
Agrandissement : Illustration 1

Fête païenne
Fête ancienne
Fête du gel
d’avant Noël
Déjà on sait
que le jour s’agrandira
que la vie chaude refleurira
que la lumière reviendra.
Résilience automatique
Solstice de guerre
En 1945, l’humanité touchait le fond de la piscine
et allait remonter. Deux témoignages saisissants, à des titres divers :
1) https://www.ina.fr/video/I05138866
2) Un jour, Margot est arrivée, radieuse. On a couru place des Quinconces. Ma mère m'y emmenait parfois avant la guerre pour prendre l'air et jouer autour d'un énorme bouquet de chevaux en bronze qui crachaient de l'eau. Les chevaux avaient disparu, il y avait foule ce jour-là. On se parlait, on riait et tout le monde s'étreignait. J'étais très étonné de voir des inconnus enlacer Margot qui se laissait embrasser en riant. J'entendais des mots joyeux : « Hiroshima... fin de la guerre... deux cent mille morts. » Une joie folle, la guerre était finie ! On s'attendait à plusieurs millions de morts au Japon, mais grâce à la bombe atomique, il n'y en aurait que deux cent mille : la bonne affaire, la guerre était finie ! C'est alors que j'ai revu la jolie infirmière, celle qui m'avait procuré des boîtes de lait concentré, celle qui m'avait fait signe de plonger sous la dame mourante. Je crois qu'elle est venue chez Margot pour m'inviter à passer quelques jours avec elle et son fiancé au Grand Hôtel de Bordeaux, en face du théâtre. Le général de Gaulle devait y faire un discours et elle avait obtenu que ce soit moi qui lui remette un bouquet de fleurs. Le fiancé me plaisait parce que je le trouvais élégant dans son uniforme bleu de marin. Sa casquette surtout était magnifique avec ses broderies dorées. Il me l'a prêtée, j'ai fait le pitre en prenant des airs martiaux : grand succès ! Tout le monde riait, puis les fiancés se sont mis à l'écart pour bavarder intimement. J'ai découvert des rideaux, serrés par une cordelette dorée que j'ai aussitôt empruntée pour me faire une casquette imaginaire. Frayeur du jeune couple qui s'est fâché parce qu'ils ont cru que j'avais arraché les fils de la casquette du marin. Je me souviens du sentiment d'injustice et de tristesse que j'ai éprouvé parce que j'avais fait de la peine à des gens que j'admirais et qu'ils m'avaient cru capable de faire une telle bêtise : petit contresens entre les générations. Le lendemain, Margot n'était pas contente parce que les fiancés m'avaient emmené au théâtre et que, ce soir-là, le spectacle était donné par des danseuses nues, couvertes de plumes. Margot fâchée disait : « Ce n'est pas bien pour un petit garçon. » Moi, j'avais trouvé ça plutôt bien : petit désaccord entre les générations. La nuit précédant la cérémonie, j'ai entendu un grand remue-ménage dans le couloir de l'hôtel. Je suis sorti de ma chambre et j'ai vu, assis sur une chaise, un homme qui pleurait. Il se tenait la tête et son visage saignait. Un FFI en armes a expliqué : « C'est un milicien qui a réussi à pénétrer dans l'hôtel, il voulait assassiner de Gaulle. » D'autres hommes armés, debout près du milicien, lui envoyaient de temps en temps un coup de crosse, un coup de poing, un coup de pied. L'homme saignait et pleurait. Le matin, il est tombé de tout son long, lentement tué par un coup par-ci, un coup par-là. Ce lynchage a été ma première déception politique. Je devais avoir 7 ans, j'aurais aimé que mes libérateurs qui venaient de vaincre l'armée allemande manifestent un peu plus de noblesse. Mes héros s'étaient comportés comme des miliciens. J'aurais tant voulu qu'ils ne leur ressemblent pas !
Sauve-toi, la vie t'appelle Boris Cyrulnik