Mon ennemi c'est la finance, avait dit François Hollande durant sa campagne. On peut s'étonner dans ces conditions de son silence, ainsi que de celui du gouvernement, à propos du scandale du Libor, qui secoue (bien que de façon très amortie, au regard de l'ampleur de la fraude)), la City de Londres. La Barclays britannique est dans le collimateur, mais divers banques européennes voire françaises, le sont aussi ou le seront.
Une manipulation, qui durait depuis quelques années, vient d'être révélée. Elle concerne le Libor (London Interbank Offered Rate) et son cousin européen Euribor, qui sont des taux interbancaires servant de référence à des produits financiers d'une valeur de 500 000 milliards de dollars. Chaque jour à 11 heures, l'Association des banquiers britanniques (BBA) et la Fédération bancaire européenne (FBE) demandent à un panel de banques à quel prix elles empruntent à leurs homologues. La moyenne des réponses permet de calculer le Libor et l'Euribor.
Les traders de Barclays et sans doute d'autres banques avaient depuis longtemps compris qu'ils pouvaient gagner de l'argent facilement. S'ils peuvent augmenter ou baisser de quelques points le taux que leur banque soumet à la BBA et à la FBE, ils pourront prévoir à l'avance l'orientation du Libor et parier sur les marchés sans prendre de risques. Pour ce faire, les traders de Barclays se sont entendus avec la division de la trésorerie de cette même banque. Le fonctionnement de celle-ci est en principe indépendant. Elle est chargée de soumettre ces taux aux fédérations bancaires. D'où l'intérêt de les corrompre.
Ceci fut fait à partir de 2005. Pendant quatre ans, quatorze traders installés à New York, Londres et Tokyo ont demandé à leurs correspondants compréhensifs de manipuler le Libor à cent soixante-treize reprises et l'Euribor à cinquante-huit reprises. Les gains illicites ainsi obtenus n'ont, on le devine, pas été chiffrés.
Après avoir truqué le Libor, les traders de Barclays ont convaincu les départements trésorerie d'autres établissements financiers d'entrer dans les manipulations. Avec la crise des subprimes, un autre type de fraude concernant le Libor est apparu, au profit d'abord de la Barclays. Depuis 2007, Celle-ci a régulièrement soumis à la BBA le taux interbancaire le plus élevé. Pour rassurer les marchés inquiets à qui elle s'adresse, elle a parallèlement choisi, à plusieurs reprises, de sous-estimer son taux. Les manipulations se sont étendues et intensifiées après la faillite de Lehman Brothers.
Les enquêtes engagées par les institutions de régulation ont fini cependant par mettre au jour une partie du mécanisme. Le patron de Barclays, Bob Diamond, a démissionné, mais il entend conserver son indemnité de départ. Paul Tucker, le numéro 2 de la banque d'Angleterre, est soupçonné d'avoir gardé le silence. Pour sa part, Michel Barnier, commissaire européen au commerce, vient de découvrir le scandale (après bien d'autres personnes). Il se prépare à durcir la révision en cours de la directive sur les abus de marchés afin d'éviter tout vide juridique et d'étendre les sanctions pénales aux opérations de manipulation d'indice.