Il en faut pour toute le monde. Après tout, marre d’entendre, de prononcer, d’écrire, l’expression « islamo-gauchiste ». Quelque part au fond de moi un souvenir proteste. Gauchiste, je le fus. Je le suis encore un peu. C’est pas d’ma faute si j’vote à droite à présent : la gauche française fait honte de mille façons toutes plus charmantes les unes que les autres.
Voici un nouvel extrait du livre de Boudard, L’étrange Monsieur Joseph.
Le passage précédent parle du réseau de résistance interne à la police française, nommé Honneur de la Police (pour rappel, c’est sous ce nom que le groupuscule d’extrême droite qui a assassiné Pierre Goldmann 35 ans plus tard a revendiqué son crime, entachant la mémoire du réseau résistant).
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Comprenne qui voudra, il n'empêche qu'en même temps qu'il arrose copieusement Honneur de la police, Monsieur Joseph va se charger des équipements de la Brigade nordafricaine de Lafont.
Mohamed El Maadi, nationaliste algérien, milite depuis des années pour l'indépendance de son pays, En 1939, il est emprisonné pour menées antifrançaises. L'année suivante, il sera libéré par les Allemands qui vont l'aider à publier un hebdomadaire anticolonialiste, El Rachid. Sa cause, la libération de l'Algérie, va se confondre avec les idées nationales-socialistes. Il prêche pour la victoire de Hitler qui apportera, du moins il le pense, l'indépendance de son pays, voire une union de tous les peuples musulmans. Les Allemands soutiennent les mouvements arabes qui peuvent éventuellement les aider dans leur guerre contre les Anglais. Et en plus, ils partagent leur haine des Juifs. On verra d'ailleurs le grand mufti de Jérusalem photographié à Berlin auprès du Führer.
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El Maadi est reçu par les autorités d'Occupation. Pour elles il est important que les Algériens, Marocains et Tunisiens déjà assez nombreux à vivre en France soient plutôt favorables à leur politique.
Bon accueil aussi bien à l'Abwehr qu'à la Gestapo. Le Reich ne pense pas à lever des troupes parmi les Arabes, mais cette idée viendra à Monsieur Henri. Naturellement il a rencontré El Maadi, ils ont sympathisé, Lafont a ouvert son tiroir-caisse pour aider à la publication d'El Rachid et à une association d'entraide aux Algériens chômeurs. El Maadi en échange a fourni quelques nervis arabes à la rue Lauriston.
Va naître le projet entre Lafont et El Maadi de créer une sorte de Légion nord-africaine pour combattre les maquis qui commencent à se multiplier dans les montagnes et au centre de la France. Il y a dans la capitale suffisamment de miséreux d'origine algérienne qui seraient susceptibles de s'engager dans l'aventure, ne serait-ce que pour la gamelle et d'autant plus qu'elle sonne à leurs oreilles comme une musique anti-française…
On s'ouvre de ce plan auprès du colonel Karl Boemelburg, patron d'un bureau important du S.D. Karl trouve l'idée excellente. Il adore les jeunes Algériens que lui envoie Lafont pour travailler à son service. Le régime nazi combat et condamne l'homosexualité, on expédie dans les camps les malheureux qui se font prendre dans les pissotières, n'empêche qu'il y a des arrangements avec la morale officielle. Lafont, qui a repéré le penchant de Boemelburg pour les jeunes garçons, lui en fournit l'air de rien, comme il pourvoit en filles les pontes de la Gestape plus orthodoxes dans leurs mœurs sexuelles.
Toutefois, Boemelburg ne s'avance pas jusqu'à fournir autre chose que sa bénédiction Urbi Hitler… El Maadi et Lafont devront se débrouiller par leurs propres moyens pour armer, équiper, entraîner les volontaires nord-africains. Le recrutement se fait parmi les désœuvrés, repris de justice, chômeurs ou demi-clochards. On réquisitionne un local, 101, boulevard de la Seine à Neuilly. L'histoire ne dit pas quel fut l'accueil des bourgeois du secteur... je vous laisse imaginer. On va baptiser cette étrange unité Brigade nord-africaine. En fait de brigade, il n'y aura jamais plus de trois cents soldats, très difficiles à discipliner et à encadrer. D'autant que les officiers sortent de l'école de la rue Lauriston qui est loin d'être Saint-Cyr ou Saumur. La saumure est plutôt à respirer du côté de la profession des Abel Danos, Clavié et autres Boucheseiche qui vont tout de même parader quelque temps en uniforme feldgrau. Pour la piétaille, les autorités d'Occupation ne tiennent pas à ce qu'elle porte la tenue verte de la glorieuse Wehrmacht.
C'est là qu'intervient Monsieur Joseph. Sollicité par Lafont, il va s'efforcer de régler aux mieux les difficultés de l'entreprise. Il va fournir à la Brigade des couvertures, des draps, des godasses, puis des tenues bleues qui ressemblaient, dit-il, à des salopettes de mécano, pour minimiser son rôle d'intendant, mais il investit tout de même 5 à 6 briques dans l'affaire.
Joano se justifiera plus tard en invoquant qu'il a toujours le couteau de Lafont sous la gorge et d'autre part qu'il pourra ainsi suivre les mouvements de cette Brigade, ce qui va lui permettre de renseigner Mme Lemeur, Piednoir, tous ses amis clandestins.
L'instruction révèle que c'est Marcel, le frère de Joano, qui s'occupe de transporter les coupes de drap bleu du quai de Valmy au passage Monceau, chez M. Roger, un confectionneur qui se charge de les tailler avant de les faire livrer à Clichy directement chez Joseph.
À lire toutes les dépositions, on s'embrouille un peu, ça ne présente pas un intérêt capital, sinon que les Nords-Africains finissent par être équipés, vaguement instruits au maniement d'armes et conduits en camion jusque dans la région de Périgueux où ils se livrent à des exactions... pillages, viols, assassinats qui laisseront un souvenir cuisant aux populations.
Revêtus d'uniformes S.S., Lafont et quelques-uns de ses lieutenants... Clavié, Maillebuaux, Abel Danos, Lucien Prévot, Villaplane etc., dirigent les opérations. Le détail de leur campagne guerrière est assez confus. Le plus souvent, ils sont attaqués sur les routes par les maquisards qui leur causent de gros dégâts. Lafont lui-même est blessé. Finalement il renonce... Les restes de son unité sont décimés dans la région de Tulle. On fusille les prisonniers, à moins qu'ils ne soient passés à temps chez les F.F.I. ou les F.T.P. Lafont a raté son coup. On dit qu'il espérait de la sorte démontrer à ses supérieurs allemands qu'il était un aussi bon chef de guerre qu'un policier d'exception.
Devant la Cour de justice en 1949, Monsieur Joseph qui se justifie toujours par le double jeu révèle qu'il était en même temps fournisseur en fringues et en vivres d'un maquis lyonnais.
À chaque instant on est avec lui dans l'ambiguïté. Mlle Rose Virot, une résistante, amie de Mme Lemeur, qui s'occupait avec elle d'héberger les aviateurs alliés, viendra déposer en sa faveur. Ce qu'elle dit me paraît résumer au mieux le cas Joanovici.
— J'ai l'impression que ce personnage n'ayant pas de patrie à trahir, jouait sur les deux tableaux, c'est-à-dire qu'il ménageait à la fois le présent et l'avenir.
Monsieur Joseph n'apprécia pas cet argument. Il a rencontré Rose Virot chez Mme Lemeur pour lui fournir gratuitement de faux papiers. Il est avéré qu'il ne faisait pas payer les services qu'il rendait aux gens de la Résistance. Au contraire c'est lui qui en était de sa poche lorsqu'il devait faire intervenir Lafont, Placke ou Fuchs. Quant à ses origines ceux-ci ne sont pas dupes. Dans les archives concernant la communauté israélite de Berlin, on a découvert une lettre datée du 28 juillet 1942. Elle est d'un gestapiste allemand qui étudie la situation des Juifs en France. Un passage concerne Joanovici et il est souligné rageusement« Rien à faire contre Joanovici tant que le monde des métaux servira. », Et de se plaindre de la protection dont jouit Joano auprès de Radecke. Radecke, on l'apprend par ces archives, est un ami d'enfance de Himmler. Et pourtant les services de police antijuive ont fait des recherches assez poussées concernant Monsieur Joseph... acte de naissance, de mariage des parents... , etc. Un dossier très curieux où les Allemands notent des bizarreries dans ses actes d'état civil. Conclusion qui va de soi, Joanovici est d'origine juive. Mais arrive le verdict « Joanovici nous approvisionne, il nous rend les plus grands services, laissons-le en paix. »