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Billet de blog 29 octobre 2025

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"Batailles" de six jours et douze jours

Raymond Aron avait préfacé le livre d'Yves Cuau publié peu après la guerre des six jours. Le livre est utile, surtout pour ceux qui parlent aujourd'hui de ce qu'ils ne connaissent pas. La préface est prémonitoire.

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Raymond Aron : Préface à Israël attaque, d'Yves Cuau, 1968

Illustration 1

J'achève de lire le récit vivant, alerte, véridique d'Yves Cuau, le jour même - 20 mars 1968 - où les journaux m'apprennent « l'action de représailles» lancée par les troupes israéliennes contre les bases de commandos arabes, situées en territoire jordanien. Le « conflit prolongé », selon l'expression de Mao Tsé-toung, continue. À l'expression courante - la guerre de Six Jours - il faudrait en substituer une autre : la bataille de six jours. 
Les conditions de l'affrontement tragique demeurent, pour l'essentiel, ce qu'elles étaient hier. Israël peut perdre la guerre en perdant une bataille ; les Arabes ont une chance de gagner la guerre, le jour où ils remporteront une seule bataille. 
Tout dérive de cette dissymétrie : du côté israélien, l'obsession de la sécurité, la conscience que chaque crise met en cause l'existence de l’État et de la nation, la doctrine de l'attaque préventive, inacceptable en théorie, inévitable en pratique ; du côté arabe, la confiance dans l'issue finale : le parti qui dispose du temps, de l'espace et du nombre l'emportera, fût-ce au siècle prochain. 
En mai-juin 1967, l'engrenaqe de la violence a été mis en mouvement par les commandos syriens traversant la Jordanie pour poser des mines ou attaquer des kibboutzim en Galilée. Répliques israéliennes, menaces d'une expédition punitive, concentration égyptienne pour dissuader le gouvernement de Jérusalem : en trois semaines l'ascension atteignait aux extrêmes et une bataille d'anéantissement laissait l'armée israélienne maîtresse du terrain. 
Bilan positif pour Israël, certes : périmètre de défense élargi, frontières plus faciles à protéger contre des troupes organisées. Mais, en contrepartie, une minorité arabe plus nombreuse, soumise à une administration militaire : l'opinion du monde, hier favorable à David contre Goliath, aujourd'hui proche de se retourner ; enfin, la paix, seul objectif valable, seule victoire authentique, toujours inaccessible. Plus inaccessible ? Moins inaccessible ? Je ne sais. 
En tout cas, alors qu'approche le premier anniversaire d'un triomphe militaire que les spécialistes ne se lassent pas d'admirer, une évidence s'impose, hélas : une fois de plus, la force n'a rien réglé. Et la formule fameuse de Hegel, dans sa Philosophie de l'Histoire, me revient à l'esprit : l'impuissance de la victoire. 
Aurait-il pu en être autrement ? Le vainqueur aurait-il dû, dans son propre intérêt, surmonter sa victoire ? Offrir à ses ennemis des conditions qui ressemblent moins à une capitulation, davantage à une réconciliation ? Se contenter d'un nouveau cessez-le-feu, sans exiger de face-à-face, avec l'espoir que l’avenir finirait par apporter ce que les armes seules ne sauraient conquérir : le consentement arabe à l'existence d'un Etat juif sur la terre de Palestine, sacrée pour les fidèles des trois religions de Livre ? 
Je me garderai d'une réponse catégorique qui semblerait marquée de pharisaïsme ou de naïveté à ceux qui, d'un côté ou de l'autre, ont le sentiment de lutter pour leur vie ou pour leur droit. 
Mais quel Juif oserait oublier la leçon du passé ? Il ne reste rien de l'image que les antisémites se faisaient hier du Juif. Selon le mot de François Mauriac, Shylok est redevenu le roi David. Aucun peuple ne manque de courage. Aucun n'accepte sans révolte l'accusation de lâcheté. Aucun ne supporte le mépris de son ennemi. 
Les deux peuples, arabe et hébreu, s'ils doivent un jour vivre en paix, devront se reconnaître réciproquement tels qu'ils sont, chacun également digne du respect de l'autre. 

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