Il est plus aisé, toujours, de se poster du haut d’un mirador, et de sniper tout ce qui déborde de notre conformisme. Les éditorialistes de la presse dominante font ça très bien. Derrière leurs écrans, les éditorialistes du web aussi.
L'auteur des Petits soldats du journalisme et fondateur de l'excellent site Fakir, François Ruffin, n'a pas tord. Depuis quelques années, les « webzines citoyens et indépendants » ont fleuris sur la toile avec l'ambition de proposer une autre façon de faire de l'information, à la fois sur la forme et sur le fond. Souvent, il s'agit d'apporter une « contre-parole » à celle des journalistes « leaders d'opinions » assénant leurs vérités absolues, porte-voix de la pensée unique du pouvoir en place.
Malheureusement, bien souvent, ces webzines – en particulier « locaux » - finissent par retomber dans les mêmes travers en ne produisant qu'un contenu éditorialisant, en commentant sans cesse les informations de la « presse dominante » (comme s'ils ne pouvaient pas couper le cordon ombilical), en regardant le monde à travers leurs étroites meurtrières du haut de leur épaisse tour de garde, en tirant à vue, persuadés d'avoir seuls raison contre le reste du monde. « Je donne mon avis, donc je suis ».
Il est regrettable en effet que l'on ne trouve dans cette presse en ligne « citoyenne » que très peu de travail d'investigation, très peu d'enquête, très peu de contenu original. Et je vais faire mon mea culpa : en un peu moins d'un an, je n'ai dû publier qu'un ou deux « vrais» papiers (ici et là) ayant demandé un travail assez poussé de recherches et de vérifications comparable à celui qu'est censé accomplir un « vrai » journaliste. Certes, nous avons publié sur le web ou sur papier quelques informations dites « exclusives » et quelques interviews qui n'auraient pu être publiées ailleurs sous cette forme. Mais au final l'apport et l'intérêt par rapport à « la presse dominante » est sans doute assez insuffisant.
Il y a quelques jours, je lisais un article dans le quotidien local qui expliquait que les rues de ma ville étaient pleines de trous en raisons de nombreux travaux et que c'était une bonne raison pour abandonner la voiture au profit du vélo. Je me suis pris à imaginer la rédaction d'un article cinglant dénonçant une « presse aux ordres » contribuant gratuitement à la campagne publicitaire du maire en place faisant la promotion du vélo. Je me voyais déjà démontrer l'impraticabilité des pistes cyclables dans ma ville, dont l'utilité est valable uniquement pour les balades en famille sur les quelques pistes sécurisées, mais que le vélo ne saurait à l'heure actuelle remplacer la bagnole pour aller au boulot. Sauf à être suicidaire. Pourtant, je me suis abstenu.
Car il y a quinze ans (1), je « dénonçais » déjà l'indigence de la presse locale, son absence d'esprit critique, son suivisme des notables locaux ; et je prévoyais déjà sa lente agonie (concrétisée l'année dernière par la disparition dans mon département de l'édition du Cher de La Nouvelle République). A l'époque, j'étais un peu seul à faire ce constat. Mais aujourd'hui, on ne compte plus les articles sur le net qui font les mêmes analyses. Certains en font même leur gagne-pain. A quoi bon continuer à démontrer ce qui est aujourd'hui une évidence ? A quoi bon enfoncer les portes ouvertes ?
Le diagnostic de la vieille presse agonisante est largement établi. Parfois avec brio. Mais, à mon sens, les réponses apportées sont encore loin d'être convaincantes. Cela tient sans doute au fait que ce qui fait la force de cette presse « alternative » représente aussi une source d'inconvénients majeurs qui peuvent nuire à la qualité et à la quantité de ses contenus.
Les faibles coûts de production d'un webzine constituent par exemple, un avantage certain et un gage d'indépendance financière évident. Le fait que ces sites soient animés par des personnes dont ce n'est pas le métier peut sans doute être également considéré comme un atout supplémentaire pour la liberté des contenus. Mais l'obligation d'avoir un emploi « à côté » pour vivre est un frein tout aussi évident au dynamisme, à la réactivité de ces contenus. Si j'en juge mon expérience et celle de mes autres « collègues », ce que l'on nomme pompeusement le « journalisme citoyen » est souvent une sorte de loisir que l'on pratique le soir après le boulot, les samedis et les dimanches, les jours fériés et durant les vacances.
Il en résulte un journalisme de « bons coups ponctuels » qui parvient de temps en temps à doubler brillamment la « presse professionnelle ». Le reste du temps, le vide rédactionnel est comblé avec plus ou moins de talent par des chroniques « coup de gueule », des commentaires critiques d'informations parues dans la presse « officielle », des liens vers des articles intéressants repérés sur d'autres sites et des critiques de déclarations d'élus ou de bloggeurs influents du coin.
Certes, cette façon de faire n'a pas été dénuée d'intérêt jusqu'à assez récemment en ce sens où elle a permis de de développer et d'encourager une démarche participative alors que la presse traditionnelle, très en retard, se contentait encore de considérer ses lecteurs comme des consommateurs benêts d'informations. Mais avec le développement des réseaux sociaux et la généralisation des CMS facilitant les discussions dans les forums, le chemin du participatif a été largement labouré. Jusqu'à l'embourbement, parfois.
On peut considérer en effet qu'aujourd'hui, la parole du quidam est libérée sur le net : tout le monde peut exprimer un avis sur tout et n'importe quoi et c'est sans doute l'une des principales réussites des webzines.
Je pense que les webzines tels qu'ils existent et fonctionnent aujourd'hui ont probablement atteints leurs limites. Mais ils ont permis, et permettent encore de faire émerger des projets journalistiques intéressants de la part de ceux qui, venus de grands titres de la presse « papier » ont compris, tiré les enseignements et adapté cette presse dans une démarche professionnelle développant davantage de contenu d'investigation, de reportages, d'interviews, d'informations originales et un moindre suivisme des autres médias. Le travail d'un site comme MediaPart - et il ne s'agit pas de flagornerie ! - me paraît assez significatif de ce qu'ont pu apporter les webzines à la presse nationale « professionnelle » en ligne.
Là où je m'interroge cependant, c'est de savoir si des modèles « nationaux » comme MediaPart pourraient être transposables pour produire localement – toutes proportions gardées – un contenu quantitativement aussi riche et d'aussi bonne qualité qui soit viable. Je ne suis pas optimiste sur ce point. Car il est évident que les organes de presse quotidienne régionale, dans leur immense majorité, se sont montrés incapables de s'extirper de leurs vieux schémas d'après guerre avec leurs publi-reportages ringards et leurs pathétiques marronniers. Mais il est évident aussi que les webzines « amateurs » n'ont pas les moyens humains de se substituer à la « PQR » traditionnelle sur laquelle ils s'appuient d'ailleurs souvent largement. Parallèlement, j'ai pu constater que la plupart du temps, les journaux locaux professionnels en lignes qui émergent actuellement et qui sont animés par des commerciaux avec option journalisme sont... pires que les titres de la PQR et bien inférieurs au travail fourni par les webzines amateurs !
Si la presse nationale est sur le point de trouver sa voie sur le net, ce n'est visiblement pas encore le cas de la presse de proximité en dehors de sites d'informations sportives et culturelles. A défaut d'idées structurantes et novatrices, nous devrons donc encore probablement nous contenter pendant longtemps du maljournalisme de la presse dominante locale et des éditorialistes arrogants du web...
(1) – Pour info : je suis co-fondateur en 1997 du webzine de Bourges agitateur.org dont je suis toujours rédacteur. Et je participe à un projet de presse locale satirique avec « Le Berry Ripou » (www.berry-inde.org) depuis novembre 2009.