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Billet de blog 5 avril 2022

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Pour une organisation régionale de la santé

La compétence santé doit être transférée aux collectivités territoriales et en premier aux régions et à leurs élus dans le cadre d’un vaste mouvement de décentralisation. C'est ainsi qu'il sera possible de construire un système de santé territorial et social fondé sur les besoins et la solidarité.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme l’indique les enquêtes d’opinion réalisées à l’occasion des élections présidentielles, la santé est pour les Français, après le pouvoir d’achat le sujet qui fait l’objet de leurs toutes premières préoccupations.

Aujourd’hui le constat est sévère, comme le montre une enquête de la DREES  (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) publiée en septembre 2021 selon laquelle 20% des Français, soit plus de 11 millions de personnes, connaissent des difficultés d’accès aux soins, et plus de 3% d’entre eux (soit 1,7 millions), qui vivent pour les 3/4 au sein de territoires ruraux, subissent une triple peine, puisqu’ils sont privés à la fois de médecins généralistes, d’infirmiers et de kinésithérapeutes. 

Une situation qu’explique l’avancée des déserts médicaux qui, comme le rappelait l’Association des Maires de France en décembre 2020, touchaient alors 7,4 millions de français contre 5,7 en 2016 et si rien n’est fait rapidement pour inverser la tendance, d’ici la fin du prochain quinquennat, ce sont 27 millions de personnes qui seront touchées, selon les projections réalisées en exclusivité pour l’Express par la société Iqvia, l’expert des données de santé.

Il est un autre symptôme de la dégradation de notre système de santé, celui du renoncement aux soins qui, selon un sondage réalisé par l’institut opinionway pour le journal les Échos et Harmonie Mutuelle en 2019, indiquait que 59% des personnes interrogées affirmaient avoir renoncé à des soins médicaux au cours des 12 derniers mois pour des raisons liées principalement soit à la difficulté d’obtenir un rendez-vous, au coût de la consultation, ou à l’éloignement géographique.

Il est un fait, les inégalités de santé se creusent ; certaines sont liées à la catégorie sociale à laquelle on appartient et d’autres aux territoires où l’on vit.

Et comme le rappelle Emmanuel Vigneron, Professeur d’aménagement sanitaire à l’Université de Montpellier, « la métropolisation et les glissements de population, à partir des années 80, vers les littoraux atlantique et méditerranéen ont entrainé de grands déséquilibres dans la répartition de la population. Les zones qui sont éloignées des métropoles sont devenues des zones de relégation, elles regroupent à la fois des personnes âgées et les moins riches, celles qui ont le plus besoin de santé et de solidarité ». 

Maintenant il est temps de reconnaitre que notre système de santé est incapable de garantir à tous, l’obligation constitutionnelle d’un égal accès aux soins. Cette situation est le résultat d’une gestion très jacobine, très centralisée de celui-ci, que la mise en place des Agences Régionales de Santé (ARS) n’a pas permis de réorienter, contrairement à ce qu’espéraient les élus locaux, qui ont cru (mais peu de temps) qu’elle conduirait à la prise en compte de leurs volontés territoriales. Malheureusement il n’en fut rien, les ARS ayant été conçues comme le bras armé de l’état central et non comme un transfert du pouvoir sanitaire aux conseils régionaux.

Notre démocratie sanitaire est aujourd’hui marquée du sceau d’une pensée unique, celle des hauts fonctionnaires de la santé et des grands professeurs de médecine, qui n’ont aucun compte à rendre aux élus et aux citoyens, qui privilégient la spécialisation et les économies de gestion et font fi de la nécessité de mettre en œuvre une politique de santé permettant de répondre dans la proximité aux besoins exprimés par les populations au sein des territoires. 

Car comme le précise à juste titre René Frydman, obstétricien, gynécologue des hôpitaux de Paris, « c’est la santé qui doit venir là où se trouve la demande et non l’inverse ».

C’est pourquoi aujourd’hui nous pensons que la compétence santé doit être transférée aux collectivités territoriales et en premier aux régions et à leurs élus dans le cadre d’un vaste mouvement de décentralisation. 

D’ailleurs nombre d’entre elles face à l’échec des politiques d’état n’ont pas manqué de prendre différentes initiatives dans ce domaine :

- soutien à la création de maison de santé et de centre de santé,

- recrutement direct de médecins, c’est le cas en région Centre Val de Loire,

- aides diverses, subventions, mise à disposition de locaux pour l’installation de médecins...

Notons déjà, que les régions ont en charge les écoles d’infirmières et d’aides-soignantes. 

Une proposition qui est aussi celle d’élus de sensibilités différentes comme Philippe Juvin, Chef des urgences de l’hôpital G. Pompidou et Maire de La Garenne Colombes qui indiquait dernièrement sur Europe 1 « il faut faire en sorte que la santé soit confiée aux régions... l’expérience montre que quand vous décentralisez le pouvoir central vers les collectivités les choses sont mieux faites, mieux adaptées au terrain... » Où comme Carole Delga Présidente de le Région Occitanie qui déclarait au Monde le 15 avril 2021 « il faut une nouvelle organisation de la santé dans notre pays, s’appuyant sur les Régions autour d’un système décentralisé, fort et en adéquation avec les besoins territoriaux »

Ceux qui s’opposent à un tel mouvement d’ampleur avancent deux arguments, celui-ci créerait des inégalités territoriales oubliant que celles-ci existent déjà et que l’état a fait la preuve de son incapacité à les réduire ; et il ouvrirait la porte à des décisions irresponsables, les élus régionaux étant incapables de résister à différentes pressions locales, ce que nie la réalité des faits s’agissant par exemple de la construction et de l’entretien des lycées transférés aux régions depuis un quart de siècle.

Pour nous, si ce n’est la crainte du changement et la perte de prérogatives, rien ne peut pertinemment empêcher ce transfert de compétence. Il permettra une clarification des rôles : au Ministère, la définition des grandes politiques de santé publique, à la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) l’élaboration des règles économiques et financières et aux régions le pilotage, la régulation, l’organisation et le financement de nos soins.

Ainsi demain, avec les régions et tous les acteurs locaux, il sera possible de construire un système de santé territorial et social fondé sur les besoins et la solidarité.

Jean-Paul Chanteguet

Ancien Député,

Ancien Président de la commission du Développement durable et de l’Aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale

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