Zone euro : l’élection doit se faire dans la clarté des programmes
(Tribune publiée dans Le Monde daté du 13 avril 2017)
Quelques semaines avant l’élection, les dirigeants politiques tiennent généralement des propos de circonstance destinés à gagner quelques points. La phrase de François Hollande désignant son « adversaire » la finance lors du meeting du Bourget et sa dénonciation du pacte budgétaire européen ont malheureusement illustré cette pratique en 2012 : un discours devant les citoyens pendant la campagne électorale, un discours à Bruxelles et dans les cabinets ministériels une fois élu.
La loi bancaire de 2013, destinée à filialiser les activités les plus risquées des banques, fut une coquille vide destinée à donner l’illusion de la réforme. Quant au pacte budgétaire, il fallut quelques semaines seulement au président élu pour abandonner, lors du sommet européen des 28 et 29 juin 2012, son engagement solennel de renégociation. Il faut éviter que de tels procédés ne soient à nouveau utilisés si l’on veut contenir les vagues populistes. Il revient aux citoyens de pousser les candidats dans leurs retranchements afin de les faire sortir de l’ambiguïté.
Il faut qu’Emmanuel Macron précise sa pensée
La politique européenne qu’ils entendent suivre a été très peu abordée jusqu’à maintenant. Benoît Hamon souhaite par exemple qu’un « parlement » de la zone euro, constitué de parlementaires issus des Parlements nationaux et du Parlement européen, puisse faire des propositions de loi, alors que cela est interdit à l’actuel Parlement européen. Comment un tel enchevêtrement institutionnel serait-il possible ? Peut-on détourner le vote des lois du Parlement national vers une assemblée ad hoc, fût-elle européenne, comme on détournerait un fleuve ?
Le plus chaud partisan d’une avancée fédérale est sans aucun doute Emmanuel Macron, même s’il modère ses propos à l’approche de l’élection. Dans un entretien au quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, le 31 août 2015, il s’était laissé aller à quelques confidences sur sa vision de l’Europe : « La zone euro a besoin de nouvelles institutions auxquelles les gouvernements nationaux transfèrent plus de souveraineté : un gouvernement économique européen fort, doté de son propre budget. »
Il ajoutait : « Le gouvernement de l’euro serait conduit par un commissaire aux compétences étendues qui pourrait attribuer des moyens d’investissement ou parler de politique du marché du travail. » Cette déclaration était passée inaperçue car prononcée dans la torpeur de l’été. Il serait maintenant utile qu’Emmanuel Macron précise sa pensée dans un souci de « vitalité démocratique », pour reprendre une expression qui lui est chère.
Les Français seraient-ils d’accord pour que la durée du travail, l’indemnisation du chômage, la politique de la fonction publique soient petit à petit décidées par un « commissaire » qui rendrait compte à un Parlement de la zone euro ?
Le malaise de la démocratie
Trois mois après la présentation de la loi El Khomri, 75 % des moins de 35 ans, 87 % des ouvriers et 72 % des employés jugeaient encore la mobilisation contre ce projet justifiée (sondage IFOP réalisé du 6 au 8 juin 2016) ! Le Parlement de la zone euro, cette fois composé exclusivement de parlementaires européens, n’aurait-il pas, aux yeux de nos concitoyens, qu’une apparence de démocratie ? Que pèseraient quelques parlementaires français dans cette assemblée cernée par les lobbies financiers ? Une telle révolution institutionnelle ne devrait-elle pas être soumise au préalable à l’approbation des citoyens pour éviter une aggravation de la crise de la démocratie ? Et comment ce bouleversement serait-il envisageable alors que 25 % seulement des Français souhaitent davantage d’intégration politique (sondage TNS Sofres-OnePoint, 29 juin 2016) ?
On ne peut avancer dans la voie européenne en procédant à des abandons de souveraineté sans le dire, comme cela a été fait trop souvent dans le passé. L’élection doit se faire dans la clarté des programmes. Sinon, d’élection en élection, le malaise de la démocratie ne fera que grandir.
Jean-Michel Naulot