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Billet de blog 23 septembre 2015

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De l'opportunité de nommer un dirigeant de banque à la tête de la Banque de France

Le 29 septembre, les Commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat vont émettre  un avis sur la désignation par le Président de la République de François Villeroy de Galhau, ancien dirigeant de la première banque française, au poste de Gouverneur de la Banque de France. Compte tenu de la place prise par le débat sur la finance depuis la dernière crise, nos concitoyens attendent avec intérêt la position des parlementaires. 

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Le 29 septembre, les Commissions des finances de l’Assemblée nationale et du Sénat vont émettre  un avis sur la désignation par le Président de la République de François Villeroy de Galhau, ancien dirigeant de la première banque française, au poste de Gouverneur de la Banque de France. Compte tenu de la place prise par le débat sur la finance depuis la dernière crise, nos concitoyens attendent avec intérêt la position des parlementaires. 

La nomination d’un banquier à cette fonction serait une première depuis la Libération. Il est arrivé qu’un Gouverneur fasse carrière dans la banque après avoir dirigé l’institution mais, dans ce sens, cela ne s’est jamais vu. La vigilance dans les nominations semblait pourtant aller de soi après une crise financière dont on mesure encore aujourd’hui les effets délétères : 40% des aides aux banques européennes non remboursées selon la BCE, dette publique très élevée, croissance anémique, chômage record. Nos concitoyens savent que cette crise s’est expliquée par une insuffisance de la régulation et une trop grande complaisance à l’égard de la finance.

C’est pour cette raison que depuis les années cinquante, les Américains s’interdisent de nommer un dirigeant de banque à la tête de la banque centrale américaine. Les années 1920 avaient en effet montré comment la nomination de banquiers d’affaires à la tête de la Federal Reserve Bank of New-York avait pu conduire à des dérives mortelles pour l’économie mondiale. Certains ont fait valoir ces jours-ci que la présidence de la Banque centrale européenne est assurée par un ancien banquier et qu’il en est de même à la tête de la banque centrale d’Angleterre. Cette évolution récente est regrettable mais on remarquera tout de même que la première nomination est intervenue après un « sas » de six ans entre le départ de la banque et la nomination  et la seconde après un « sas » de neuf ans, pas de six mois.

Au-delà du problème que peut poser la nomination d’un dirigeant de banque en termes d’opportunité et de message adressé à nos concitoyens au lendemain d’une crise financière d’une extrême gravité, on doit naturellement s’interroger sur le risque de conflit d’intérêts. Pour les décisions susceptibles d’intervenir dans le cadre de dossiers individuels, la question ne se pose pas car la règle du déport s’applique au moment de ces délibérations. En revanche, la question se pose en ce qui concerne les missions générales de la Banque de France en matière de supervision et de régulation.  

Contrairement à ce qui est dit parfois, la mise en place du Mécanisme de supervision unique des banques de la zone euro (MSU) ne s’est pas traduite pour les banques dites systémiques par un transfert pur et simple de la mission de surveillance à Francfort. Cette mission est partagée avec les banques centrales. L’actuel gouverneur Christian Noyer considère que la surveillance des grandes banques françaises est assurée de manière conjointe : « La BCE assure avec l’assistance des autorités nationales de supervision le contrôle prudentiel d’environ 120 groupes bancaires de la zone euro dont dix groupes français ». La supervision de la BCE s’opère « au sein d’équipes conjointes de contrôle » (« Joint Supervisory Teams ») et la Banque de France siège au Conseil de surveillance du Mécanisme de Supervision Unique des banques de la zone euro.

Comme Gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer préside ainsi l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) qui est en charge de la surveillance des banques et des assurances, ainsi que du traitement de leurs défaillances. L’ACPR précise sur son site qu’en 2014 « elle a confirmé son rôle actif et son influence dans le mécanisme de supervision unique, que ce soit dans le cadre des échanges avec les services de la BCE ou des discussions au sein du Conseil de surveillance prudentielle ». Elle ajoute : « Cette capacité d’influence passe bien sûr par un travail préparatoire important qui a nécessité la création d’un service de coordination ad hoc au sein de la direction des Affaires internationales de l’ACPR, mais aussi par des échanges bilatéraux avec les autres autorités nationales ».

L’ACPR participe par ailleurs très activement aux travaux du Comité de Bâle qui prépare la  régulation prudentielle internationale, notamment pour le calcul des exigences de fonds propres des banques, la définition du ratio de levier et des ratios de liquidité, les règles applicables aux bonus, les règles applicables aux portefeuilles de trading, les normes comptables, les règles particulières applicables aux banques systémiques. En 2014, l’ACPR a participé à plus de 250 groupes de travail internationaux.

Enfin, la Banque de France joue un rôle très actif dans plusieurs institutions internationales qui sont en charge de la régulation de la finance mondiale : le G20 des ministres des finances et des gouverneurs des banques centrales, le Conseil de stabilité financière auquel le G20 a délégué les travaux en matière bancaire et financière, et la Banque des règlements internationaux. La BRI, qui coordonne l’action d’une soixantaine de banques centrales, héberge le Comité de Bâle qui définit les règles prudentielles. Christian Noyer présidait la BRI depuis 2010.

A travers toutes ces fonctions, la Banque de France joue donc un rôle considérable dans la surveillance des banques françaises, grandes ou petites, dans la promotion de la gouvernance internationale et dans l’encadrement de la finance. La rigueur des règles qui s’appliqueront aux  banques dépend en grande partie de la fermeté qui sera mise en oeuvre ou non dans toutes ces instances. Dans ces conditions, la nomination d’un dirigeant de la première banque française à la tête de la Banque de France est-elle opportune ? Ne va-t-elle pas créer un conflit d’intérêt ? Le débat est pour le moins légitime, et il appartient à nos parlementaires de prendre leurs responsabilités.

Tribune de Jean-Michel Naulot, ancien membre du Collège des marchés financiers (AMF) de 2003 à 2013, publiée dans Le Nouvel Economiste du 23 septembre 2015

Ce texte a été envoyé aux membres des commissions des finances de l'Assemblée Nationale et du Sénat avec le commentaire suivant : " Cette tribune est celle d’un ancien régulateur et se veut factuelle. Elle insiste sur le rôle important que la Banque de France joue dans la supervision conjointe des grandes banques et sur l’influence qu’elle exerce dans les nombreuses réunions internationales en matière de régulation des banques. Lors des G20 de 2008-2009, les chefs d’Etat s’étaient engagés à tout faire pour mettre en application une régulation très ferme. Nous savons aujourd’hui qu’il reste encore un long  chemin à parcourir."

Lien : http://www.lenouveleconomiste.fr/de-lopportunite-de-nommer-un-dirigeant-de-banque-a-la-tete-de-la-banque-de-france-28095/

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