Agrandissement : Illustration 1
Aujourd’hui, toujours à partir des Contes et légendes du Sénégal, livre qui a nourri mes dix ans, mes soixante ans, une intertextualité afro-africaine cette fois-ci. De la même façon que le vingtième siècle français se rapproche du moyen âge en de multiples occasions (Apollinaire, Marie Noël, pour ne donner que deux exemples), l’agrégé de grammaire française Leopold Sédar Senghor se rappelle des chants peuhls qu’il a probablement entendus dans la bouche des griots. Nouvel ingrédient dans le chant moderne : une personnification de la terre africaine, nourricière et maternelle.
Complainte pour une femme peuhle
Éhé ! Éhé !
Éhé ! Éhé !
Maintenant que notre amitié n'est plus que soupirs, je regrette de t'avoir connue
Si j'avais su ! Si j'avais su !
Une personne de bonne âme ne devrait pas se lier,
Une bonne âme est comme une bonne mariée : elle ne peut durer longtemps.
Femme Peulhe nommée Roky, le griot te dit au revoir. Femme Peulhe, issue d'une gourde d'or, le griot te dit au revoir. Femme de belle main, perle de la noblesse, femme entre les femmes,
Le griot te dit au revoir.
Le griot part pour Bayote;
Les enfants de Bayote s'enfuient dans la nuit,
Dans la nuit obscure la marche est difficile
Mais seulement à ceux qui n'ont pas au cœur un beau souvenir.
Moi, je porte l'image de ma noble peulhe.
Les dents blanches,
La lèvre noire,
La poitrine haute,
Et sur le cou trois pythons luisants.
L'Hippopotame du Grand Fleuve, l'Hippopotame sacré de nos pères est tombé.
Ma Coumba, issue d'une gourde d'or, n'est plus.
Recueilli par Ibrahima Ba
Adaptation André Terrisse
Femme noire
Femme nue, femme noire
Vêtue de ta couleur qui est vie, de ta forme qui est beauté !
J’ai grandi à ton ombre ; la douceur de tes mains bandait mes yeux.
Et voilà qu’au cœur de l’Été et de Midi, je te découvre Terre promise, du haut d’un haut col calciné
Et ta beauté me foudroie en plein cœur, comme l’éclair d’un aigle.
Femme nue, femme obscure
Fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche
Savane aux horizons purs, savane qui frémis aux caresses ferventes du Vent d’Est
Tam-tam sculpté, tam-tam tendu qui grondes sous les doigts du Vainqueur
Ta voix grave de contralto est le chant spirituel de l’Aimée.
Femme nue, femme obscure
Huile que ne ride nul souffle, huile calme aux flancs de l’athlète, aux flancs des princes du Mali
Gazelle aux attaches célestes, les perles sont étoiles sur la nuit de ta peau
Délices des jeux de l’esprit, les reflets de l’or rouge sur ta peau qui se moire
A l’ombre de ta chevelure, s’éclaire mon angoisse aux soleils prochains de tes yeux.
Femme nue, femme noire
Je chante ta beauté qui passe, forme que je fixe dans l’Éternel
Avant que le Destin jaloux ne te réduise en cendres pour nourrir les racines de la vie.
Léopold Sédar Senghor, Chants d’ombre.