Lorsque le Français veut se détendre sans se fatiguer les neurones, il peut faire des mots fléchés, ou feuilleter Voici, ou regarder TF1.
Mais il y a encore moins fatigant : s'amuser à faire la liste des contradictions entre la politique que mène François Hollande et les positions qu'il prêchait avant d'être élu président.
Oui, je sais, c'est trop facile. Et pourtant, je m'y suis déjà laissé aller (à propos des banques).
Et là, je confesse que j'ai du mal à me retenir. Je sais, la facilité est un mauvais exemple pour la jeunesse.
Le projet de loi sur la réforme de la législation du travail, appelé aussi loi El Khomri du nom de la ministre du Travail, alors qu'il n'a même pas encore été présenté au Conseil des ministres, fait déjà l'objet de polémiques virulentes, y compris au sein du PS.
Le parallèle entre les positions actuelles de François Hollande sur la législation du travail et celles qu'il affichait lors de la campagne de 2012 est douloureux (cf par exemple le montage de Nabil Touati sur le Huffington Post).
Si on remonte il y a dix ans, en 2006, c'est à propos de la mesure dite "contrat première embauche" (CPE) qu'il défendait le code du travail contre le Premier ministre UMP de l'époque, Dominique de Villepin (qui, lui, était cohérent avec sa ligne libérale de son mouvement politique).
La vidéo ci-dessus est celle de la question au gouvernement posée par François Hollande à l'Assemblée le 25 janvier 2006. On pourra sur cette version vidéo plus longue écouter la réponse de Dominique de Villepin, et apprécier ses similitudes frappantes avec la ligne de défense actuelle des socio-libéraux solfériniens.
Il est également intéressant de consulter l'intervention de François Hollande à l'Assemblée nationale le 21 février 2006, dans le cadre de la motion de censure déposée suite à l'application du "49.3" par le Premier ministre pour faire adopter le CPE sans vote. Des extraits significatifs en sont reproduits plus bas.
Dans le cadre de la course à la politique de l'offre, initiée début 2014 avec le "pacte de responsabilité", le premier Viagra législatif que notre gouvernement social-libéral avait servi au Medef avait été la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite "loi Macron".
Manuel Valls avait pour ce faire eu recours au "49.3", à chaque fois que le projet de loi était passé au palais Bourbon (en février, en juin, et en juillet 2015). Pour rappel, l'alinéa 3 de l'article 49 de la Constitution permet au gouvernement d'imposer à l'Assemblée nationale l'adoption d'un texte, immédiatement et sans vote (sauf si une motion de censure signée par au moins un dixième des députés est adoptée par la majorité des députés).
Dès février, on n'avait pas manqué de rappeler la dénonciation ardente du recours au 49.3 par M Hollande lorsqu'il était le chef de l'opposition en 2006, à l'occasion des discussions sur le CPE.
Manuel Valls avait alors justifié l'urgence de la loi Macron en disant qu'elle allait "donner un coup de jeune à nos entreprises."
Heureusement, l'Académie française a légitimé dans quelques cas l'emploi de l'accent circonflexe : on ne confondra donc pas le "coup de jeune à nos entreprises" avec le "coup de jeûne à nos salariés".
Le recours au 49.3 a été un moment dans les coulisses de la loi El Khomri, même s'il apparaît maintenant avoir été mis de côté.

Quant à Manuel Valls, dont la cote va baissant, il devrait se rappeler que la popularité qu'avait conquise Dominique de Villepin au Quai d'Orsay (2002-2004) s'était effritée lors de son passage à Matignon (2005-2007). Si sa mise en cause dans l'affaire Clearstream 2 n'y était pas pour rien, l'affaire du CPE y fut aussi pour quelque chose (l'article de loi qui instituait le CPE fut d'ailleurs remplacé peu de temps après sa publication).
Extraits de l'intervention de François Hollande à l'Assemblée nationale le 21 février 2006.
« Vous avez fait le pari d’une société de précarité, au nom de ce que vous croyez être l’efficacité, comme si l’incertitude et l’instabilité pouvaient être le gage d’une prospérité, même éphémère. Nous, la gauche, faisons le choix inverse : ce sont les sécurités professionnelles et sociales qui permettent les transitions et garantissent une croissance durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Rien, monsieur le Premier ministre, ne le montre mieux que vos résultats depuis bientôt neuf mois que vous avez la responsabilité du Gouvernement. Vous vouliez insuffler à votre majorité, qui en avait bien besoin, le mouvement et l’audace. Vous vous étiez imprudemment donné cent jours pour convaincre l’opinion. Près de deux cents jours se sont écoulés depuis ce rendez-vous, et vous êtes dans la même situation que votre prédécesseur : vous avez perdu la confiance des Français.
Rien d’étonnant à cela, puisque vous poursuivez la même politique, avec les mêmes conséquences pour le pays. Le premier motif de censure de votre gouvernement, c’est donc l’état de la France.
La France va mal.
Elle n’est pas en déclin – je suis d’accord avec vous –, elle est en de mauvaises mains.
Il y a plusieurs mois, vous veniez, ici même, proclamer devant nous que vous alliez relancer la croissance. Aujourd’hui elle languit, elle se traîne, elle expire, atteignant à peine 1,4 % en 2005 [NB : 1,1% en 2015]
[…]
Vous vantiez la compétitivité des entreprises : le déficit de la balance commerciale atteint le niveau record de 26,5 milliards d’euros en 2005 [NB : 45,7 milliards en 2015]
[…]
Et 9 milliards seulement sont dus à l’alourdissement de la facture pétrolière [NB : a contrario en 2015 : 14,6 milliards d'allègement du prix de l'énergie, sans compter les effets de la dépréciation de l'euro induite par la BCE]
[…]
Vous annonciez imprudemment la maîtrise de l’endettement public : la dette a atteint en 2005 le niveau historique de 68 % de la richesse nationale [NB : 97 % en septembre 2015].
Vous affichiez pour objectif, monsieur le Premier ministre, le redressement de la sécurité sociale : l’assurance maladie accuse un découvert de plus de 10 milliards d’euros [NB : déficit prévu pour 2015 de 12,4 Md€]
[…]
Ce ne serait pas votre politique, par ses errements, qui serait en échec, mais la France, par ses acquis sociaux, qui serait en panne. Tel est le tour de passe-passe qui vous disculpe : rien ne serait de votre faute, tout viendrait des Français eux-mêmes, trop protégés par trop de garanties, immobiles, enfermés qu’ils seraient derrière des verrous qu’il faudrait faire sauter à tout prix !
Et le premier d’entre eux s’appelle tout simplement le code du travail : c’est là le deuxième motif de censure. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
II ne vous a pas suffi en quatre ans, et avant vous à Jean-Pierre Raffarin et au gouvernement précédent, d’augmenter le contingent des heures supplémentaires, d’alléger leur coût, de supprimer un jour férié, de faciliter le recours à l’intérim, d’assouplir les règles du licenciement, de modifier les fondements de la négociation collective, de supprimer les emplois-jeunes.
Non ! Vous entendez désormais toucher au contrat de travail lui-même.
[…]
Tirer prétexte de la précarité de quelques-uns – encore trop nombreux – pour la généraliser à tous, est insupportable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Laisser penser qu’il faudrait démanteler le CDI au prétexte que certains n’y accéderaient pas est inacceptable !
[…]
Voilà la différence entre vous et nous : vous proposez un démantèlement pour tous du droit du travail, tandis que nous proposons une adaptation des aides, une contrepartie des exonérations de cotisations sociales pour les jeunes et pour les salariés qui en ont le plus besoin et qui demandent un parcours de formation.
Il y a là un choix de société. Je respecte le vôtre. Convenez que le nôtre a aussi du sens, de la cohérence et, je l’espère, de l’avenir. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
[…]
Que veut dire enfin la « croissance sociale » – ce sont vos propres mots – quand il n’y a ni croissance économique, ni progrès social ?
C’est ce grand écart entre les principes que vous proclamez et les réalités vécues par les Français qui crée aujourd’hui la défiance du pays envers votre politique, et il vous appartient, comme à nous, d’éviter que cette défiance envers votre politique ne devienne une colère ou un fatalisme dans le pays. Nous en sommes tous comptables.
Nous avons intérêt à une démocratie vivante.
Or, monsieur le Premier ministre, vous paraissez craindre la démocratie. Votre méthode de gouvernement apparaît personnelle et singulière.
[…]
Comment admettre, en revanche, sur un sujet majeur comme le droit du travail, que les partenaires sociaux – syndicats, mais aussi organisations patronales – n’aient pas été consultés ? Vous avez ainsi contrevenu à une règle que votre majorité avait elle-même votée dans la loi du 4 mai 2004, et qui oblige à la négociation avant toute législation en matière de droit du travail. Où a eu lieu la négociation, alors que vous démantelez le droit du travail ? Quand ont été consultés les syndicats ? Quand ont été associées les forces vives ?
[…]
En conclusion, monsieur le Premier ministre, ce qui nous oppose, et il est légitime de le dire dans une grande démocratie comme la nôtre, c’est une vision du modèle social, une stratégie économique, un refus – pour les uns, de la précarité, pour les autres, des immobilismes –, mais aussi une méthode politique, un rapport à la démocratie, une conception du pouvoir. »