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Billet de blog 2 septembre 2008

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La responsabilité de la Gauche française dans l’affaiblissement mutuel de la démocratie politique et de la démocratie sociale

Qu’il soit permis d’éclairer par l’Histoire une des facettes les plus spécifiques de « l’impasse démocratique » française, de façon à mieux comprendre son expression présente. Juste le temps d’une contribution…De sa très vieille tombe, Philippe le Bel doit sourire en observant que l’Etat, en France, aura toujours dû réprimer pour imposer. Six siècles après, des résurgences d’un atavisme, pluri-séculaire donc, se manifestaient encore au cours de la phase majeure du développement industriel à travers l’émergence de l’anarcho-syndicalisme en pays latins. Bref, l’Etat contre la rue et la rue contre l’Etat, vieux schéma dontdes traces actives subsistent aujourd’hui encore. Plus pour longtemps ? C’est ce que je me propose de discuter ici.

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Qu’il soit permis d’éclairer par l’Histoire une des facettes les plus spécifiques de « l’impasse démocratique » française, de façon à mieux comprendre son expression présente. Juste le temps d’une contribution…

De sa très vieille tombe, Philippe le Bel doit sourire en observant que l’Etat, en France, aura toujours dû réprimer pour imposer. Six siècles après, des résurgences d’un atavisme, pluri-séculaire donc, se manifestaient encore au cours de la phase majeure du développement industriel à travers l’émergence de l’anarcho-syndicalisme en pays latins. Bref, l’Etat contre la rue et la rue contre l’Etat, vieux schéma dontdes traces actives subsistent aujourd’hui encore. Plus pour longtemps ? C’est ce que je me propose de discuter ici.

« L’anarcho-syndicalisme » contre l’Etat depuis le 19è siècle.

Les sources françaises sont claires. A la fin du 19è siècle, la « société civile progressiste » se rencontrait, certes, dans les clubs socialistes et utopistes, mais aussi dans l’expression syndicale « révolutionnaire » de la CGT, principal contre-pouvoir de l’époque face à l’Etat (et non à la Droite seule, faut-il le rappeler !). Un seul exemple, emblématique : la CGT d’alors s’opposait aux nationalisations en ce qu’elles auraient donné trop de pouvoir à l’Etat.

Et aujourd’hui : CFDT, CGT et FO contre Sud ?

Même s’il perd du terrain, cet anarcho-syndicalisme est encore vivace en France (et plus ou moins dans les autres pays latins) : encore un peu à la CFDT, un peu également à la CGT, et pas mal encore chez les « enragés » des grèves de 1995 (anciens gauchistes autogestionnaires de la CFDT et anciens gauchistes non autogestionnaires de la CGT ou même de FO), lesquels sont, en majorité, partis créer le syndicat Sud dans les services publics principalement, et dans les secteurs qui permettent des positionnements stratégiques forts, ou bien ont pris la tête de « coordinations spontanées ».

Mais comment cet anarcho-syndicalisme-là, finalement assez localisé, a-t-il pu faire survivre, durant le dernier quart de siècle, la dynamique d’une telle posture pourtant si opposée à celle du syndicalisme social-démocrate en Europe pour ne pas parler du syndicalisme mondial communisant mis, lui, en capilotade ?

Les conditions de l’alternance politique en France en 1981 ont largement favorisé la rémanence de ce phénomène.

Depuis 1981, date de la première alternance politique de la Vè République, le PS s’est toujours satisfait du « deal suivant » : à lui le pouvoir gouvernemental (en pouvant compter sur le report des voix d’extrême gauche sur ses candidats lors des élections, nationales surtout) et à l’extrême gauche (renonçant par effet doctrinal à toute position au sein ou envers l’appareil d’Etat) le pouvoir de la rue. Les conséquences de ce Yalta-là bien français, non perceptible, ont été considérables.

Au plan politique, le « syndicalisme léniniste », celui qu’on disait à l’époque « de courroie de transmission », a objectivement protégé la « gauche guesdiste » au sein du PS empêchant l’émergence d’un pôle réformiste fort d’une gauche « jaurésienne » (incarnée à l’époque par Michel Rocard) et, en conséquence, empêchant l’accès au pouvoir d’une alliance politique des réformistes de gauche.

Au plan syndical, cette gauche guesdiste au sein du PS a soutenu ouvertement la CGT encore sous l’emprise du PC, empêchant l’émergence d’un pôle syndical réformiste fort autour de la CFDT (qu’elle a renvoyée depuis 30 ans à sa culture d’autonomie syndicale et de conception d’une société civile autonome de la société politique).

C’est donc à un « deal entre défiants », mais à un « deal » quand même !, auquel on a affaire. Or, la défiance, matrice principale des rapports sociaux depuis plus d’un siècle en France, trouve source dans ces tropismes-là, lesquels n’ont cessé d’illustrer leurs faiblesses au détriment de la démocratie.

La faiblesse est mère de défiance tant dans les partis politiques que dans les syndicats.

Le PS est, dans l’Europe des grands pays, le parti politique le plus faible (entre 100 000 et 200 000 adhérents)! Il est donc souvent l’otage de ses ultras, surtout dans ses synthèses ! Les syndicats français ont des effectifs très faibles et sont divisés: ils sont donc souvent les otages de leurs ultras ; pas de syndicalisme de service, mais des luttes partielles, très ciblées et violentes. Et quand on a quelquefois le sentiment que « cela change quand même un peu », il faut bien vite se rendre à l’évidence : les inflexions observées reflètent davantage des spasmes d’impuissance que des choix conscients et volontaires…!

La démocratie politique en France est donc génériquement faible et autoritaire : sans doute du fait d’une Droite plus ou moins bonapartiste, mais aussi du fait d’une Gauche guesdiste (au point que les communistes se trouvent aujourd’hui à la remorque d’Olivier Besancenot !). La démocratie sociale est donc génériquement faible et autoritaire (au point que Bernard Thibault se trouve aujourd’hui en difficulté pratique face à Sud !). La conséquence est récurrente : entre faibles, la défiance est la seule règle possible ; le dialogue permanent, et à froid, n’a, à leurs yeux ni légitimité ni crédibilité.

Démocratie politique et démocratie sociale s’opposent donc encore aujourd’hui en France, elles se défient encore, elles affrontent leurs faiblesses respectives. D’un côté, les syndicats contribuent à ruiner la légitimité du suffrage universel en tant que délégataire de la légitimité du peuple à l’Etat parce qu’ils récusent souvent l’Etat et les pouvoirs publicsdans son action au nom du peuple, ou bien alors ils sont exsangues et désertent même leurs fonctions de base, à la surprise désolée et effarée de leurs homologues européens. De l’autre, les pouvoirs publics, lorsque la Droite est aux affaires, ne croient guère à la possibilité même d’un dialogue permanent et de bonne foi avec, à la tête des organisations syndicales, des militants qui entendent représenter le peuple tout entier et s’en détournent donc, et, lorsque la Gauche tient les rênes, les ignorent superbement ou les instrumentalisent, puisque les termes du deal initial… CQFD !

En somme….

Voilà donc comment la démocratie politique, depuis une génération, se contente de fausses réformes en engrangeant de bien maigres gains réels et symboliques, lesquels, dommage collatéral, renforcent l’inconsistance de notre patronat. Voilà comment la démocratie sociale refuse systématiquement l’idée même de réforme, guidée par le «jusque-boutisme» des anarcho-syndicalistes et de leurs alliés politiques. Au détriment de l’intérêt général.

Que pouvons-nous espérer pour la démocratie française ? Que ce « jeu » usé jusqu’à la corde soit de plus en plus stigmatisé par l’opinion publique française, mais aussi européenne… ? Y-a-t-il une fin possible à de si longues, si longues périodes ?!?

Aujourd’hui, l’incapacité, devenue chronique, de la Gauche politique à remplir son rôle de conquête du pouvoir central depuis l’affaiblissement volontaire du PS par François Mitterrand dès le lendemain de sa réélection présidentielle en 1988, menace ce « deal symbolique séculaire ». Aussi, les anarcho-syndicalistes et leurs consorts sentent-ils l’urgente nécessité de monter en première ligne et de montrer leur force au sein même du champ politique traditionnel (voir leur projet de NPA, Nouveau Parti Anticapitaliste), tout comme il y a un siècle, de façon à obliger un PS sans corps ni boussole à rester dans son orbite traditionnelle, au cas où il serait tenté dans un moment de folie de s’émanciper de l’alliance nourricière originelle… !

Gardiens du temple mitterrando-guesdiste (fabiusiens et jospiniens hier, hollandistes aujourd’hui, et qui demain ?…), vous portez une bien lourde responsabilité : celle d’avoir, sans doute inconsciemment, contribué à affaiblir la démocratie en France depuis une génération, mais aussi celle de prétendre continuer à le faire aujourd’hui, et très consciemment cette fois…. ! Aussi, on vous le demande gentiment : « Lâchez-prise ou disparaissez !, et merci d’avance au nom de l’indispensable vigueur de la démocratie française».

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