Les Évangiles, synoptiques, canoniques, johannique, apocryphes, homologués par Rome ou par Genève, par Athènes, ou non, ne sont pas des biographies de Jésus. Il y manque bien trop d’éléments. Deux canoniques sur quatre parlent des enfances. La biographie d’un personnage de l’Antiquité est forcément incomplète. Heureusement, il y a la poésie. Qui depuis Homère, depuis l’oralité dans son ensemble, l’oralité de chaque peuple, alimente la légende. Heureusement, il y a le conte. Et la spéculation.
Ernest Renan le croyant, et le savant, agnostisant, finira par ne plus croire, mais en continuant à admirer l’homme Jésus ; ce champion arianiste écrira Vie de Jésus, une bible !
Anthony Burgess, romancier, poète, humoriste, a écrit lui aussi une vie de Jésus, L’homme de Nazareth, bien moins savante mais plus marrante que celle de Renan. Il écrit en romancier, ne se préoccupe pas de sourcer, explique en préface qu'il s'inspire du Nouveau Testament, s’inspire aussi de Flavius Josephe par exemple, et invente à Jésus une vie de tous les jours.
Éric-Emmanuel Schmidt ne croit pas mais finira par croire, rencontrant dieu à la manière d’un Frossard, écrit L’Évangile selon Pilate, qui serait mieux nommé « Évangile selon Jésus », puisque la première personne y représente Jésus.
Michel Onfray le savant incroyant ( vraiment incroyant ?), croyant à sa non existence, a écrit récemment Théorie de Jésus, biographie d’une idée.
Je démarre donc une nouvelle série consacrée à Jésus, et à ces quatre écrivains.
Cette scène d'avant les enfances ne vient ni de Matthieu ni de Luc, ni du protévangile de Thomas. Elle raconte les noces de Marie et Joseph dans L’homme de Nazareth d’Anthony Burgess.
Je ne sais pas où l’auteur prend l’idée d’une relation de Joseph avec cette secte des « purs », qui se nommeront « puritains » aux siècles classiques et modernes, ou wokistes au 21ème siècle, et qui sont selon moi des Esséniens, en tout cas cette communauté qui vivait sur les rivages de la Mer Morte, et dont la découverte des fameux « manuscrits » a révélé l’existence.
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Il y avait, parmi les invités, des membres de cette secte de purs pour la doctrine de laquelle Joseph avait professé de la sympathie, mais ces hommes montraient de l'aigreur, à présent, dans leurs grandes robes blanches ; ils refusaient la viande rôtie et écartaient d'une main vertueuse et scandalisée le vin offert. L'un d'eux, que l'on nommait tout bonnement Chef des Frères, comme si son véritable nom avait rendu un son impur, exprima franchement sa déception au nouveau marié, lequel répondit :
— Je t'avais toujours dit que je ne vous suivrais pas jusqu'au bout. Je ne t'ai jamais caché que vous poussiez trop loin la pureté.
— Peut-on jamais, dit presque avec mépris l'homme connu parmi les frères sous le nom de Lumière de l'Aube, pousser trop loin la pureté ?
— Je connais les arguments par cœur, rétorqua Joseph. Dieu est pureté suprême, esprit pur. Mais Dieu n'a-t-il pas fait l'homme de chair ? On ne peut nier la chair... pas entièrement. Tout homme a besoin d'un plat de viande et d'un coup de vin après sa journée de travail.
— Pouah ! on croirait entendre un soldat. La prochaine fois, tu diras que tout homme a besoin... (Frémissement de dégoût)... d'une femme, après le travail du jour.
— L'homme n'a pas besoin d'une femme au sens où tu l'entends, pas plus que la femme d'un homme. Mais il existe une autre sorte de besoin entre eux... un besoin de l'âme.
— Où va se loger l’esprit ! D'ici à ce que tu nous parles de paternité et de maternité spirituelles !
— Pardonnez-moi, dit Joseph. Je ne dois pas négliger mes autres hôtes... moins distingués, disons.
Il s'éloigna donc pour rejoindre un groupe de gens assez rieurs et mal habillés, qui se gobergeaient de vin et de nourriture. Chef des Frères dit à Lumière de l'Aube :
— Il ne faut pas oublier qui il est. Un ouvrier du bois. C'est une occupation assez sale.
Ces deux-là partirent tôt ; personne ne les regretta.