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Billet de blog 26 juillet 2009

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Albert Jacquard : Les gavés du Nord.

Grand Merci à France-Inter, à Laurence Luret. Devant son absence, je me demandais : que devient Albert Jacquard ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Grand Merci à France-Inter, à Laurence Luret. Devant son absence, je me demandais : que devient Albert Jacquard ? Je m’aperçois que depuis des années les médias le boycottaient, le « blacklistaient ». Serait-ce à cause d’une autocensure ?

Chers enseignants, laissez tomber vos statistiques et vos critères individualisés ! Malgré les protestations des parents et les rappels de votre hiérarchie, faites réfléchir vos élèves sur ce sujet qui les concerne.

Pour les autres, si vous êtes pour la sélection naturelle dirigée, le darwinisme humain ou sociétal passez votre chemin !

Si vous pensez que dans ce monde seul le cynisme compte, que pour avoir la paix, il faut préparer la guerre, que les Africains n’ont pas pris leur destin en main, que vous êtes choisis par la force suprême, que vous êtes les élus de Dieu, que l’occident est, inévitablement, le maître du monde, que la dignité humaine est pour les naïfs, qu’il est normal de faire appel à de l’immigration choisie pour faire le ménage dans votre bureau et de laissez cette mère de famille voir ces enfants interdits d’entrée en France, une fois par an, ayez le courage de lire la suite !

Emission « Parenthèse »

par Laurence Luret
le samedi de 8h40 à 8h50

samedi 25 juillet 2009

Spécial été: regard sur la crise.... avec Albert JACQUARD

la crise d'un monde de compétition ?

http://sites.radiofrance.fr/play_aod.php?BR=4034&BD=25072009

Albert JACQUARD

philosophe

Président d'honneur du DAL, le Droit Au Logement

Nouveau livre : Le compte à rebours a-t-il commencé ?

éditeur : Stock

Verbatim de l'émission :

Laurence Luret : … si je vous ai invité ce matin, c’est pour le regard que vous portez sur cette crise que nous traversons depuis près d’un an. Rappelons qu’elle a débuté à la fin de l’été dernier. Alors d’abord, Albert jacquard, cette crise vous la trouvez absurde. D’ailleurs vous lui préférez le mot de mutation. Pourquoi ?

Albert Jacquard : Pourquoi ? Parce qu’une crise cela évoque une crise de larme. Alors on commence à pleurer et puis un beau jour on s’arrête. Une crise c’est quelque chose de provisoire. « Après la pluie, le beau temps » disait le proverbe. Alors que ce que nous vivons, c’est un changement en profondeur. Il faut comprendre que malgré tous les efforts pour revenir à l’état précédent, je crois que l’on ne pourra pas revenir à l’état précédent. C’est trop profond. Par conséquent, on est en présence d’une mutation comme disent les biologistes, les généticiens. Et cette mutation, elle peut être l’occasion de changement très en profondeur. Si bien qu’au lieu d’être triste de cet événement, Il faut se dire, c’est peut-être une opportunité formidable pour changer les choses qui sont tellement lourdes à changer.

LL : Alors une époque est donc révolue ! Mais laquelle ? Qu’est ce qui a changé fondamentalement ?

AJ : On a montré de toute évidence que ceux qui nous dirigent du point de vue économique n’y connaissent rien, parce que personne n’y connaît rien. Parce que, peut-être, il n’y a même pas d’objet à l’économie. Pour préparer ce bouquin, je me suis replongé dans des cours que j’ai suivi à l’école des Mines - il y a, pas mal, de temps -, d’un professeur qui a eu le prix Nobel, qui est Maurice Allais. Et Maurice Allais, qui s’y connaît, écrit quelque part que la notion de valeurs qui est au centre de tous les raisonnements économiques, cette notion n’a pas de sens. Ce qui fait la valeur d’un objet, d’une situation, de n’importe quoi, ce n’est pas cet objet lui-même mais c’est l’ensemble de son environnement ; un verre d’eau au milieu du Sahara n’a pas la même valeur qu’un verre d’eau dans votre studio. Par conséquent, ce qui compte quand on parle de la valeur, c’est de le définir. Alors on n’y arrive pas, ce n’est pas possible. Si bien que, si on suit ceux qui, vraiment, y ont réfléchi, on se dit qu’il y a une erreur énorme à vouloir mettre un nombre, un chiffre en face d’un concept aussi mal fichu, mal défini que la valeur.

LL : Donc la crise actuelle aurait rendu obsolète, selon vous, des raisonnements antérieurs qui posent les problèmes en terme, tout compte fait, de forces, de faiblesses, de valeurs, de non valeurs ?

AJ : Et on va pouvoir essayer de mettre des rapports entre les hommes qui ne soient pas liés au concept de valeurs et il suffit d’imaginer un certain nombre de crétineries que nous faisons. Pour moi, celle qui est la plus fondamentale, c’est d’avoir admis dans notre société occidentale que l’essentiel dans une vie c’était de l’emporter sur les autres. Oser dire à un enfant « tu sauras un gagnant », c’est finalement être criminel.

LL : Pourquoi ?

AJ : Parce qu’il n’a pas à être gagnant ni perdant. Il a à vivre, il a à construire sa vie et l’essentiel c’est de comprendre au départ de tout que, une vie d’Homme, çà se construit peu à peu en liaison les uns avec les autres. Et par conséquent, oser, vouloir être le premier, c’est déjà admettre que l’on se dissocie.

LL : Mais est-ce que çà, ce ne sont pas des propos d’un utopiste et même d’un doux rêveur ? On aimerait bien être tous comme çà.

AJ : Mais à quoi çà sert d’être un être humain ? Alors il faut en revenir, je vais essayer de préciser çà. Il faut en revenir à la définition de l’être humain. Qu’est que je suis ? Je suis un objet. Je suis fait avec des protons, des neutrons, des molécules. Donc je suis un objet. Je suis un objet vivant, parce que je fais partie des objets qui sont capables de se renouveler, de se reproduire. Mais je suis aussi un primate. Et puis en fin de course qu’est-ce que j’ai de particulier ? Ce que j’ai de particulier, c’est que j’ai la capacité à me construire moi-même en liaison avec les autres. C’est çà la grande découverte de l’humanité, le grand pas avant. Le pas en avant c’est que si je prends conscience de ce que je suis, je me dis que j’ai besoin des autres pour devenir moi et c’est cela qu’il faut apprendre à l’école. Oser monter une société sur la compétition, c’est accepter la catastrophe et c’est ça peut-être qu’il faudrait comprendre actuellement.

LL : Alors dans la même idée, on commence tout juste à parler un petit peu moins de croissance.

AJ : Il a fallu se battre.

LL : çà fait des années que vous en parlez vous. Vous voulez la décroissance.

AJ : Mais je me dis, la croissance, c’est 1, 2, 3% par an. Cela ne semble pas beaucoup mais au bout d’un siècle, c’est tellement énorme que chacun aura 20 fois plus d’objets dont il disposera que actuellement. J’aurai donc au lieu d’une voiture que j’ai actuellement, J’en aurai vingt au bout d’un siècle. Qu’est-ce que je vais en faire ? Bon ! Ce n’est pas sérieux. La notion de croissance est incompatible avec la réalité de la finitude de la planète.

LL : Oui mais alors, un des arguments inverses, c’est nous dire « sans croissance l’humanité risque de stagner ».

Et bien, ce qu’il faut c’est absolument qu’il y ait une croissance mais pas pour tout le monde, une croissance pour ceux qui ont le plus besoin de croissance, donc ceux qui sont actuellement complètement abandonnés. Il suffit admettre quelques chiffres que tout le monde connaît ; que 20% des humains possèdent 80% des richesses. On se dit que ce n’est pas durable.

LL : Oui, 500 familles les plus riches possèdent autant qu’un milliard d’Hommes.

AJ : Totalement monstrueux pour en tirer les conséquences, il faut accepter que les gavés que nous sommes – nous, les occidentaux -, que ces gavés acceptent d’être un petit peu moins gavés et on n’y perdra pas en bonheur. Donc oui, à la croissance mais à condition que ce soit une croissance, non pas de la consommation mais des bonheurs que nous avons ailleurs qu’à la consommation.

LL : Mais le contexte est très difficile économiquement, beaucoup de gens sont au chômage. Il y a beaucoup de difficultés tout autour de nous, il suffit de regarder. Pourtant on a l’impression que la prise de conscience de ce monde n’est pas encore là. Pourquoi ?

AJ : Parce ce que on n’est pas habitué à regarder le long terme. Par conséquent il faut revenir à l’exposé de ce que nous sommes, commencer par l’émerveillement devant l’être humain. Ensuite dire que la planète n’est pas mal, mais çà c’est secondaire. Quel émerveillement devant l’être humain et surtout l’émerveillement devant le fait qu’un être humain çà se construit. Ce n’est pas fourni par la nature. La nature nous fournit les gènes qui lui sont nécessaires, mais ce quelle nous donne de plus c’est la possibilité de rencontrer les autres. Et ce que je suis en tant qu’être humain, en tant que personne, c’est ce que je suis devenu. Si on dit çà devant des enfants, ils seront bien d’accord. Ils sont l’aventure à vivre qui est autre chose que l’aventure de la compétition. Il y a de quoi être écœuré se dire, surtout quand on est au bas de l’échelle : « jamais je ne pourrai quitter mon sort sauf un coup au but de temps en temps, je n’y arriverai jamais ». Donc que faire ? Si non être d’abord révolté ensuite révolutionnaire. Comment voulez-vous qu’il ne le soit pas puisqu’ils ont un destin qui est bloqué ? Et bien, il faut à nouveau débloquer les destins. Ça suppose que ceux qui actuellement consomment tout, nous les occidentaux, [ Laurence Luret : les gavés de nord comme vous les appeler ] , les gavés du Nord, ils faut qu’ils aient la possibilité, la volonté surtout de diminuer leur gavage.

LL : Albert Jacquard vous êtes aussi le produit de ce système et notamment ce système de compétition ? Vous êtes polytechnicien. Que vous a appris la vie et que retenez-vous de ce passage sur Terre que polytechnique ne vous a peut-être pas appris ?

AJ : Le but, ce n’est pas d’être celui qui comprend le plus vite. C’est celui qui comprend et qui aide les autres à comprendre à leur tour. Par conséquent, ce que j’ai appris, moi, depuis, c’est justement la richesse de ceux qui m’entouraient. Vous avez évoqué tout à l’heure « Droit Au Logement » çà m’a donné des contacts avec des gens que je n’aurais jamais rencontré autrement. Ce qui compte, c’est ce qu’on va devenir peu à peu en se fabriquant soi-même grâce aux autres. Je ne crois pas que çà soit du catastrophisme que de se dire que, on pourrait imaginer une école sans compétition. On en construit déjà quelque part. Il y en a au Québec, il y en au Luxembourg. Pourquoi pas la généraliser ? Et surtout présenter çà comme au moins conforme à la réalité humaine.

LL : Mais vous parlez souvent de la richesse des rencontres entre les Hommes. Qu’est ce qui vous a permis ou quelle rencontre vous a permis de devenir ce que vous êtes, vous, aujourd’hui, Albert Jacquard ?

AJ : Comment répondre ? Bien sûr, je peux évoquer des gens comme l’Abbé Pierre. C’est une rencontre extraordinaire et puis c’est la rencontre surtout par la lecture et par la science de tous ceux qui ont essayé de comprendre le monde : Henri Poincaré, Einstein, etc..

Ce qui reste d’Albert Jacquard d’aujourd’hui, c’est tout ce qui l’a étonné quand il a relu tous ces textes, quand il a réécouté tous ceux qui lui parlaient du monde.

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