être vaincus et exterminés sur leurs propres foyers. » C'était appliquer la doctrine de l'Incorruptible : « À ses ennemis, la République ne doit que la mort. »
On devait sans tarder « détruire la Vendée », mais aussi voir loin. En supprimant les femmes et les enfants, on s'assurerait en outre la tranquillité à long terme. Symboliquement, le 7 novembre 1793, la Convention retira le nom de « Vendée» de la liste des départements et le remplaça par « Vengé ». Le commandant de l'armée (républicaine) de l'Ouest, Louis-Marie Turreau, conçut la reprise en main du territoire par des colonnes mobiles, les fameuses douze « colonnes infernales » de 8 000 hommes chacune. Elles se mirent en marche en janvier 1794 : « Je vous donne l'ordre de livrer aux flammes tout ce qui sera susceptible d'être brûlé et de passer au fil de la baïonnette tout ce que vous rencontrerez d'habitants, écrivit le général. Je sais qu'il peut y avoir quelques patriotes dans ce pays, c'est égal, nous devons tout sacrifier. » Ainsi fut fait, non sans que les Vendéens aient tenté de se défendre. Ils furent submergés sous le nombre et pâtirent de leur inorganisation.
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Les historiens ont dressé la liste des exactions inouïes des mois suivants. Elle est fastidieuse et horrible, mais établie à partir des rapports des assassins en chef eux-mêmes. Dès la fin janvier, la colonne du général Grignon annonçait triomphalement tuer plus de 100 « brigands » par jour, y compris une trentaine de femmes que lui et son état-major avaient violées avant de les faire fusiller. Son collègue Lachenay rendit compte des massacres de Saint-Mesmin, Pouzauges, Le Boupère ou Mouchamps, soit plus d'un millier de morts. Plus loin, alors que les meurtres sont une sorte de routine, Bourcet s'enorgueillit de la destruction des fermes et, le 26 janvier, du château du Puy-du-Fou, promis deux siècles plus tard à une surprenante résurrection. Quant au général Caffin, il « purifia » le haut bocage en commençant par le massacre des sœurs de la Sagesse et leurs malades à Saint-Laurent-sur-Sèvre. Cordellier avança sans mollir : exécution de toute la population de La Jumellière et, le 5 février, celle de 300 habitants de Gesté puis, la semaine suivante, de 300 autres à Montfaucon et 600 à Tiffauges. C'est sa colonne qui, le 28 février 1794, enferma 564 personnes, dont 110 enfants de moins de 7 ans, dans l'église des Lucs-sur-Boulogne avant d'y mettre le feu, soit une sorte d'Oradour vendéen dont les faits sont établis sans contestation possible.

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Le même jour, une autre escouade tua 150 habitants de Saint-Étienne-du-Bois. Cordellier jugea dans son rapport que la journée avait été « fatigante, mais fructueuse ». Il faut croire que ses hommes n'étaient pas aussi épuisés qu’ils le disaient : ils trouvèrent la force de tuer encore 500 habitants de Loroux-Bottereau le 6 mars, 26 (dont 12 enfants) de La Chapelle-Basse-Mer le 10 mars, 128 encore dans la même localité le 16, etc. Passons à la colonne de Crouzat et ses 200 exécutions à Gonnord (dont deux femmes et leurs enfants enterrés vivants), 30 à Chanzeaux, 1500 dans la forêt de Vezins, 20 femmes isolées jetées dans un puits près de Clisson, etc. Avec de tels bilans, ceux des généraux Moulin et Huché paraissent à peine plus maigres : chacun n'a que quelques villages et milliers d'habitants à revendiquer, dont, pour le premier, les femmes et les enfants des Herbiers, et le second, les 500 habitants de La Verrie et les 300 de Vezins et Coron (tout de même 3 000 personnes en tout pour la colonne Huché). Et ainsi de suite, jusqu'à un effarant bilan aujourd'hui établi à quelques centaines de victimes près.
LES COMBATS DE LA MÉMOIRE
Curieusement, ces victimes non combattantes des guerres de Vendée (auxquelles il faudrait ajouter ceux de la Bretagne chouanne, de la répression lyonnaise, marseillaise et toulonnaise à la suite du soulèvement fédéraliste de 1793-1794, les 15 000 exécutions de suspects parisiens) ont disparu des radars pendant des décennies.
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Lorsque vint le temps de l'Histoire et de la mémoire, une autre bataille, de papier celle-ci, opposa pour simplifier les tenants d'un « bloc » révolutionnaire au bilan globalement positif (dont le Vendéen Georges Clemenceau ), la gauche « mystificatrice », enfourchant à la fois le mythe de la Révolution et les mystifications concernant ses errements d'une part, et la droite, royaliste ou non, d'autre part.
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On choisit donc de l'oublier, y compris pendant longtemps en Vendée. L’avènement aux grands postes scolaires et universitaires des « robespierristes » (jusqu’à la fin des années 1980) aida à faire disparaitre les guerres de l'Ouest des champs d'étude et des livres d'histoire, sauf à magnifier (comme dans les manuels de mon enfance) l'épisode de la mort de Joseph Bara, un adolescent de 14 ans supposément tué par les « Vendéens révoltés » pour avoir refusé de crier « Vive le roi ! ».
Tout changea dans les années 1980 avec les travaux lancés sous l'impulsion de Pierre Chaunu, un historien jouissant de tous les sacrements universitaires, mais classé « à droite» par le reste du sérail, ce qui le rendait suspect. Une thèse choc défraya la chronique, celle soutenue et publiée sous sa direction par Reynald Secher. Celui-ci concluait que les massacres de Vendée étaient un véritable « génocide ». Une digue avait été rompue et les guerres de Vendée devinrent un vrai sujet de l'histoire de la Révolution, même si elles furent soigneusement occultées lors du bicentenaire de 1989.
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Peu importe, selon nous, qu'un spécialiste de droit pénal international, Jacques Villemain, ait publié depuis un ouvrage qui montre que, si les faits avaient eu lieu aujourd'hui, les jacobins de Paris et les chefs des colonnes infernales se seraient retrouvés devant le Tribunal pénal international. L'historien ne doit pas accepter les anachronismes, même lorsqu'ils pourraient aller dans le sens de ses recherches.
Le mot « génocide » fut un chiffon rouge et on ne parla plus que de ça. Il rendit la gauche agressive et méchante. Et d'abord, elle s'occupa de Secher lui-même. En dépit de la qualité impeccable de ses recherches, il fut ostracisé et tenu à l'écart de l'université. Son caractère fit le reste. Livre après livre, il enfonça le clou... et ceux que l'intelligentsia plantait dans son cercueil intellectuel. Une fois les vengeances personnelles engagées, la gauche se réfugia dans un des combats dont elle est experte : se focaliser sur « le mot », crier au scandale ou au « fascisme » et, en même temps, escamoter le débat de fond. La politique de l'écran de fumée, pour n'avoir pas à reconnaître que Robespierre et ses amis avaient, ici et ailleurs, du sang jusqu'aux genoux.
RECONSTRUCTION ET PARDON
Une seule question comptait désormais : peut-on utiliser le terme anachronique de génocide ? Qui plus est, à la marge, la gauche instrumentalisait comme repoussoir le soutien accordé aux recherches par le Conseil général de Vendée, longtemps présidé par Philippe de Villiers, accusé pêle-mêle de manipuler l'Histoire, de se régaler du (faux) roman national, en plus d'avoir été un adversaire de François Mitterrand et du traité de Maastricht. Suprême pièce au dossier, lui et ses amis inaugurèrent en 1993 un mémorial aux Lucs-sur-Boulogne (85), avec liste des victimes et flamme éternelle. Et comme Alexandre Soljenitsyne fit aux créateurs de cet émouvant lieu de mémoire l'honneur de sa présence, lui qui refusait toute manifestation publique, le grand écrivain fut mis dans le sac des contre-révolutionnaires.
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Côté recherche historique, pourtant les preuves continuaient à s'accumuler, les bilans à être précisés. Nul ne peut plus contester les crimes monstrueux et systématiques de la Première République.
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Car au fond, comme l'ont revendiqué marxistes et bolcheviques par la suite, ce qu'ils considèrent comme la matrice de la révolution mondiale avait déjà choisi, un siècle et demi avant d'éclore en Russie, la violence de masse, par le mitraillage, les noyades, les fusillades et l'incendie, en attendant la famine généralisée, les épurations et les procès pas moins bidons que ceux du tribunal révolutionnaire.
Le plus enrageant pour les robespierristes et leurs thuriféraires est que, quant à elle, la Vendée s'est reconstruite et a pardonné. Elle a trouvé dans ses malheurs la force de fonder une société qui, ancrée sans rancune dans l'ensemble national, a su conserver des valeurs enviables de solidarité et d'énergie. Le Puy-du-Fou pourrait en être l'emblème, mais ce serait oublier les leaders nationaux, européens et même mondiaux que cette terre a engendrés (Sodebo, Fleury Michon, Beneteau, Cougnaud, etc.), le réseau de ses PME et son taux de chômage parmi les plus bas du continent.
Sans doute est-il temps pour notre République, qui ne cesse de demander pardon, de venir officiellement reconnaître les crimes commis il y a 230 ans dans le bocage, contre les enfants de la France. Une simple présence, voire une simple phrase. C'est sans doute trop demander.