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Billet de blog 23 décembre 2010

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Le « leaky World »

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Philippe Grasset (article référencé ci-dessous) pose une question qui est aussi celle des cosmologistes: si je suis inclus dans l'univers, comment puis-je espérer en sortir pour décrire cet univers de l'extérieur et à plus forte raison pour espérer construire (ou modéliser) un univers différent? Je dois dire qu'avec l'hypothèse que j'avais moi-même formulée, relative à l'existence de systèmes anthropotechniques qui nous incluent et nous déterminent, je me faisais à moi-même cette objection: comment, en tant qu'élément d'un système anthropotechnique tel que celui formé par des humains étroitement imbriquées dans les technologies de la communication (ce que Philippe Grasset qualifie d e "matière déchaînée "), puis-je prendre assez de recul pour juger ce même système anthropotechnique? Il y aurait sans doute des réponses, mais il serait trop long d'en discuter ici.
Concernant l'épisode CableGate, je peux volontiers admettre avec Philippe Grasset l'existence d'un Système global comprenant à la fois les Etats et les grands pouvoirs économiques d'un côté, d'un autre côté les activistes tels Assange tentant de pénétrer et diffuser leurs secrets. Mais dans cette hypothèse, il n'y a pas les mauvais d'un côté et les bons de l'autre. Les deux groupes de forces apparemment antagonistes se confortent les unes les autres. Les attaques des activistes peuvent laisser croire que les Etats sont pénétrables et ne sont donc pas aussi effrayants qu'ils apparaissent. A l'inverse, les contre-attaques des Etats à l'égard des activistes, au nom de l'autorité violée, renforcent les craintes que peuvent inspirer ces mêmes activistes aux défenseurs de l'ordre. Ceux qui attaquent et ceux qui défendent les Etats se trouvent donc simultanément encouragés. De ce fait le Système global qui les inclut en sort renforcé.
Pour Philippe Grasset, ce résultat ne provient pas d'une volonté délibérée des Etats ou des activistes. Il provient de l'auto-activité d'un Système incapable de se représenter lui-même à lui-même et a fortiori de s'auto-piloter. Il est « composé de multiples forces et sa conduite résulte, non d'une conspiration, mais de la dynamique due à ces forces (systèmes du technologisme et systèmes de la communication traduisant le "déchaînement de la matière"). Il n'y a pas de direction humaine, donc il n'y a pas de conspiration. Le réflexe du "secret" est de type pavlovien, il découle du fait évident que le Système étant par définition fermé et se voulant comme tel, il obture spontanément toutes les entrées et sorties possibles Il est constitué de forces publiques, privées, bureaucratiques, médiatiques, etc., qui, toutes sont au service de cette dynamique sans savoir quel est le but de cette dynamique, qui sont à la fois fascinées et entraînées par le seul fait de sa puissance ("idéal de puissance"). Toutes ces forces et les Sapiens qui s'y trouvent ne sont pas mauvais en eux-mêmes, mais ils le deviennent dès lors qu'ils sont dans le Système ».

Dans ces conditions, nous serions conduits, si nous acceptions ce point de vue « systémique », à nous méfier tout autant des Etats que des activistes. Mais alors comment, étant nous-mêmes inclus dans ce Système, en sortir pour le juger voire pour envisager un système différent? En sortir consisterait à refuser de saisir les informations existantes et refuser d'en émettre nous mêmes de nouvelles, autrement dit à nous enfermer dans une sorte de cachot, entièrement coupé du monde. Il s'agirait d'un suicide que nous ne ferons pas. Il en résulte que si vous me demandiez ce que devrait être un Système différent de celui que nous critiquons tous ensemble dans nos rares instants de lucidité, je serais incapable de vous répondre.
Il nous faudra vivre sans doute indéfiniment dans un monde comportant à la fois des Etats de plus en plus refermés sur eux-mêmes (ou pratiquant la contre information avec de gros moyens) et des activistes tels que WikiLeaks ou OpenLinks, dont d'ailleurs nous serons toujours tentés de nous demander « pour qui ils roulent ». Nous pourrons certes qualifier ce monde du terme de « leaky world », mais ce ne sera pas nécessairement un compliment. Ce monde sera si « leaky » et fuyant que nous ne pourrons jamais rien y construire de solide, à supposer que nous entretenions encore cette ambition dérisoire.

Nota bene: que l'on ne prenne pas ce petit article comme un soutien implicite aux attaques et poursuites menaçant actuellement Julian Assange. Je suis entièrement du côté des rédacteur de Médiapart dans la défense de ce dernier. Cependant, un peu de recul "philosophique", (si j'ose dire) , au delà de ce cas précis ne peut pas faire de mal.

Sources:
Jesse Walker Our leaky world http://reason.com/archives/2010/12/15/our-leaky-world
Philippe Grasset Puisque le Système est un bloc http://www.dedefensa.org/article-puisque_le_systeme_est_un_bloc__20_12_2010.html

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