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Billet de blog 29 juin 2019

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La démagogie expliquée aux enfants de 7 à 777 ans

Parole et action politique en régime vérolé. Analyse de J.K. Rowling.

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C’est la sixième année d’études à Poudlard. Harry et ses amis Ron et Hermione ont seize ans. Cette métamorphose-là n’a rien de magique : ils sont à présent hommes et femme.
À la fin de l’année précédente, le ministère de la magie a dû s’avouer la vérité, et l’avouer : Voldemort est bel et bien revenu. Harry avait raison. Et par dessus le marché, il est question d’une prophétie le concernant en même temps que Voldemort, Harry serait le héros annoncé pour mettre à bas le Seigneur des Ténèbres. Le ministre Cornélius Fudge n’a pas résisté à l’aveu de son incompétence et de sa sottise. L’ancien directeur du bureau des Aurors (nous, nous dirions chef de la police et de l’anti-terrorisme) Rufus Scrimgeour l’a remplacé. L’infâme professeure Ombrage, que Fudge avait instituée Grande Inquisitrice de Poudlard, a quitté l’école, malmenée par la révolte étudiante et par l’hybride honni, le centaure Firenze.
Par ailleurs, on a trouvé des boucs-émissaires à mettre en prison pour les méfaits commis par les Mangemorts, qui reprennent du poil de la bête hideuse.

Harry passe ses vacances de Noël au sein de la famille Weasley. Prétextant accompagner son assistant Percy Weasley dans une visite à sa famille, Scrimgeour a cherché à obtenir un entretien avec Harry.

— Depuis que je suis entré en fonctions, j’ai espéré trouver l'occasion de m'entretenir avec vous mais Dumbledore — et c'est très compréhensible de sa part — a empêché cette rencontre.
Harry, toujours silencieux, attendit.
— Il y a eu tellement de rumeurs autour de vous ! continua Scrimgeour. Bien sûr, nous savons tous les deux à quel point ces histoires sont déformées… Tous ces ragots au sujet d'une prophétie… Ou ce surnom d'Élu qu'on vous a donné…
Ils abordaient à présent la raison de sa visite, songea Harry.
— J'imagine que Dumbledore a évoqué tout cela avec vous ?
Harry hésita, se demandant s'il devait mentir ou pas. Il contempla les minuscules empreintes de pas laissées par les gnomes autour des massifs de fleurs et les traces de lutte à l’endroit où Fred avait capturé le gnome vêtu d'un tutu qui ornait à présent l'arbre de Noël. Finalement, il décida de dire la vérité… en partie tout au moins :
— Oui, nous en avons parlé.
— Ah, vraiment, vraiment…, dit Scrimgeour.
Du coin de l’œil, Harry vit qu'il l’observait et il fit semblant d'être soudain très intéressé par un gnome qui venait de montrer sa tête sous un rhododendron gelé.
— Et que vous a raconté Dumbledore ?
— Désolé mais c'était une conversation privée, répliqua Harry.
Il avait parlé d'une voix aussi aimable que possible et le ton de Scrimgeour fut tout aussi léger et amical lorsqu'il lui déclara :
— Oh, bien sûr, si c'est confidentiel, je ne veux surtout pas que vous révéliez quoi que ce soit… non, non… D'ailleurs est-ce si important de savoir si vous êtes l’Élu ou pas ?
Harry réfléchit quelques instants avant de répondre :
— Je ne saisis pas très bien ce que vous voulez dire, monsieur le ministre.
— Bien entendu, pour vous, c'est d'une très grande importance, assura Scrimgeour en éclatant de rire. Mais pour la communauté des sorciers en général… Tout dépend des points de vue, n'est-ce pas ? L'essentiel, c'est ce que les gens croient.
Encore une fois, Harry resta muet. Il voyait plus ou moins où Scrimgeour voulait en venir mais il n'avait pas l'intention de l’aider à y arriver plus vite. À présent, le gnome creusait au pied du rhododendron pour chercher des vers et Harry ne le quitta pas des yeux.
— Les gens croient que vous êtes l'Élu, comprenez-vous, reprit Scrimgeour. Ils vous voient comme un héros — ce que vous êtes, sans aucun doute, Harry, élu ou pas ! Combien de fois avez-vous affronté Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom ? Quoi qu'il en soit, poursuivit-il sans attendre de réponse, le fond des choses, c'est que pour beaucoup, vous êtes un symbole d'espoir, Harry. Vous incarnez l'idée que quelqu'un sera peut-être capable un jour de terrasser Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom — alors, bien sûr, pour eux, c'est une raison de retrouver le moral. Et je ne puis m'empêcher de penser qu'étant conscient de cela, vous considérerez, disons, presque comme un devoir de soutenir le ministère afin de redonner confiance à chacun.
Le gnome avait réussi à attraper un ver qu'il tirait de toutes ses forces pour essayer de l'arracher du sol gelé. Harry resta si longtemps silencieux que Scrimgeour, les regardant tour à tour, le gnome et lui, finit par dire :
— Drôles de petits bonshommes, n'est-ce pas ? Alors, qu'en pensez-vous ?
— Je ne comprends pas très bien ce que vous voulez, répondit Harry avec lenteur. « Soutenir le ministère »… qu'est-ce que ça signifie ?
— Oh, rien de très contraignant, je peux vous l'assurer. Si par exemple, on vous voyait entrer au ministère ou en sortir de temps en temps, ce serait suffisant pour faire bonne impression. Et bien sûr, quand vous seriez là-bas, vous auriez toutes possibilités de vous entretenir avec Gawain Robards, mon successeur comme directeur du Bureau des Aurors. Dolores Ombrage m'a dit que vous nourrissiez l'ambition de devenir Auror. Voilà quelque chose qu'on pourrait très facilement arranger…
Harry sentit la colère bouillonner au creux de son estomac.
Ainsi donc, Dolores Ombrage était toujours au ministère ?
— En somme, dit-il, comme s'il voulait clarifier la situation, vous voudriez donner l'impression que je travaille pour le ministère ?
— Tout le monde se sentirait stimulé si on pensait que vous êtes engagé à nos côtés, affirma Scrimgeour, apparemment soulagé que Harry ait si vite compris. L'Élu, comprenez-vous ? Il s'agit de rendre espoir aux gens, de leur donner le sentiment que les choses bougent…
— Mais si on me voit entrer souvent au ministère, dit Harry en s'efforçant de conserver un ton amical, n'aurai-je pas l'air d'approuver l'action des autorités ?
— Eh bien, répondit Scrimgeour, les sourcils légèrement froncés, en effet, c'est en partie la raison pour laquelle nous aimerions…
— Je ne pense pas que ce soit possible, l'interrompit Harry d'un air aimable. Car, voyez-vous, je n'apprécie pas du tout certaines initiatives du ministère. L'arrestation de Stan Rocade, par exemple.
Pendant un moment, Scrimgeour ne prononça pas un mot mais son visage s'était instantanément durci.
— Vous ne pouvez pas comprendre cela, dit-il en se montrant moins habile que Harry à chasser toute colère de sa voix. Nous vivons une époque dangereuse et il faut prendre certaines mesures. Vous n'avez que seize ans…
— Dumbledore a beaucoup plus de seize ans et il ne croit pas non plus que Stan Rocade ait sa place à Azkaban, objecta Harry. Vous faites de Stan un bouc émissaire, de la même façon que vous voulez me transformer en mascotte.
Ils s'observèrent longuement, le regard dur. Enfin, abandonnant tout effort pour se montrer chaleureux, Scrimgeour lança :
— Je vois. Vous préférez — comme votre héros Dumbledore — vous dissocier du ministère ?
— Je ne veux pas qu'on se serve de moi, répondit Harry.
— Certains diraient qu'il est de votre devoir de laisser le ministère se servir de vous !
— Oui, et d'autres pourraient dire qu'il est de votre devoir de vérifier si les gens sont vraiment des Mangemorts avant de les jeter en prison, répliqua Harry qui commençait à s'énerver. Vous agissez de la même manière que Barty Croupton. Décidément, vous vous trompez toujours. Ou bien on a Fudge qui prétend que tout va pour le mieux alors que des gens se font tuer sous son nez, ou bien on a vous qui envoyez des innocents en prison en essayant de faire croire que l'Élu vous soutient !
— Vous n'êtes donc pas l'Élu ? demanda Scrimgeour.
— Je croyais que, de toute façon, ça n'avait pas d'importance, répondit Harry avec un rire amer. Pour vous en tout cas.
— Je n'aurais pas dû parler ainsi, admit Scnmgeour. J'ai manqué de tact…
— Non, vous étiez sincère, coupa Harry. C'est même une des seules choses sincères que vous m'ayez dites. Vous vous en fichez que je vive ou que je meure mais vous aimeriez bien que je vous aide à convaincre tout le monde que vous êtes en train de gagner la guerre contre Voldemort. Je n'ai pas oublié, monsieur le ministre…
Il leva son poing droit. Là, sur le dos de sa main glacée, on voyait briller les cicatrices blanchâtres laissées par les mots que Dolores Ombrage l'avait obligé à graver dans sa propre chair : « Je ne dois pas dire de mensonges. »
— Je ne me souviens pas que vous vous soyez précipité pour prendre ma défense quand j'essayais d'avertir les autres que Voldemort était de retour. Le ministère n'était pas si soucieux de m'avoir pour ami, l'année dernière.
Ils restèrent face à face dans un silence aussi glacial que le sol sous leurs pieds. Le gnome avait enfin réussi à extraire son ver de terre et le dégustait d'un air joyeux, appuyé contre les branches basses du massif de rhododendrons.
— Que prépare Dumbledore ? demanda brusquement Scrimgeour. Où va-t-il quand il s'absente de Poudlard ?
— Aucune idée, répondit Harry.
— Et si vous le saviez, vous ne me le diriez pas,j'imagine ?
— Non.
— Dans ce cas,je verrai si je peux le découvrir par d'autres moyens.
— Vous pouvez toujours essayer, dit Harry d'un ton indifférent. Mais vous semblez plus intelligent que Fudge et je pensais que vous auriez tiré un enseignement de ses erreurs. Il a essayé de se mêler des affaires de Poudlard. Résultat, vous aurez sans doute remarqué qu'il n'est plus ministre alors que Dumbledore est toujours directeur. Si j'étais vous, je laisserais Dumbledore tranquille.
Il y eut un long silence.
— Eh bien, je vois qu'il a fait du bon travail sur vous, dit enfin Scrimgeour, le regard froid et dur derrière ses lunettes cerclées de fer. Vous êtes l'homme de Dumbledore jusqu'au bout, Potter ?
— En effet, répondit Harry. Je suis content que ce soit clair entre nous.
Et tournant le dos au ministre de la Magie, il revint à grands pas vers la maison.

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