Compte tenu de la multiplication des délits financiers ces dernières années, il est généralement admis que la fermeté dans la répression des infractions boursières est indispensable. Nos concitoyens le disent avec une très grande insistance. Or, depuis un an, l'intervention de la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg (CEDH) dans les procédures de sanction italiennes faisait craindre une intervention équivalente en France avec comme conséquence un affaiblissement de la répression.
En définitive, la CEDH n’aura pas besoin d’intervenir. A l’occasion de l’affaire EADS, le Conseil constitutionnel vient en effet, à la surprise générale, y compris semble-t-il des personnes mises en cause, de devancer l’intervention de la CEDH en s’alignant sur la position de cette dernière.
Cette décision va bouleverser le fonctionnement des juridictions administrative et pénale en France dans le domaine des infractions boursières. Une nouvelle loi devra être élaborée afin de préciser dans quelles conditions les poursuites à l’égard des justiciables devront être aiguillées vers l’une ou vers l’autre des juridictions. A moins que des bouleversements encore plus importants ne soient envisagés. La boîte de Pandore est ouverte… Les idées ne manquent pas…
On imagine le temps qui sera nécessaire pour adopter un tel texte, les milliers d’heures de travail parlementaire et gouvernemental qui vont être consacrées à réformer un système qui marchait plutôt bien. Notre pays, dans les difficultés historiques où il se trouve, avait certainement mieux à faire.
Rappelons brièvement les faits. Dans l'affaire EADS, les avocats de la défense espéraient obtenir par le biais de deux questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) et un probable recours devant la CEDH l'arrêt des poursuites devant la juridiction pénale. Les personnes poursuivies ayant déjà été jugées et mises hors de cause par la commission des sanctions de l'Autorité des marchés financiers (AMF), les justiciables exigeaient le respect de la règle de la CEDH " non bis in idem " (une affaire ne peut donner lieu à double poursuite, ni double sanction). Contre toute attente, ils viennent d’obtenir gain de cause… devant la juridiction française !
Exigence d’exemplarité
Le maintien des deux voies administrative et pénale était pourtant indispensable pour une raison absolument essentielle, l'efficacité. En moyenne, entre l'ouverture de l'enquête et la décision de la commission des sanctions, la procédure de l'AMF dure en effet deux ans et demi. Dans une affaire très lourde comme EADS, la durée a été de trois ans et demi seulement (mai 2006, ouverture de l'enquête ; décembre 2009, décision de la Commission des sanctions). Cette célérité assez exceptionnelle en matière de justice fait l’admiration de la plupart des observateurs.
Au pénal, la durée est beaucoup plus longue. Dans le dossier EADS, nous en sommes déjà à près de neuf ans. Dans l'affaire des délits d'initié de la Société générale de 1988, le jugement n'a été rendu que quatorze ans après ! Comment une sanction peut-elle avoir valeur d'exemplarité lorsque les délais sont aussi longs ? La spécialisation et, élément non négligeable dans certaines affaires sensibles, l'indépendance des équipes de l'AMF, sont une garantie d'efficacité dans la répression. Cette exemplarité, nos concitoyens l’exigent et, de surcroît, elle contribue à la compétitivité de la place financière de Paris.
Le maintien des deux voies administrative et pénale était également nécessaire en raison de leur complémentarité, ce que l’on sait moins. La double sanction n'existe pas. La peine d'emprisonnement est du ressort du pénal. Quant à la sanction pécuniaire, elle est du ressort des deux autorités mais le cumul des sanctions est absolument interdit en vertu d'une décision ancienne du Conseil constitutionnel.
Problème de l’emprise de certaines institutions internationales
Cette absence de cumul est parfaitement respectée. Le plus souvent, l'autorité pénale s'en remet à l'AMF. Quant aux doubles poursuites, elles existent, mais dans la pratique l'autorité pénale utilise les procès-verbaux des enquêtes de l'AMF. Dans les affaires particulièrement graves, les éléments de l'enquête sont immédiatement communiqués à l'autorité pénale. La coopération entre les deux autorités est excellente, permanente. L’autorité pénale et l’autorité administrative travaillent ainsi en parfaite intelligence, dans le seul souci de l’efficacité.
C’est ce système que l’on vient de décider de bouleverser ! Pour quel profit collectif ? Aucun ! L’allongement des délais, désormais inévitable, risque de faire douter encore un peu plus nos concitoyens sur l’efficacité de leur justice. Ce dossier pose clairement le problème de l’emprise de certaines institutions internationales qui, comme l’avait très bien dit David Cameron à l’automne dernier, déjà à propos de la CEDH, étendent leur domaine de compétence de leur propre initiative alors que les Etats règlent souvent plus efficacement eux-mêmes les problèmes auxquels ils sont confrontés.
L’Europe sera plus forte lorsqu’elle se décidera à respecter le principe de subsidiarité qui est énoncé dans les traités. Ceux-ci précisent que « L’Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les Etats membres ». Entre l’efficacité de la répression et l’uniformisation du droit, un choix a été fait.
Article paru sur Le Monde.fr le 19 mars 2015 et signé en tant qu'ancien membre du Collège de l'AMF.