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Billet de blog 21 janvier 2025

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La part du Lion

Pour La Fontaine, comme pour Ésope et Phèdre dont il s’inspire, et aussi dans l’aventure de notre lièvre africain, la part du lion, c’est la totalité ! Encore une expression qui vient des fables de Jean. Mais elle est de nos jours employée plus ou moins à contre sens, pour signifier la plus grosse des parts. La part d’Obélix.

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Illustration 1

Pour La Fontaine, comme pour Ésope et Phèdre dont il s’inspire, et aussi dans l’aventure de notre lièvre africain, la part du lion, c’est la totalité ! Comme le lion est roi (surtout dans le conte africain), l’apologue est politique. Doublement. Tyrannie d’un roi sur ses sujets, ou tyrannie d’un État sur ses voisins. Ce conte qui nous provient de la nuit des temps nous parle aussi d’Ukraine ou de Groënland.

Le partage de Leuk 

Bouki l’hyène aime à rôder aux alentours du palais de Gayendé le Lion. Souvent elle récolte quelque bribe du repas, les os ou les débris des pièces de gibier apportées par les courtisans. Elle se garde d’approcher trop, craignant jusqu’à l’ombre de Gayendé. 
Un jour, Bouki rencontre son cousin Till le chacal et lui dit : 
— Toi qui es plus petit que moi, tu devrais m’accompagner autour de la demeure royale. Tu pourras t’approcher plus près du lieu où se déroulent les grands festins. Je t’indiquerai les meilleurs coins et nous partagerons la pitance. 
Till, comme sa cousine, ne prend même pas la peine de réfléchir si on lui parle d’un repas possible. Il accepte donc aussitôt et nos deux goulus commencent le soir même à errer autour de la demeure du Roi. 
Pendant quelques jours l’affaire marche assez bien et Till, tel un chien domestique, arrive parfois jusque entre les convives. Il devient si familier qu’un jour Gayendé lui-même le voit et l’interpelle. Till, tremblant, prend son air le plus humble et répond : 
— Oncle Gayendé, je rêve depuis longtemps d’entrer à ton service. Je suis habile à dépecer le gibier. Je te servirai, toi et tes invités. Je ne demande en échange que quelques tripailles, peaux ou bas morceaux, dont je me nourris habituellement. 
— Soit ! dit Gayendé, je ne vois pas d’obstacle à cela. Tu seras mon valet de table, et tout ce qui sera hors des plats t’appartiendra. 
Till commence alors une vie monotone et tranquille. Dépeçant bœufs, moutons et antilopes, il se réserve les entrailles et les débris. Son zèle est exemplaire. Chaque soir il réussit à porter à sa cousine Bouki une part de son repas. Mais Bouki n’est pas contente : 
— C’est grâce à moi, cousin Till, que tu es devenu le serviteur de Gayendé. Tu dois me payer des bons conseils que je t’ai donnés. Apporte-moi de quoi nourrir ma famille. 
— Cousine Bouki, je ne puis faire plus. Pourquoi te nourrirais-je alors que tu ne travailles pas ? Si je conserve mon emploi, c’est grâce à ma bonne conduite. Je ne veux pas trahir la confiance de Gayendé. 
— Alors dis-lui que je suis sans emploi et que je veux bien me mettre à son service aux mêmes conditions que toi. 
Till est perplexe. Il craint que Bouki, par sa voracité et sa grossièreté, ne vienne jeter le trouble dans le palais de Gayendé. Cependant, il sait que s’il refuse d’intercéder en sa faveur, elle trouvera le moyen de ternir sa réputation auprès du Roi. 
Après quelques hésitations, le chacal accepte donc de parler au lion. 
— Oncle Gayendé, dit-il, tu vois avec quel zèle je te sers, mais le service est très lourd pour moi seul, surtout lorsque tu reçois tes nombreux amis. Ma cousine Bouki est aussi habile que moi à dépecer le gibier. Si tu le permets, je la prends avec moi. 
— Soit ! dit Gayendé, mais je n’aime pas beaucoup cette vorace dans ma maison. Je la place sous ta responsabilité, et tu veilles à ce qu’elle ne me vole pas. 
Till rapporte la nouvelle à Bouki et lui fait beaucoup de recommandations. 
— Surtout, ne touche pas à la viande ! Tu peux prendre tout le reste de l’animal, mais pas la viande, qui est réservée au Roi et à ses amis. 
Les premiers jours, tout se passe bien. Bouki se repaît d’entrailles, de peau et d’os, heureuse encore d’être chaque jour à pareille fête. 
Pourtant, vous vous doutez bien que la vorace ne peut tenir longtemps. À force de transporter ces beaux quartiers de viande rouge, l’envie lui prend d’y goûter. Elle commence d’abord à détacher des morceaux, comme par maladresse. Ensuite, elle laisse de plus en plus de chair autour des os. Enfin, un soir, elle commence à croquer une cuisse, et lancée sur cette mauvaise pente, la gloutonne dévore chaque jour sa part de viande. 
Till ne tarde pas à s’en apercevoir et lui en fait la remarque. 
— N’oublie pas, répond Bouki, que Gayendé te tient pour responsable de ma conduite. Si tu me fais prendre, la colère du Lion sera telle que tu en seras la première victime. 
Till sait bien qu’elle a raison, et il passe ses jours à trembler, dissimulant de son mieux les larcins de Bouki. 
Le Roi cependant, certains jours, s’inquiète de ne pas voir sa table aussi bien garnie que de coutume, et soupçonne ses domestiques.
Il appelle le chacal, le sermonne et le menace si bien que Till finit par avouer, avec prudence, qu’il soupçonne Bouki. 
Gayendé décide alors, non point de se venger, car un Roi ne se venge pas, mais de punir la coupable et s’il le faut son complice. 
À quelques temps de là, Gayendé reçoit quelques courtisans chargés de le distraire. Parmi eux Golo le singe et Leuk le lièvre sont au premier rang, faisant mille tours et racontant de belles histoires. 
Gayendé est de fort belle humeur. Aiguillonné par le récit des mille ruses de Leuk, il repense à ses serviteurs, et surtout à Bouki la vorace. Il les appelle aussitôt. 
Till s’avance, l’oreille au vent. Bouki le suit, les yeux fuyants, l’air coupable avant même d’être accusée. 
— Voici mes deux meilleurs serviteurs, dit Gayendé à ses courtisans. Ils n’ont pas leurs pareils pour dépecer ma viande et servir mes repas. J’ai décidé de choisir aujourd’hui quel est le plus habile. 
L’assistance applaudit courtoisement et Bouki reprend courage devant ce beau compliment. Son inquiétude revient quand Gayendé ajoute : 
— Chacun connaît l’intelligence de Leuk-le-Lièvre. Il va choisir les épreuves du concours. Son choix sera certainement des plus heureux. 
Leuk s’approche du Roi et appelle Bouki. On vient d’apporter la chasse du matin : un bœuf superbe, un gros bélier, et une très petite antilope. 
— Bouki, demande Leuk, tu vas nous dire comment partager ce gibier entre nous-trois : Gayendé notre Roi, toi-même Bouki sa servante, et moi Leuk le Lièvre, chanteur ambulant. 
Bouki ne prend guère le temps de la réflexion :

— Je donne le bœuf à mon Roi. Je prends pour moi le bélier, et, à toi qui es le plus petit, je te laisse...

Elle n’a pas le temps d’achever. La patte du Lion s’abat sur elle et lui brise les dents dont les éclats volent de toutes parts aux pieds de Leuk.
 Bouki, hurlant de douleur, se réfugie dans l’assistance, gémissante et honteuse. Mais elle attend le tour de Till et sa réponse. Le chacal s’avance à son tour. Leuk l’interpelle :

— Nous attendons ta réponse, Till. J’espère qu’elle sera meilleure que celle de ta cousine.

Imaginez le pauvre Till devant le Lion. Lui qui par nature est déjà instable, ne cesse de bouger les pattes, les oreilles, la queue ; il réfléchit, hésite. Enfin, il se décide :

— Oncle Gayendé, je pense qu’il est juste que tu aies la plus belle part ! Aussi, je te donnerais le bœuf. Le bélier irait à Leuk, parce qu’il est ton invité, et je garderais pour moi la plus petite part.

Till a juste le temps de baisser la tête quand passe la griffe de Gayendé. Il s’en tire en y laissant une oreille, qui coupée au ras de la tête, vient s’aplatir aux pieds de Leuk.
 Alors Gayendé, encore plein de colère, s’écrie :

— Voilà ce que valent mes serviteurs ! Mais toi, Leuk, toi qui poses si bien les questions, sans doute as-tu aussi une réponse ? Je serais heureux de l’entendre.

Leuk n’avait pas prévu cela. Un peu surpris, il s’avance vers le Lion. Quelques courtisans ricanent. Bouki et Till se réjouissent : « Ah ! Ah ! pensent-ils, voilà une consolation à nos malheurs. Pourvu que Leuk y laisse ses deux oreilles ! »
 Vous savez que la cervelle de Leuk travaille très vite ; aussi, presque sans hésiter, il s’incline devant Gayendé et répond :

— Oncle Gayendé, mon bon Roi, je pense que le bœuf est pour toi, puisque tu es le plus noble d’entre nous. Le bélier, je te l’accorde également, car tu es le plus puissant Seigneur de la Brousse. Cette petite antilope, je pense qu’elle te revient aussi car tu es le plus juste et le meilleur des monarques. 
Gayendé redresse la tête, heureux et satisfait. Il regarde Leuk avec tendresse et lui dit : 
— Je vois que tu es vraiment le plus intelligent de mes sujets. Mais dis-moi, quels sont les Maîtres qui t’ont enseigné à si bien partager ? 
Alors Leuk le Lièvre s’incline et répond : 
— Sire, les deux Maîtres qui m’ont inspiré ma réponse, j’ai reçu ici-même leur enseignement : ce sont les dents de l’hyène et l’oreille du chacal ! 
Gayendé rit encore, dit-on, de cette bonne histoire.
Le conte ne dit pas si les dents de Bouki et l’oreille de Till ont repoussé.
 Depuis, vous pouvez voir, dans la brousse, Till le chacal perpétuellement inquiet. Et Bouki l’hyène, si vous l’avez entendue ricaner, vous savez alors que son rire n’est pas gai, comme celui d’Oncle Gayendé, le puissant Roi de la Brousse. Quant à Leuk, comptez sur lui pour protéger en toutes circonstances ses longues et précieuses oreilles. 

Illustration 2


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La Génisse, la Chèvre, et la Brebis, en société avec le Lion

La Génisse, la Chèvre, et leur soeur la Brebis,
Avec un fier Lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,
Et mirent en commun le gain et le dommage.
Dans les lacs de la Chèvre un Cerf se trouva pris.
Vers ses associés aussitôt elle envoie.
Eux venus, le Lion par ses ongles compta,
Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. « 
Puis en autant de parts le Cerf il dépeça ;
Prit pour lui la première en qualité de Sire :
« Elle doit être à moi, dit-il ; et la raison,
C’est que je m’appelle Lion :
A cela l’on n’a rien à dire.
La seconde, par droit, me doit échoir encor :
Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort
Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.
Si quelqu’une de vous touche à la quatrième,
Je l’étranglerai tout d’abord.

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