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Billet de blog 14 août 2021

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Allocation Universelle et Révolution fiscale : Un nouveau bien commun de l’humanité

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Allocation Universelle et Révolution fiscale

Plaidoyer pour un nouveau bien commun de l’humanité

L’Allocation Universelle[1] :

 Un Bien Commun révolutionnaire pour plus de Liberté !

Cette idée ancienne dont l’heure est arrivée suscite de plus en plus de débats en ces temps de régression sociale. Il faut donc être sans équivoque quant à tout ce qui pourrait donner des arguments à ceux qui, de bonne foi, pensent encore que cette avancée cacherait un potentiel de régression des droits des salariés : il s’agit du contraire. C’est pourquoi le mode de financement de cette allocation doit  être clair. Ce n’est pas aux salariés de financer cette allocation, ce revenu de base !

 De nombreux partisans d’un revenu de base seraient adeptes d’un impôt négatif[2] sur le revenu, assurant ainsi un « socle anti-pauvreté » à tous ceux passent au travers des mailles du filet de protection sociale comme le RSA, les aides au logement  et les nombreuses primes (pour l’emploi, de rentrée scolaire, de fin d’année …) qu’il remplacerait.

 Il s’agirait alors de demander aux classes moyennes, salariées ou non, d’aider les « pauvres ». Dans la situation actuelle en France cette simplification pourrait s’avérer très utile, et possible grâce au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu qu’il faudrait simplement individualiser. Cela permettrait de répondre immédiatement à l’urgence sociale. Cette idée développée avec précision et expertise notamment par Marc de Basquiat  au sein de « l’Association pour l’Instauration d’un Revenu d’Existence » (AIRE) et le philosophe Gaspard Koenig, fut reprise en partie par des personnalités politiques humanistes et fermes défenseurs d’une économie libérale.

Il est évident que ces propositions ne changeront pas la donne du point de vue du rapport de force entre Capital et Travail.

D’autres  propositions de financement ont été suggérées, par les abondancistes[3] autour de Jacques Duboin dans l’entre deux guerres et jusqu’à aujourd’hui, avec une  vigueur nouvelle par des auteurs comme André Gorz dans ses derniers écrits[4], les sociologues et économistes Philippe Van Parijs, Baptiste Mylondo, et le mouvement français pour un revenu de base (MFRB)…  Leurs modalités différentes  ne sont cependant pas toujours très précises et souvent marquées, en arrière plan, de la perspective d’une décroissance douce et conviviale.

Répondre aux réticences, notamment syndicales, de tous ceux qui doutent de l’intérêt d’une telle avancée pour l’immense majorité de la population nécessite donc d’être sans ambiguïté sur le mode de financement de cette Allocation Universelle.

Il est impératif que l’abondement d’une caisse commune et autonome de cette future allocation soit totalement indépendante des revenus du travail et des entreprises ; par conséquent, il ne doit pas s’appuyer sur un impôt sur les revenus (dont l’assiette pour le calcul concerne principalement les salaires et les autres formes de rétributions de l’activité de chacun, honoraires, droits d’auteur, commissions …) ni sur les taxes sur les sociétés avec les conséquences prévisibles sur leurs salariés.

Il ne reste donc que deux autres modes possibles de financements largement indépendants du travail : la taxation du capital personnel et celle de la consommation.

L’impôt sur le patrimoine : un transfert mesuré mais progressif des biens personnels privés vers un Bien Commun Universel.

C’est l’idée du théologien, philosophe et homme politique Thomas More à l’origine du revenu universel. Les aristocrates, propriétaires des terres en Angleterre (l’essentiel de la richesse au tout début du capitalisme), obtiennent du Parlement le droit de les clôturer (les enclosures), faisant perdre ainsi aux agriculteurs leur droit coutumier (de vaine pâture et droits communaux). More propose que les propriétaires accordent en compensation une rente aux paysans ayant perdu le droit d’usage de la terre et des communs, leur seul moyen d’existence, les obligeant pour survivre à chercher dans les villes du travail pour eux et leurs enfants ….

Ce combat au profit des masses fut perdu, mais l’idée générale est restée présente. Ce revenu donné à tous fut défendu lors des révolutions américaine et française par Thomas Paine qui proposa ceci : ceux qui possèdent les terres doivent à la communauté un loyer foncier. Aujourd’hui, dans une société démocratique, c’est une idée qui doit être soumise au peuple.

Après abolition de la taxe foncière, pour éviter une double imposition sur un même bien, nous proposons un impôt progressif sur le capital net (l’actif moins les dettes) et personnel pour chaque adulte, avec un système de tranches : une première tranche dès le premier euro et jusqu’à 1 million d’euros au taux de 1% ; une deuxième tranche de 1 à 10 millions d’euros au taux de 2% ; 3% pour la tranche de 10 à 100 millions d’euros ; 4% de 100 millions jusqu’à un milliard d’euros et 1% en plus pour chacune des tranches suivantes à chaque fois que le capital est multiplié par 10, quelle que soit sa forme et sa localisation sur la planète. L’érosion à moyen et long terme des empires financiers qui, au fil des générations, ont pu acquérir une influence politique indue, possédant une presse à leur service, serait un gage pour une démocratie plus saine.

Avec un capital privé cumulé, estimé en France entre 14 et 15 mille milliards d’euros et actuellement réparti de façon extrêmement inégalitaire, c’est une somme de l’ordre de 400 à 500 euros par mois pour chaque adulte qui serait utilisable par ce premier pilier de l’allocation universelle. De la progressivité proposée pour cette taxe sur l’actif net, il résulte que plus grande est la dispersion du capital, plus son rendement est élevé. D’autres taux et d’autres seuils entre les tranches pourraient être choisis démocratiquement, notamment pour la première tranche. Celle-ci  pourrait ne débuter par exemple qu’à cent mille euros, limitant alors de façon importante le nombre des assujettis. Mais cette taxe perdrait alors son caractère universel … et peut-être aussi par là-même une part de sa légitimité, au détriment de sa puissance et de son acceptabilité … Si les débats restent ouverts, cette base demeure :

 Tout le monde cotise, tout le monde reçoit !  

Une taxe sur la consommation

C’est de la Taxe sur la Valeur Ajoutée, la TVA dont il s’agit, à laquelle on pourrait ajouter une taxe à faible taux sur les transactions financières puisqu’elles sont aussi des actes d’achat et de vente.

Cette taxe sur la valeur ajoutée peut jouer un rôle utile à la protection du climat, si l’on fait varier ses taux en fonction de l’impact carbone du produit acheté[5]. Bien que proportionnellement davantage payée par les personnes qui n’ont pas les moyens d’épargner, cette taxe aux taux moyens actuels rapporterait une somme qui, répartie entre les 50 millions d’adultes de notre pays, permettrait à chacun de recevoir entre 300 et 400 euros mensuels. Le choix de la TVA plutôt que des taxes sur le chiffre d’affaire des entreprises, sur les bénéfices ou sur l’excédant brut d’exploitation des sociétés peut se justifier par le fait que la TVA, payée par l’acheteur final concerne toutes les marchandises et prestations, locales ou venant de l’autre bout du monde. Enfin c’est une taxe qui ne décourage pas la modernisation de l’industrie, la rentabilité des entreprises, la robotisation libérant les humains des taches répétitives les plus  fastidieuses. Il n’y aurait donc plus de distorsions de concurrence liées à la fiscalité entre fournisseurs.

Enfin, une taxe sur les transactions financières, dite Taxe Tobin (avec un taux faible de l’ordre de un pour mille), plus concevable et réalisable au niveau de la zone euro, ajouterait un bonus à l’allocation universelle, donnant ainsi à l’idée européenne une lisibilité et une popularité dont elle a bien besoin.

À partir des données de 2019 concernant la France, l’impôt sur le capital (l’ISF revigoré) comme la TVA seraient tout à fait généralisables à toute la zone Euro, avec le complément de cette éventuelle  taxe sur les transactions financières. L’Allocation Universelle serait alors pour notre pays comprise entre 700 et 900 euros, versée tous les mois à tous, individuellement, de leur majorité jusqu’à leur mort[6].

C’est ainsi que, sans toucher au statut des fonctionnaires, aux conventions collectives, aux différents régimes de retraite par répartition, aux indemnités chômage, si bien documentés par Alain Supiot dans sa leçon de clôture au Collège de France, et dans son ouvrage  Le Travail n’est pas une marchandise[7], l’Allocation Universelle devient un pilier essentiel et supplémentaire de la protection sociale de tout  citoyen.

Ces deux sources -rapidement décrites- d’abondement de la Caisse Commune de l’Allocation Universelle gérée démocratiquement, comme devaient l’être à l’origine les caisses de sécurité sociale, donneraient  à tous et à chacun les moyens d’une vie qui ne devrait plus jamais pouvoir être soumise à l’obligation d’un emploi que l’on juge indigne pour soi.

Combien de grèves, déclenchées pourtant pour la simple défense d’acquis résultant de luttes gagnées dans le passé, se sont terminées sans résultat, parce que ces salariés, acculés financièrement, ont dû reprendre le travail ? Oui, le revenu universel est un atout dans les mains des salariés.

Mais alors, un état qui perd sa TVA dans son budget est-il sans ressources ?

Les économies seraient générées par la fin des aides aux « pauvres », ce « fric de dingue » pour les RSA, APL, primes de rentrée, de Noël … et  par le coût des contrôles intrusifs et humiliants dans les vies des ayant-droits et des non ayant-droits qui approche aujourd’hui les 20 milliards d’euros. En outre, le coût de la délinquance (150 milliards d’euros), largement causée par la misère, le sentiment d’injustice sociale et le ressenti d’une non appartenance à notre société, s’en trouverait diminué et constituerait aussi une source d’économies pour les dépenses publiques. Enfin, il conviendrait de demander aux entreprises de contribuer au même niveau de charges que leurs homologues européennes, après la suppression des « dépenses fiscales » du type crédit impôt recherche, de l’ex CICE et des multiples exonérations de charges qui creusent le déficit de l’Etat et des caisses de sécurité sociale. Etat et collectivités locales doivent garder les moyens d’une politique ambitieuse au service de la population.

 C’est le rôle de l’impôt sur le revenu, progressif et personnel, d’assurer le financement de l’Etat, dans ses diverses fonctions (régaliennes, culturelles, d’éducation, de recherche) … Cet impôt personnel serait calculé comme suit :

 0% jusqu’à 12 500 euros de revenu annuel ; 10% sur la tranche de 12 500 à 25 000 ; 20% de 25 à 50 000 ; 30% de 50 à 100 000 et ainsi de suite  pour atteindre les 60% au-delà des revenus personnels de 400 000 euros par an. Ces taux ont déjà été acceptés dans le passé, sans que la croissance en ait souffert. À titre d’exemple, il resterait encore -après impôt sur le revenu- plus de la moitié de ses revenus à une personne payée 60 000 euros par mois, soit 720 000 euros par an : 361 750 pour elle, et 358 250  pour l’impôt. Le choix d’une progressivité plus douce peut être envisagé, par exemple de 8% en 8% à chaque fois que le revenu double, pourquoi pas ? Cela doit rester un choix citoyen !

La suppression de toutes les « niches fiscales », de 50 à 100 milliards d’euros selon le mode de calcul  des dépenses fiscales pour le budget de la nation pour l’année 2020, serait encore un moyen de combler le « trou » laissé par la perte de la TVA  pour l’Etat ;  bien sûr, il serait possible d’envisager des réductions forfaitaires, plafonnées à quelques centaines d’euros par personne, si leur intérêt était avéré et attesté, et si l’impact budgétaire restait limité.  

Ajoutons à cela la possibilité de création monétaire par la BCE, aujourd’hui au profit quasi exclusif des banques et des gros emprunteurs institutionnels ou privés. Elle pourrait, en gardant un contrôle sur une inflation utile et mesurée, compléter les ressources d’un état investisseur à long terme. Ces nouveaux moyens laisseraient aux collectivités locales comme à l’Etat plus que ce dont ils disposent actuellement.

Il est à noter que l’allocation universelle, donnant à tous un revenu supplémentaire imposable décalerait vers le haut le rendement de l’impôt sur le revenu.

 Pour conclure, oui, l’Allocation Universelle est un moyen de rompre avec la centralité de l’emploi contraint, mais pas avec la fin du travail dans son acception la plus large.

Le travail est remis à sa place en ce qu’il devient de ce fait un travail libéré : il suppose un contrat de travail négocié pour les salariés dans le cadre d’une convention collective, une négociation entre parties dans un rapport de forces rééquilibré.

L’équité sociale doit l’emporter sur l’iniquité capitaliste.

Dans une société d’économie mixte, avec une part libérale dans un marché réellement concurrentiel,  un secteur d’économie sociale et solidaire est à développer ainsi qu’un fort secteur public décentralisé et géré au plus près des usagers, moteur d’une planification quand le bien de tous l’exige.

 Oui, une Allocation Universelle est une avancée,  «une réforme basculante [8]» vers l’un des objectifs du conseil national de la résistance, une société libre et juste.

Jean-Noël Marzo

[1] Le revenu de base, l’allocation universelle, le socle citoyen ont été définis par consensus par les membres du MFRB et du BIEN (basic income european network) pour éviter toute ambiguïté sur cette notion.

« Le revenu de base est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur une base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement »

[2] A début de chaque mois, le fisc verse un crédit d’impôt de 500 euros, permettant de simplifier et remplacer une série de programmes sociaux, accompagné d’un taux d’imposition unique autour de 30%

[3] Ce qu’on appelle la crise 1933  Jacques Duboin Les éditions nouvelles

[4] Pour un revenu inconditionnel suffisant Colloque sur la pensée d’André Gorz Montreuil nov2012

[5] Il est possible de lier les taux de TVA des objets en fonctions de leur impact positifs ou négatifs sur l’environnement, favorisant tel ou tel type de consommation.

[6] Enfin, indépendamment de l’allocation universelle, c’est à l’état d’assurer une éducation obligatoire jusqu’à la majorité avec un système d’allocations familiales dès le premier enfant et de bourses pour tous afin que l’ensemble du coût de la vie de tous les mineurs soit assurée de façon juste, autonome et joyeuse.

[7] Le travail n’est pas une marchandise Contenu et sens du travail au XXIème siècle  Alain Supiot 2019 Ed du Collège de France

[8] Voir « Les Jours Heureux » https://les-jours-heureux.fr/

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