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Billet de blog 12 mars 2025

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Glissements progressifs du progrès

J’ai choisi de pas m’emmerder avec les guillemets. Le mot « progrès » est donc, dans ce texte, à prendre avec ou sans, c’est selon. Pour compliquer encore le travail du lecteur, prudence : ironie intermittente. Pour pas se mettre le bulbe à ébullition, il est recommandé aux cons de pas lire.

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Les choses de la mauvaise vie

Illustration 1

Si le progrès consiste en confort, en facilité, en paresse, le progrès est une chose mauvaise. Malgré les progrès de l’hygiène et de la médecine, les hommes sont de plus en plus malades. Obésité, maladies cardio-vasculaires, diabète, cholestérol, cancers multiples saluent gaiement les progrès du machinisme, de l’industrie agro-alimentaire, de la mal-bouffe branchée, tandis qu’Alzheimer et vote LFI saluent tout aussi gaiement l’abolition de taches intellectuelles de toutes sortes, confiées à l’inintelligence artificielle. Les métiers ne nécessitent plus d’art, donc de réflexion. Par manque d’exercice, le corps, et son plus merveilleux organe, le cerveau, déchoient.
La longue marche vers le bonheur conduit de plus en plus souvent au suicide, assisté ou non. Les fonctions naturelles disparaissant, les organes s’atrophient. Il faut qu’un cerf fuie les chasseurs pour que l’espèce s’épanouisse. L’homme n’ a plus de prédateur, hormis lui-même, pense avec un smartphone, bouge avec un moteur, joue sur internet.

Voyage en wokistan


Cette absurdité, le progrès vers le mal, cette haine de l’effort, donc de la pensée, est tout entière symbolisée par les gags récurrents de l’intersectionnalité (rien que l’existence de ce concept prouve la faillite de l’intelligence). Intelligence reléguée par une inintelligence artificielle.

Immunité


Il est donc peut-être naturel que le progrès suscite toujours une réaction contre lui. Coutume et tradition ont toujours des défenseurs, heureusement. Comme le progrès remet en question la tradition, il suscite souvent une levée de boucliers, qui en vérité le renforce. 
Heureusement, et malheureusement. Car le progrès est un progrès ! Un bien nouveau. Le bien, c’est ce qui botte les gens. Le progrès a forcément du succès. Attaquer le progrès, c’est attaquer le camp le plus fort, le plus nombreux, le camp vainqueur. Et si on est un tant soit peu nietzschéen, on attaque le vainqueur. 
Rien n’arrête le progrès. 
Rien n’arrête le train, le téléphone, l’électricité. Rien n’arrête le feu, l’énergie fossile, l’énergie nucléaire. Rien n’arrête l’arc ni l’arbalète, la poudre, le drone. 
Rien n’arrête non plus les arts, l’expression, la poésie, la philosophie. Rien n’arrête la religion. Quand un fumier ou un con explique, au pied de l’Etna, que le dieu veut des sacrifices pour apaiser sa colère, ça donne un tel espoir ! Quelques millénaires plus tard, quand l’éternel arrête le bras d’Abraham qui s’apprête à immoler son fils Isaac, c’était pour rire, merci, je voulais savoir si tu m’obéirais, ouf. Grand progrès. Le progrès consiste parfois à revenir en arrière.

Invention du beau


Quand le premier peintre raconte une scène de chasse sur une paroi rocheuse, c’est tellement beau, tellement dingue, tellement magique, que ce sont les « pour » qui l’emporteront. L’art figuratif nait peut-être dans la douleur. Y a peut-être guerre civile. Y en a qu’on peur de la magie. Mais le temps passe et l’utilité rejoint le magique, l’utilité abolit le superstitieux. L’œuvre d’art n’est pas qu’idole. Elle est belle. L’œuvre d’art n’est pas que belle. Elle est utile. On s’en servira pour enseigner. Pour méditer. Pour discuter. Pour fêter et adorer. Jusqu’à ce que la statue de Moloch demande qu’on lui brûle des enfants.

Droit civique


Quand Rosa Parks se lève en restant assise dans un bus, tout le monde pige pas où y a un progrès. Notez que tous les Blancs en font pas partie, de ceux qui pigent pas. Sans doute qu’une majorité s’offusque. Mais une minorité progressiste blanche existe. Et notez qu’il y a aussi parmi les Noirs des gens qui s’offusquent ! tout au moins qui sont gênés ;  qui ont peur ;  plus les habituels cons, ceux par qui les races sont vraiment égales, qui voient rien à redire à l’apartheid imposé par not’bon maître blanc. 
Romain Gary et Jean Seberg font partie de cette minorité blanche qui œuvre pour le progrès. Chien Blanc a été dressé pour s’attaquer aux Noirs. Le cleps du couple l’a ramené un soir. Excellent pote. Agréable convive. Jusqu’au jour où il s’en prend au plombier. Gary l’emmène dans un chenil et demande à un employé noir si on peut le guérir. Le gars est dubitatif, mais décide d’essayer quand même. La lutte pour déconditionner le chien fait le thème du livre. Contre toute attente, la cure réussit. Seulement le type va plus loin : il va conditionner le chien pour attaquer les Blancs. La revanche racialiste du wokisme actuel est en germe dans ce livre des années soixante. Le malheur, c’est que le retournement de la cruauté est encore un progrès pour certains.

République


Louis XVI arrêté et emprisonné, c’est un progrès. Décapité, tout un tas de cons pensent, là encore, que c’est encore un progrès. Et la kyrielle d’holocaustes qui suit, aussi. On en est pas revenu. Quand le progrès est une révolution, on est sûr que ça va vite tourner barbare. Qu’il soit jacobin ou ayatollesque, le progrès part en couille.

Femme de joie


___________________
À la fin de En nos vertes années, de Robert Merle, Pierre de Siorac, qui quitte Montpellier, ses études de médecine finies, double à la sortie de la ville un convoi. C’est une garce de la ville qu’on emmène pendre. Avec stupeur, il reconnaît Fontanette, une servante dont il était amant, qui a disparu, et qu’il a cherché partout pendant des semaines. Elle lui raconte qu’elle a été chassée par la maîtresse de maison, sur accusation de vol. Pierre va négocier avec le bourreau un étranglement discret avant pendaison, puis revient vers Fontanette.

Je tournai mon Accla et la fis repasser à côté de ma pauvre Fontanette. 
— Fontanette, dis-je, je ne t'ai mie accusée de m'avoir larronné ! Me crois-tu à présent ? 
— Hélas, je vous crois ! 
— Après ton congédiement, je t'ai cherchée partout !
— Hélas, je le sais ! J'étais à Grabels. 
— A Grabels ! Fontanette ! Mais c'est tout près de Montpellier ! J'y suis passé dix fois ! Et à tous échos clamant ton nom ! 
— Je le sais. J'avais donné le mot partout qu'on dise qu'on ne m'y connaissait point. 
— Ha, Fontanette ! En moi tu n'avais pas fiance, tu croyais Dame Rachel ! Sur quoi, s'accoisant, elle m'envisagea d'une mine à me tordre le cœur, les larmes lui coulant sur les joues…
— Et qu'as-tu fait à Grabels ? 

— J'étais servante dans un mas dont le maître m’a engrossée, m'ayant promis mariage.
— Tu n'eusses pas dû céder, dis-je, sachant que je disais mal, mais quelque jalousie peut-être poussant. 
— Ha, moussu ! dit-elle, tournant vers moi douloureuse face et me lançant un regard de reproche qui me transperça. Est-ce bien vous qui dites cela ! Vous qui m'avez mise le premier au montoir ! 
A quoi, fort vergogné, je baissai la tête, et fus un moment sans trouver salive pour parler, tant me poignait ma conscience. 
— Fontanette, dis-je à la fin, toi si bonne et si piteuse, comment as-tu pu en venir à occire ton enfantelet ? 
— Ha, moussu ! De force forcée ! Et bien contre mon cœur! Le maître me l'a commandé, me menaçant, si je ne le faisais, de me renvoyer sans un sol sur les chemins du monde ! Et comment alors aurais-je nourri mon petit, n'ayant pas même un croûton à gloutir ? Ha, moussu ! L'horrible remembrance que je me ramentevois! La minute que je fus pour poser, la mère du maître, ne voulant pas ouïr mes cris, me poussa dans la bergerie sur même paille que brebis, et c'est là que je mis bas, sans âme au monde pour m'aider et m'aimer. Et quand le pitchoune fut là, me pensant que de toute guise il irait mourir avec moi sur les chemins, j'appuyai ma main sur son nez et sa bouche, et quand j'ôtai ma main, il ne bougeait mie !

Là-dessus, ses larmes coulant de plus belle sur sa pauvre face, et secouée de gros sanglots, Fontanette dit d'une voix entrecoupée : 
— Ha, moussu ! C'est gros péché que j'ai commis là ! Et c'est bonne justice qu'on me pende! Et puisse la Vierge Marie requérir mon pardon de son divin fils ! Cependant, j'ai grande peur et frayeur de mourir, surtout par la corde.

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Que bien des siècles plus tard, on ait fini par autoriser l’avortement, c’est un progrès. Mais au grand dam de Simone Weil, qui escomptait une pédagogie, une politique d’information et de contraception, et que l’avortement lui-même soit chose peu fréquente, c’est des centaines de milliers par an en France. Et là encore, il s’agit encore de progrès pour certains. 
Il faut aussi mentionner le progrès des droits de l’individu : bientôt, on pourra peut-être de nouveau tuer le bébé à sa naissance, si la maman a changé de projet. 
Mais là, ce n’est pas de ça que je parlais quand je disais que parfois le progrès, c’est revenir en arrière.

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