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Billet de blog 18 juillet 2024

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Les ennemis du peuple (comment la sagesse vient avec l’âge, épisode 3)

L’épisode 2 de ma recherche du vote perdu évoquait un premier fourvoiement, le pacifisme, rencontré à 14 ans. Le pacifisme est consubstantiel d’une négation de la notion d’ennemi, comme le souligne Julien Freund. Et l’ennemi, plutôt que de se le cacher, il convient de le distinguer. À neuf ans, en CM2, j’ai appris que le peuple en savait quelque chose.

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Illustration 1

J’ai peu de souvenirs des heures de cours de l’école primaire (davantage des récrés), trois ou quatre en CM2, peut-être davantage en cherchant, car se pencher sur le passé provoque toujours des réminiscences. Parmi ceux-ci, le sacre de Napoléon, et la déception qu’il provoque en moi. L’instituteur communiste avait sans doute favorisé le sentiment républicain, fait ressortir les divers aspects de la tyrannie qui avait suscité les mécontentements. Ou alors, dans l’hypothèse où son cours fût neutre, j’avais peut-être en moi, déjà, ce sentiment que la Révolution était un bien. En tout cas, sa version était sûrement plus proche de Soboul que de Furet. Sans doute que la fuite de Varennes et la guerre contre-révolutionnaire justifiait pleinement l’usage de la guillotine. Sans doute que la guerre de Vendée n’était pas montrée dans sa vérité : le génocide d’un peuple qui dit « non ».

La Révolution française chérit ses ennemis : le Roi tout d’abord, sa famille et sa caste. Caste agrandie de tous les gens du peuple qui demeurent royalistes. Et de régions entières qui refusent la mobilisation de ses fils pour faire la guerre à l’Europe. Seconde famille d’ennemis, les « suspects », « ceux qui ne pensent pas comme nous », septembrisés, girondins, etc. Avoir un ennemi, c’est mobiliser. La Révolution jacobine possède deux chouchous, un ennemi extérieur et un ennemi intérieur. Certains groupes politiques français actuels sont passés maîtres dans l’art d’ostraciser, de désigner, de grouper autour d’une même haine. La politique du NFP consiste en un conflit interne (sociaux-démocrates / islamo-wokisme) et un conflit externe (RN). Plus un conflit ubuesque, burlesque, grotesque, avec la macronie qui tantôt est alliée, tantôt est à jeter en tant que pouvoir « en place ».

Julien Freund (1921 - 1993), fils d’une paysanne et d’un cheminot, est un penseur du réel, pas un idéologue. Est-ce dans les maquis FTP qu’il forge son réalisme ? Il y assiste en effet à l’assassinat d’une jeune institutrice accusée à tort de collaboration. Jugée sommairement, violée par les partisans, puis abattue. Il en gardera un sombre souvenir : « Après une telle expérience, vous ne pouvez plus porter le même regard sur l’humanité. » Après une telle expérience, Julien Freund ne s’amusera pas à distinguer un camp du « bien » et un camp du « mal ». Il rigolerait peut-être de notre tripartition actuelle :  un camp du « bien », un camp du « mal », plus un « cercle de la raison ».
Dans L’essence du politique, Freund établit ses « présupposés du politique » : Commandement et obéissance, public et privé, ami et ennemi. Ces trois couples font nécessairement partie du politique.
Jean Hyppolite, refusa de diriger sa thèse parce qu’il réfutait cette nécessité d’un ennemi en politique. Il lui fit cette réponse demeurée célèbre :

« Vous pensez que c’est vous qui désignez l’ennemi, comme tous les pacifistes. Du moment que nous ne voulons pas d’ennemis, nous n’en aurons pas, raisonnez-vous. Or c’est l’ennemi qui vous désigne. Et s’il veut que vous soyez son ennemi, vous pouvez lui faire les plus belles protestations d’amitié. Du moment qu’il veut que vous soyez l’ennemi, vous l’êtes. »
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En tout cas, quand le sauveur de la République la transforme en Empire, donc en quelque chose d’encore plus tyrannique que la monarchie, le môme de neuf ans que j’étais alors se prend une douche froide. Reste cependant une épopée, des succès, républicains, il faut le dire. Car outre le génie du stratège, les succès de l’armée française sont dus à la promotion au mérite, qui accroît encore la popularité du chef. Naissance du sujet-soldat, du soldat romantique, en fait. Qui supplante le chevalier. 
C’est un ennemi qu’on n’avait pas vu venir, un empereur. Qui a enchanté les régiments pour les conduire à la mort. Qui a confisqué sans état-d’âme la République. Et qui a conduit l’Empire éphémère à une fin logique. Entraînant avec lui les espoirs humanistes, livrant la France et l’Europe à la révolution industrielle. Installant l’oligarchie dont nous souffrons toujours aujourd’hui.

Ça me rappelle Mitterrand, toutes proportions gardées, descendons même jusqu’à Macron. J’ai bel et bien voté pour ces faisans, Mitterrand, quatre fois, Macron juste deux.

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