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Billet de blog 7 avril 2011

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Avenir du nucléaire, avenir de l'humanité

Cette note est provisoire. Elle est destinée à être discutée. Elle est donc pour le moment de la seule responsabilité du signataire et ne reflète pas nécessairement le point de vue soit de Christophe Jacquemin, soit des autres personnes s'intéressant au contenu de notre site Automates Intelligents. Les réactions que vous voudrez bien exprimer sur le présent blog seront soigneusement étudiées.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Cette note est provisoire. Elle est destinée à être discutée. Elle est donc pour le moment de la seule responsabilité du signataire et ne reflète pas nécessairement le point de vue soit de Christophe Jacquemin, soit des autres personnes s'intéressant au contenu de notre site Automates Intelligents. Les réactions que vous voudrez bien exprimer sur le présent blog seront soigneusement étudiées.

L'accident majeur qui vient de se produire à Fukushima Dai-Ichi, dont l'issu semble encore indéterminée, est considérée par beaucoup d'observateurs comme devant obliger l'ensemble des pays du monde à s'interroger sur le recours à l'énergie nucléaire. Mais nous pensons qu'il faut aller au delà. C'est sur la nature même de l'évolution des sociétés humaines que cet événement pose des questions, ainsi que sur les directions que paraît prendre cette évolution. Les guerres mondiales, ou l'explosion de Tchernobyl, avaient pu malgré leur ampleur passer pour des évènements non symptomatiques. Aujourd'hui, Fukushima s'ajoute à un long enchaînement de crises qui semblent au contraire systémiques, c'est-à-dire remettant en cause l'avenir du Système global dont nous sommes tous des composants. Les Européens sont tout aussi concernés que les Japonais. Nous voudrions dans cette première note commencer à aborder ces perspectives. Les sciences, les technologies, mais tout autant les systèmes politiques et économiques, sont mis en cause. Il faut en discuter, tout en évitant les jugements précipités ou dogmatiques.

Dans la terminologie pratiquée sur ce site, nous dirons que Fukushima pose la question de l'avenir des sociétés anthropotechniques. On peut évidemment traiter de l'avenir des sociétés humaines modernes sans faire appel à cette dernière terminologie ni aux hypothèses méthodologique qu'elle sous-tend. Il nous paraît cependant intéressant de s'y référer, compte-tenu de son caractère selon nous éclairant 1). Rappelons que nous appelons anthropotechniques les sociétés de primates apparues il y a quelques millions d'années et ayant appris à utiliser en symbiose avec leurs composants biologiques des outils technologiques ayant leurs logiques évolutives propres. Ceux-ci sont susceptibles de modifier les processus évolutifs naturels de façon plus ou moins brutale et rapide. Ce fut le cas des outils de pierre, puis du feu. C'est aujourd'hui celui des technologies industrielles, biologiques, informationnelles, observationnelles (utilisées par les sciences). Parmi elles se trouvent les technologies nucléaires.

Celles-ci permettent aux anthropos d'intervenir aux franges, sinon au coeur du processus mis en oeuvre dans la formation et l'évolution des étoiles: production d'atomes lourds par fusion d'éléments légers (hydrogène, hélium) et dans certaines conditions restitution d'énergie par fission de ces mêmes atomes lourds 2). Les systèmes ou sociétés anthropotechniques sont, dans notre approche, des superorganismes en compétition darwinienne pour l'accès aux ressources. Elles ne sont que , d'une façon de relancer de nouvelles formes de consommations non véritablement nécessaires.
Comme nous venons d el'indiquer, l'intérêt des énergies renouvelables, comme des économies d'énergies, est tout autant politique que strictement économique. Les recherches/développements comme les investissements à y consacrer, bien qu'importants, pourraient être distribués géographiquement et socialement. Ils ne seraient donc pas exclusivement le monopole des géants des secteurs énergétiques ou des industries manufacturières. Les collectivités locales, les « citoyens » pourraient s'impliquer directement, soit dans la mise en oeuvre des nouvelles sources d'énergie, soit tout autant et plus dans le domaine essentiel des économies d'énergie. Des modes de vie qui paraissent essentiels pour faire face aux crises futures pourraient en résulter: inventivité permanente, refus des modèles de consommation-gaspillage, volonté de partage social y compris au bénéfice des pays pauvres. L'avenir enfin pourra faire apparaître, car il s'agira de secteurs en inventivité permanente, des solutions technologiques ou sociétales tout à fait inattendues 8).
Tous ces avantages expliquent le fait que l'ensemble des Etats, des plus développés aux plus pauvres, mettent aujourd'hui les secteurs correspondants au premier plan de leurs programmes économiques et politiques. Mais il ne faut pas se faire d'illusions. Nous l'avons vu à propos des combustibles fossiles, ces mêmes Etats continueront pour l'essentiel à faire appel à des derniers. Nous allons voir ci-dessous ce qu'il en est de l'énergie nucléaire. Si l'on tient compte de différents facteurs de blocage que les défenseurs des énergies renouvelables n'envisagent pas volontiers, il paraît raisonnable de penser que dans les trente prochaines années la part des renouvelables de dépassera pas 30% des besoins, estimation d'ailleurs supérieure aux prévisions de l'Agence internationale précitée en charge du secteur. 9)

3.3. Le nucléaire.
Celui-ci pose des problèmes particuliers. A la site de l'accident de Fukushima.ils génèrent actuellement de nombreuses discussions. Nous devons y consacrer ici quelques développements spécifiques.
Pourquoi dira-t-on, courir tous les risques sous-jacents au nucléaire, et faire courir ces risques au monde dans son ensemble, pour un si faible résultat global soit quelques % du panier énergétique global. Les réponses sont complexes, car la maîtrise de l'énergie nucléaire peut dans une certaine mesure résumer toutes les ambitions et les contradictions de l'aventure humaine, autrement dit les ambitions des sociétés anthropotechniques qui se sont investies dans les filières à très haute technicité. Bien que moins risquée au plan global, l'exploration des planètes proches par certaines nations relève dans une certain mesure aussi de ce que certains qualifient d'aventure inutilement coûteuse.

3.3.1. Le nucléaire n'est pas une énergie comme les autres.
Nous avons vu que la compétition pouvant prendre la forme de guerres ouvertes a toujours été et demeurera sans doute longtemps un des moteurs de l'évolution des sociétés anthropotechniques. Les protestations pacifistes n'y changeront pas grand chose avant longtemps, à moins de catastrophe globale qui modifierait en profondeur les états d'esprits. Il ne faut pas oublier que ce fut la réalisation d'armes atomiques qui a poussé chacun à son tour les 5 grands du club nucléaire mondial initial (USA, Russie, Grande Bretagne, France, Chine) ) à se doter des moyens d'extraire de l'énergie à partir de la fission de l'uranium puis de la fusion de l'hydrogène. Les armées de ces pays considèrent encore par ailleurs que la propulsion atomique appliquée à certains de leurs navires demeure la seule solution permettant d'assurer autonomie à long terme et discrétion. L'arme nucléaire enfin reste partout considérée, y compris dans les pays qui n'en sont pas dotés, comme un moyen ultime mais incontournable de dissuasion. Le nombre des Etats qui ont suivi ou veulent suivre cette voie ne cesse de grandir, malgré les efforts des Cinq pour empêcher la prolifération dans le cadre du Traité du même nom. Israël, l'Inde, le Pakistan, sans doute la Corée du Nord, sont dorénavant dotés de la bombe. D'autres comme l'Iran, le Brésil, l'Afrique du Sud s'y s'efforcent plus ou moins discrètement.

Tous les programmes politiques affichant l'objectif de « sortir du nucléaire » se heurteront longtemps à cette réalité. Les industries et les laboratoires nucléaires travaillant pour la défense ne seront jamais fermés, quels que soient les risques pouvant en résulter. Les militaires et les diplomates feront valoir, sans doute à juste titre, qu'un pays comme la France renonçant à sa force nucléaire stratégique pour faire preuve de bonne volonté dans la compétition entre les nations se mettrait ipso facto sous la dépendance de pays n'hésitant pas à utiliser des armes dites conventionnelles tout aussi destructrices. Ce point est régulièrement discuté dans les cercles stratégiques européens. On peut penser que des Etats comme l'Allemagne ou l'Italie qui pour diverses raisons n'ont pas développé de « parapluie nucléaire » seraient heureux de profiter, en cas de menaces majeures, de la dissuasion offerte par la France et la Grande Bretagne, à défaut de l'appui des celle des Etats-Unis, sur lequel les Européens ne peuvent désormais plus compter 10).

Un autre atout de l'énergie nucléaire, qu'elle soit appliquée au militaire ou au civil, est qu'il s'agit d'un « vecteur de puissance ». Ce point est généralement peu mis en évidence par les Etats qui souhaitent y faire appel. On désigne par ce terme les technologies dont le développement ou l'utilisation obligent à recruter et former des équipes de haute compétence, sous la responsabilités d'administrations centralisées très proches des gouvernements. Elles nécessitent aussi une forte protection poussant à la mise en place de mesures policières de contrôle inhérentes à une vision régalienne exacerbée de la gestion publique. On peut dire la même chose des technologies ou équipements militaires ou spatiaux, comme de tous les grands réseaux centralisés et fragiles sur lesquels reposent dorénavant les sociétés civiles. Les défenseurs des autres formes d'énergie vantent au contraire leur caractère modulable et décentralisable, présenté comme plus démocratique.

Il est facile de critiquer les technologies de puissance et les administrations fortement organisées et sécurisées qui devraient en principe être chargées de les mettre en oeuvre. Mais le faire serait oublier que le siècle actuel ne sera pas celui de la facilité et de l'improvisation. Ce sera celui des crises. Ne survivront que les organisations ayant un minimum de contrôle et de cohérence dans leurs actions. L'expérience acquise dans la prévention voir dans la réparation des grandes crises naturelles, technologiques, humaines, sera une des condition de la survie. A cet égard, on peut penser qu'un pays ayant réussi pendant 50 ans à gérer l'industrie nucléaire sans catastrophes majeures sera mieux armé pour faire face aux difficultés qui s'annoncent qu'un pays s'étant dédié au tourisme et aux beaux-arts.

Il est donc particulièrement paradoxal que sous l'influence du néolibéralisme développé en Occident, voire dans des pays plus autoritaires comme la Russie et la Chine, les oligarchies au pouvoir veuillent sous-traiter les tâches nécessairement régaliennes de conception et de contrôle des industries et des activités nucléaires à des entreprises privées ne visant que le profit à court terme de leurs actionnaires. Cette même volonté de privatisation est en train de détruire les traditions militaires et aujourd'hui spatiales de pays comme les Etats-Unis ou la Russie. Les compagnies privées y assurent dorénavant, au mépris de l'intérêt général, des objectifs stratégique de long terme. Avec la sécurité des biens et des personnes, elles accaparent des responsabilités jusqu'ici confiées à des administrations militaires et civiles disposant de décennies de tradition du service public.

Il est évident que dans ces conditions, comme le montre l'exemple déplorable du Japon, la gestion « privée » de l'énergie nucléaire ne pouvait que révéler à long terme des failles désastreuses. Certes, répétons-le, le nucléaire est dangereux, mais en confier la responsabilité à des sociétés capitalistes ne peut qu'augmenter sa dangerosité. Une nationalisation s'imposerait, mais le Japon, sous l'influence du gouvernement américain champion du libéralisme l'ayant mis sous tutelle à la fin de la 2e guerre mondiale, a perdu toutes les références en matière de gestion publique dont il disposait sous l'ancien Empire du Soleil Levant - dont les militaires il est vrai firent un usage désastreux dans les années 1930-1945. Il y a tout lieu de craindre qu'en Europe la « libéralisation rampante » du gaz, de l'électricité et du nucléaire ne conduise aux mêmes catastrophes.

3.3.2. Avantages et risques spécifiques au nucléaire
Au delà des considérations de nature stratégiques, qui peuvent pousser à conserver l'industrie nucléaire comme un vecteur de puissance, d'autant plus formateur qu'il est générateur de risques, que peut-on dire des avantages et risques du nucléaire au regard des autres formes d'énergie. Le sujet a été amplement débattu. Inutile de s'y attarder ici. En ce qui concerne les avantages, d'une façon générale, même s'il ne couvre qu'une partie des besoins en énergie (essentiellement en électricité), le nucléaire permet aux pays utilisateurs de diversifier le panier énergétique, de faire appel à des emplois locaux pour la maintenance et de générer des revenus pouvant bénéficier aux collectivités locales hébergeant les sites. Pour les pays producteurs de centrales, à ces avantages s'ajoutent les économies sur les redevances versées aux pays pétroliers, l'acquisition d'une capacité exportatrice et une certaine indépendance politique, même s'ils ne disposent pas directement des gisements d'uranium nécessaires.

Au regard, jusqu'à ces dernières semaines, les risques apparaissaient statistiquement faibles, pouvant au pire se limiter à des accidents maîtrisables. Le principal reproche fait au nucléaire était son coût qui, selon les promoteurs des autres formes d'énergies, notamment les renouvelables, empêchait de développer celles-ci à l'échelle et à la vitesse dorénavant nécessaire. L'argument ne tient pas dans les pays prudents où, comme en Chine, l'appel au nucléaire reste partiel et n'assèche pas les ressources d'investissement consacrées à l'énergie en général.
Mais l'expérience du Japon conduira sans doute à réévaluer les risques au regard des avantages, même si ceux-ci demeurent incontestables. La menace d'un accident majeur pouvant rayer des régions entières de la carte, dans un pays ou pire encore dans un ensemble de pays, ne serait évidemment pas acceptable, ni par un gouvernement , ni par la communauté internationale. Mais un tel accident pourrait-il se produire, si des précautions et des sécurités particulièrement contraignantes étaient mises en oeuvre? Ce sont à ces questions que devront répondre les pays décidés à fermer leurs centrales ou à ne pas en acquérir, comme les pays décidés à conserver leurs centrales ou à en construire de nouvelles. Rappelons que la construction de dizaines de nouvelles centrales était jusqu'à présent programmée dans l'ensemble du monde.
3.3.2. Le choix d'abandonner le nucléaire.
Le nucléaire n'est pas une énergie comme les autres, en ce sens que,comme nous l'avons rappelé ci-dessus, elle touche aux bases mêmes de l'organisation de la matière-énergie. Elle est potentiellement particulièrement dangereuse en terme de production de catastrophes brutales et visibles. L'utilisation des combustibles fossiles présente des risques certains, notamment contribuer à l'effet de serre et donc aux catastrophes découlant du réchauffement climatique, mais ces risques sont plus diffus et bien plus lointains. On conçoit donc que de plus en plus de personnes demandent l'abandon de l'énergie nucléaire. Cela ne posera pas de problèmes particuliers lorsqu'il s'agira, comme ce sera le cas dans la majorité des pays, de renoncer à construire des centrales. Il faudra seulement trouver des sources d'énergies de substitution, en évitant la facilité consistant à s'en tenir aux combustibles fossiles. Bien plus difficileà faire sera le choix consistant à fermer des centrales existantes. Celles-ci produisent de l'électricité que l'on ne pourra pas obtenir d'autres sources du jour au lendemain. Chacun convient, même les anti-nucléaires les plus convaincus, que renoncer aujourd'hui au nucléaire posera de nombreux problèmes qui ne seront pas résolus avant plusieurs décennies.

Il faudra d'abord arrêter et démanteler les centrales les plus dangereuses: centrales vieillies mais encore en service dans les pays développés, centrales soit vieillies soit mal entretenues dans des pays plus pauvres. Les pires de celles-ci sont les réacteurs de type Tchernobyl encore en activités. Il faudra aussi sécuriser les entrepôts de combustibles et les décharges de déchets ou d'armes nucléaires tels que ceux laissés à l'abandon en Russie. Tout ceci demandera plusieurs années sinon plusieurs décennies, en fonction des moyens affectés. Il faudra par ailleurs que ces mesures s'appliquent à tous les pays potentiellement menacés. sans exception. A quoi bon arrêter une centrale dans un pays donné si une centrale bien plus dangereuse potentiellement demeure en activité dans un pays voisin?
Il faudra ensuite entretenir les centrales dont l'arrêt progressif aura été décidée, avant que cet arrêt puisse effectivement être concrétisé - avant notamment que de nouvelles formes d'énergie aient pu prendre le relais. Mais comment alors distinguer entre entretenir une centrale en l'état et implémenter progressivement des solutions qui la rendrait plus sûre et donc plus acceptable?
Dans les deux cas, tous les crédits affectés à ces opérations, dont le chiffrage est très difficile, seront prélevés sur des dépenses que les gouvernements ou les électorats jugeront prioritaires - y compris d'ailleurs sur les investissements destinés aux énergies renouvelables. On peut craindre que dans ces conditions, les dépenses de sécurisation soient limités au maximum, ou étalées dans le temps, quitte à espérer que les catastrophes possibles ne se produiront pas
.
3.3.3. Le choix de conserver le nucléaire
Un tel choix est caricaturé par le terme de « tout nucléaire ». Le terme n'a pas lieu d'être. Personne n'a jamais prétendu ou, en tous cas, plus personne ne prétendra après Fukushima, qu'il faudra ne conserver que le nucléaire comme source d'énergie. Ceci même en France où le nucléaire couvre environ 70% des besoins en électricité. Pour les raisons de sécurité qui viennent d'être évoquées, il faudra donc quel qu'en soit le coût programmer l'arrêt et le démantèlement des centrales les plus vieillies ou situées sur des sites reconnus comme à risques au regard de normes de sécurité renforcées. Ceci aux conditions de délais et de sécurisation que nous avons évoqué dans le paragraphe précédent. Faudrait-il renoncer pour autant à construire de nouvelles générations de centrales. Les défenseurs de l'énergie nucléaire feront valoir qu'une telle décision représenterait un véritable crime contre la science. Elle consisterait à priver de toutes compétences nucléaires, civiles ou militaires, les générations futures.
Une solution de compromis consisterait, non à remplacer toutes les centrales anciennes par des centrales de nouvelle génération, mais à mettre en place, pays par pays ayant fait le choix de conserver une compétence nucléaire, une ou deux centrales présentant le maximum de solutions de sécurité . Est-ce le cas de la solution EPR actuellement proposée par Aréva? Serait-ce le cas des solutions dites de 4e ou de 5e génération discutées dans les cercles techniques. Ce n'est pas le lieu d'en traiter ici. Mais il devrait certainement être possible de s'accorder sur des solutions de ce type, à condition qu'elles soient développées par des opérateurs non-commerciaux (autrement dit des services publics non astreints à rentabilité) et sous un contrôle démocratique permanent. Ceci veut dire aussi qu'il faudra parallèlement proscrire chez soi comme chez les autres, par un accord international en ce sens, l'appel à des solutions dites low-cost dans lesquelles certains pays se sont déjà engagés.

Corrélativement, les pays qui conserveront des centrales nucléaires devront accélérer la mise au point des énergies de fusion considérées aujourd'hui comme ne présentant pas tous les risques de la fission, fut-elle de 4e ou 5e génération. Le seul chantier en cours actuellement se trouve en France, à Cadarache, sous le nom d'Iter 11). Nous en avons souvent débattu sur ce site. C'est un honneur pour l'Europe de l'héberger, mais le site géographique lui-même est-il le mieux choisi? On notera par ailleurs qu'en mettant davantage de moyens dans la recherche consacrée à la fusion nucléaire et à toutes les technologies associées, notamment en ce qui concerne les enceintes en métaux spéciaux destinés à confiner les neutrons rapides qui seront produits, les délais du demi-siècle annoncés pour le réacteur de démonstration Iter pourraient certainement être diminués.


Conclusion. L'Europe doit mettre en place une Communauté européenne de l'énergie

On considère généralement que la construction de l'Europe ne progresse jamais mieux que dans les crises. L'Union européenne, dans son cadre juridique et politique actuel, semble avoir atteint un palier difficile à dépasser. Nous pensons que l'accident de Fukushima, au Japon, affectant l'énergie nucléaire et sa gestion dans le monde entier, ouvre une nouvelle période de crise dont le sujet dépasse le seul nucléaire. Il s'agit de l'énergie en général: quels sont les besoins en énergie? Peut-on les réduire? A quelles sources fera-t-on appel pour les satisfaire? Faudra-t-il laisser aux marchés ou confier aux Etats la responsabilité des politiques industrielles et économiques mises en oeuvre?

Ces questions se posent dans le monde entier (notamment au Japon), mais elles intéressent particulièrement l'Europe, pauvre en réserves de combustibles fossiles et dont la consommation énergétique par habitant, sans atteindre celle des Etats-Unis, est élevée. Si l'Europe veut diminuer sa dépendance au charbon et au pétrole, si le recours à l'énergie nucléaire n'est plus considéré comme une solution généralisable, il lui faudra développer les énergies renouvelables et les économies d'énergie. Mais ceci ne se fera pas sans d'importants investissements et un véritable changement de société, privilégiant la mutualisation et les échanges.
Les défenseurs du souverainisme en tireront argument pour affirmer que ce changement de société sera plus difficile dans un cadre fédéral que dans le cadre des cultures nationales. Les militants de la construction européenne, dont nous sommes, démontreront au contraire que, face aux politiques énergétiques de puissance appliquées par de grands Etats mondiaux, la politique énergétique et plus généralement la transformation de la société européenne en résultant ne susciteront les efforts nécessaires que par une mobilisation européenne d'ensemble, visant une sorte de quasi état de guerre.
Cependant, si la définition et l'application de cette mobilisation étaient confiées aux autorités européennes actuelles, dont on constate tous les jours les limites face aux égoïsmes nationaux et aux emprises des intérêts économiques non-européens, on pourrait craindre qu'il ne se passe rien. Certains ont proposé de créer une Agence européenne de l'énergie, qui disposerait par traité de fortes compétences supranationales. Ce serait mieux que rien. Mais nous pensons qu'il faudrait aller plus loin, en frappant un grand coup susceptible de marquer les esprits de chacun.
C'est pourquoi nous proposons ici de reprendre une idée qui n'avait pas reçu beaucoup d'échos mais qui nous paraît excellente: instituer une véritable Communauté européenne de l'énergie sur le modèle de l'ancienne Communauté européenne du charbon et de l'acier (12) grâce à laquelle la Communauté européenne initiale avait pu expérimenter ses procédures et sa démarche. Cette Communauté européenne de l'énergie serait dotée, dans le champ de ses compétences, d'institutions volontairement parallèles à celles de l'Union européenne, mais plus efficaces, notamment en matière de représentativité, de démocratie et de prise de décisions.
En fait, il s'agirait, dans son domaine, de la création d'une véritable Europe fédérale de l'énergie. On aurait ainsi deux assemblées, l'une représentant l'ensemble de la population, l'autre les Etats et régions, élues au suffrage universel. Le corps électoral élirait également un Président en charge d'un exécutif responsable soit devant les assemblées, soit devant le corps électoral, sur le mode du pouvoir présidentiel à l'américaine. Les citoyens électeurs, via notamment les partis politiques, seraient responsables en dernier ressort des choix de société impliqués.
Les pouvoirs de la Communauté seraient très étendus, à la hauteur de l'ampleur des questions posées aujourd'hui à l'Europe par la question de l'énergie et de ses utilisations. Leurs
contenus et leur exercice seraient, dans les limites permises par la nécessaire efficacité et continuité des prises de décisions, soumises régulièrement, comme nous venons de le voir, à l'approbation du corps électoral. Les choix et leur mise en oeuvre effective seraient également discutés en permanence dans le cadre des réseaux sociaux et de l'Internet.

Les compétences de la Communauté recouvriraient d'abord l'ensemble des responsabilités de gestion des sources de production et des réseaux de distribution actuellement assurées par divers organismes publics ou privés au sein de l'Union européenne, en premier lieu les opérateurs électriciens et gaziers. Ceux-ci seraient re-nationalisés à 100% et par ailleurs soumis à des contrôles techniques et de gestion indépendants tant des Etats que des intérêts industriels impliqués. Ces contrôles seraient particulièrement poussés en ce qui concerne les réacteurs nucléaires gérés par ces organismes, ou les opérations de démantèlement décidées à propos de certains d'entre eux.
Nous avons vu dans la présente note que les solutions énergétiques d'avenir, entraînant de véritables changements de société, y compris en terme de centralisation des décisions, concerneront le développement des énergies nouvelles et corrélativement, celui des économies d'énergies. On pourrait penser qu'il serait alors contradictoire d'en confier l'impulsion d'ensemble à un organisme central, fut-il élu et fédéral. Mais les politiques correspondantes exigeront la mobilisation de beaucoup de crédits publics et d'épargnes privées locales. Dans cet objectif, nous suggérerions de reprendre et spécialiser le projet de fonds européen d'investissement stratégique présenté dans nos contributions précédentes. Ces politiques demanderont aussi la mise en place de régulations d'ordre public en matières de tarification, de fiscalité, de protection aux frontières, de normes techniques... Tout ceci ne serait pas concevable en dehors d'une autorité européenne unique, ayant à la fois compétence technique, réglementaire et diplomatique.

En ce qui concernera l'avenir, un très important effort de recherche/développement impliquant un grand nombre d'universités, d'organismes publics (tel le CEA en France) et d'entreprises sera nécessaire. Sa coordination devra être assurée au sein de programmes européens spécifiques (beaucoup plus exigeants que ceux relevant actuellement de la recherche européenne financée par la Commission). Des budgets publics communs considérables devront y être affectés. Ce sera dans le cadre de ces actions que devront être financés et décidés les travaux intéressant la fusion et le cas échéant, les 4e et 5 générations de centrales nucléaires civiles.
Les compétences fédérales de la future Communauté européenne de l'énergie devraient aussi être étendues aux domaines régaliens de la sécurité, de la défense et de la négociation diplomatique avec les puissances extra-européennes. Si les organes de la future Communauté ne se substituaient pas entièrement à ceux en charge de ces questions dans les Etats-membres ou dans l'actuelle Union européenne, ils devraient tout au moins être étroitement coordonnées avec ces derniers.

On remarquera que nous n'abordons pas ici la question clé de l'avenir du nucléaire en Europe, particulièrement en France qui en a fait la source essentielle de production de son énergie électrique. Dans l'esprit de cette note, il s'agirait en effet de questions à traiter dans la cadre des compétences de la Communauté européenne de l'énergie proposée. Notre avis personnel sur la question, en l'absence d'une telle institution, n'aurait guère d'intérêt ici.

***
Les propositions ci-dessus seront accueillies avec le plus grand scepticisme. Comment, sur le plan de la pratique institutionnelle et politique, la Communauté de l'énergie envisagée ici, pourrait-elle coexister avec l'Union européenne? Les zones de recouvrement de compétences, sinon de conflits, seront en effet nombreuses. Pourra-t-on compter sur le corps électoral pour les résoudre?

Plus généralement, comment le maquis inextricable des intérêts nationalistes, corporatifs, technologiques, économiques et oligarchiques caractérisant le domaine de l'énergie en Europe pourrait-il tolérer une réforme constitutionnelle ayant pour premier objectif de diminuer les pouvoirs en place?
Observons seulement que si rien n'était fait, nous pourrions dire adieu à l'avenir même des sociétés européennes.

Notes

1) Référence. Jean-Paul Baquiast. Le paradoxe du Sapiens, JP. Bayol 2010
2) Chronologiquement le fission des atomes de métaux hyperlourds naturellement instables tels que le radium et l'uranium a été maîtrisée la première. La fusion demandant beaucoup plus d'énergie extérieure a été été entreprise ensuite. Elle est loin d'être encore d'être maîtrisée, sauf dans les coeurs de bombes nucléaires ou en laboratoire dans de très petits volumes assurant le confinement et la pression nécessaire.
3) Laurence C. Smith « The World in 2050 » Dutton 2010
4) Dont Martin Rees (http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2003/avr/rees.html), James Lovelock ( http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2009/mar/lovelock.html ) et Jacques Blamont (http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2004/sep/blamont.html) ...dont nous avions présenté les travaux.
5) Interview de C. De Duve. http://www.newscientist.com/article/mg20928015.400-biology-nobelist-natural-selection-will-destroy-us.html
6)Voir le livre de Hervé Kempf, « L'oligarchie c'est fini » qui résume bien cette question déterminantes des oligarchies prenant en mains l'évolution de l'ensemble de la planète (http://www.automatesintelligents.com/biblionet/2011/mar/kempf.html)
7) L'Agence internationale des énergies renouvelables (Irena, http://www.irena.org/) a été créée au sein de l'Onu en janvier 2009, sur une initiative allemande. Elle compte quelques 75 membres. Elle vient de tenir sa première assemblée générale les 4 et 5 avril à Abou Dhabi. Lieu de nombreuses tensions, elle a été en effet récupérée par l'émirat pétrolier, avec l'appui des Etats-Unis et de la France, ce qui compromet sa légitimité. L'Allemagne y reste présente, par le Centre d'innovation et de technologie implanté à Bonn.
8)Wikipedia: http://fr.wikipedia.org/wiki/Ressources_et_consommation_%C3%A9nerg%C3%A9tiques_mondiales. Voir aussi l'OCDE http://www.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/433/_C9nergie_mondiale_.html
9) On étudiera le scénario présenté par l'association negaWatt qui, insiste à juste titre, non seulement sur l'appel aux énergies renouvelables, mais sur les économies d'énergie, sous la double forme de la sobriété énergétique et de l'efficacité énergétique. Mais telles qu'exposées par cette association, ces différentes solutions ne semblent accessibles dans l'immédiat qu'à des pays ayant déjà une forte expérience industrielle et citoyenne, au rang desquels en Europe l'Allemagne et les pays scandinaves. NegaWatt http://www.negawatt.org/
10). En avril 2011, fait significatif, la Grande Bretagne vient de proposer à la France d'étudier une mise en commun des forces nucléaires stratégiques des deux pays. Cela est présenté sous l'angle des économies d'échelle. Mais on notera qu'aucun des deux pays n'envisagerait pour cette raison de renoncer à leur force de frappe.
11) Iter http://www.iter.org
12) CECA http://fr.wikipedia.org/wiki/Communaut%C3%A9_europ%C3%A9enne_du_charbon_et_de_l%27acier

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