Le dossier des autoroutes (1) est bien en cette rentrée un dossier des plus encombrants pour le gouvernement. Et le ministre des transports Clément Beaune ne s'y est pas trompé, lui qui dès fin juillet a souhaité prendre les devants en évoquant, compte tenu du niveau de l'inflation, le risque d'une situation qui pourrait bien dans les mois à venir se révéler explosive en matière de hausse des péages autoroutiers.
En effet , si en 2020 l'augmentation moyenne pondérée n'était que de 0,9% , le ministre évoque des progressions de 7% ou 8% au 1er février prochain, tout en indiquant que pour lui, cela est « inconcevable ». Si le gouvernement peut faire pression sur les sociétés d'autoroutes pour qu'elles limitent la hausse prévue contractuellement et qui ira, au minimum de 70% du taux de l'inflation plus 0,10% pour la SAPN, à 70% du taux de l'inflation plus 0,39% pour ASF; il peut aussi décider de bloquer autoritairement les péages.
Mais nourri de l'expérience, nous savons ce qui se passera. Comme en 2015, lorsque Ségolène Royal ministre de l'écologie et des transports décida de ne pas appliquer les clauses de revalorisation, les sociétés déposeront immédiatement différents recours et obtiendront gain de cause au travers d'un rattrapage du prix des péages sur les années suivantes.
Avec le retour de l'inflation, selon l'Insee l'augmentation des des prix devrait approcher les 7% en septembre et ce rythme resterait ensuite compris entre 6,5% et 7% d'ici la fin de l'année, les résultats des sociétés pourraient s'envoler et avec eux le niveau de leurs profits par effet d'aubaine. Se posera alors la question de la mise en place d'une taxation supplémentaire comme cela a déjà été envisagé par certains responsables politiques, y compris la première Ministre Mme Elisabeth Borne qui déclara dernièrement « personne ne comprendrait que les entreprises dégagent des profits exceptionnels alors même que les Français peuvent être inquiets pour leur pouvoir d'achat ».
D'ailleurs fin juillet , dans le cadre de l'examen de la loi pouvoir d'achat, un amendement prévoyant d'imposer une taxe exceptionnelle de 25% sur ceux des fournisseurs d'hydrocarbures, des prestataires de transport maritime ou encore des concessionnaires d'autoroutes, fut rejeté à quelques voix près ( 114 contre 96 ).
Si demain une telle disposition était votée, ce qui n'a rien d'impossible les sociétés ne manqueraient pas d'invoquer l'article 32 de leur contrat de concession, dont l'esprit fût fondamentalement modifié par le protocole d'accord du 9 avril 2015 signé par Emmanuel Macron et Ségolène Royal, puisque celui-ci prévoit maintenant une clause de neutralité fiscale (en cas de hausse d'une taxe, redevance ou impôt, celle ci est immédiatement compensée).
Une compensation intégrale et inconditionnelle, qui pour le Conseil d'État, dans un avis de la section des travaux publics - Numéro 389520 - présente un caractère excessif et anormal.
Nous le savons et le constatons les sociétés d'autoroutes ont le droit pour elles, que le protocole du 9 avril est venu renforcer. Car ne nous y trompons pas, les contrats de concession ne protègent pas les usagers et l'Etat, ils protègent les actionnaires de ces sociétés qui les ont acquises (hors Cofiroute) en 2005 pour près de 15 milliards d'euros.
Toutes les dispositions visent le même objectif, garantir leurs droits comme le montrent toutes les décisions prises depuis la privatisation.
J'en rappellerai deux particulièrement significatives :
- Lorsque l'État décide de mettre en place un plan de relance autoroutier de 3,2 milliards d'euros à partir de 2015-2016 , il accorde un allongement des durées de concession compris entre deux ans et quatre ans et deux mois.
- Et lorsqu'il accroit unilatéralement par décret du 28 mai 2013 de 100 millions d'euros le montant de la redevance domaniale versée par les sociétés, il est obligé d'accepter un rattrapage des péages sur 2016-2018.
Après la privatisation de 2005 , les actionnaires peuvent se féliciter des résultats obtenus par leurs dirigeants puisque les 7 sociétés leur avaient , déjà fin 2020, distribué près de 36 milliards d'euros de dividendes.
Grâce à un modèle économique et financier particulièrement robuste, qui se traduit automatiquement pour tout investissement et charges nouvelles, par une hausse des péages ou un allongement des durées de concession, la garantie dividendes est consubstantielle de ces contrats, ce qui ne devrait pas manquer d'interroger le nouveau ministre des transports Clément Beaune.
Jean-paul Chanteguet, ancien Député de l'Indre, a présidé la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire de l'Assemblée nationale ( 2012-2017 )
(1) Asf, Sapn, Aprr, Escota, Sanef, Area, Cofiroute.