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Billet de blog 1 décembre 2012

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Xi Jinping, encore un effort....

Le 29 novembre cent malades du Sida ont défilé à Wangfujing, dans le centre de Pékin pour réclamer de meilleures compensations. La veille, le futur premier ministre Li Keqiang, ancien secrétaire de la province du Henan où le Sida a fait le plus de dégâts, avait rencontré des représentants d’ONG qui défendent les droits des malades. La nouvelle direction voudrait-elle rompre avec la pratique de ses prédécesseurs  et laisser un espace d’expression à la société?

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Le 29 novembre cent malades du Sida ont défilé à Wangfujing, dans le centre de Pékin pour réclamer de meilleures compensations. La veille, le futur premier ministre Li Keqiang, ancien secrétaire de la province du Henan où le Sida a fait le plus de dégâts, avait rencontré des représentants d’ONG qui défendent les droits des malades. La nouvelle direction voudrait-elle rompre avec la pratique de ses prédécesseurs  et laisser un espace d’expression à la société?

Le premier discours du nouveau secrétaire général du parti communiste, Xi Jinping, qui tranchait sur celui de Hu Jintao, a  impressionné la presse internationale. L’air à l’aise, souriant, s’exprimant dans un pékinois parfait, son air humain l’a immédiatement distingué du style robotisé de Hu Jintao. Et si cela ne suffisait pas, il a montré sa différence quand, lors de la visite d’une exposition sur la « renaissance de la Chine » au musée national en présence tout les membres du comité permanent et du secrétariat, il a prononcé au pied levé une brève allocution.

Dans ce discours comme dans le précédent, Xi n’a cessé de se référer à la « renaissance de la nation chinoise », à la prospérité des « fils et des filles de la Chine » inséparable de celle de l’Etat, se situant directement dans la ligne des modernisateurs de la fin du dix-neuvième siècle[1]. Désireux de mettre un terme aux débats idéologiques, il a rappelé que  « les grands mots ne serv[ai]ent à rien, [que] seuls les actes p[ouvai]ent regénérer le pays ». Jamais, a-t-il insisté, la Chine n’a été aussi proche de réaliser le rêve de sa renaissance, et il faut s’unir derrière le Parti pour y parvenir. L’heure est plus à l’effort qu’à la réforme, et le patriotisme fournira l’idéologie mobilisatrice. Et à ceux qui en doutaient, le secrétaire général a rappelé que la voie choisie, « le socialisme aux couleurs de la Chine », était la bonne, et qu’il faut la poursuivre de manière pragmatique. Voilà pour ceux qui affirment qu’il faut entreprendre de profondes réformes.

Gouverner par le consensus ?

Car la nouvelle direction suprême ne se distingue pas par son audace : la liste des nouveaux membres du comité permanent du Bureau politique, dominée par des proches de l’ancien numéro un Jiang Zemin (86 ans) a déçu. La présence de Yu Zhengcheng, ancien maire de Shanghai proche de la famille de Deng Xiaoping, et, en général, de « princes » peu réputés pour leur énergie réformatrice, semble indiquer que le Parti a choisi la continuité. D’autant plus que la plupart d’entre eux sont trop âgés pour effectuer deux mandats de cinq ans. Le fait que ni Wang Yang -- le secrétaire provincial du Guangdong qui n’avait pas hésité à donner gain de cause aux paysans révoltés de Wukan en décembre dernier-- ni Li Yuanchao -- le secrétaire à l’organisation considéré comme putôt libéral -- n’aient fait leur entrée dans le saint des saints du Parti, montrent que l’on a préféré ne pas prendre de risques. Malgré le caractère pressant des problèmes qui s’accumulent, --aggravation des inégalités, évasion des capitaux, multiplication des manifestations de protestations -- le Parti a choisi la continuité et la prudence.

D’ailleurs, dans ses premiers discours, Xi Jinping n’a fait aucune allusion à une éventuelle réforme du système politique, ni même au déveoppement de la « démocratie au sein du Parti » qui avait pourtant été l’un des thèmes du précédent congrès. Certes, il a pointé les problèmes auxquels la Chine est confrontée, notamment la corruption dont il a affirmé que si on ne la contrôlait pas elle pourrait aboutir à la mort du Parti et de l’Etat ; mais il n’a pas annoncé d’initiative originale pour la combattre.

Au contraire, il a indiqué, rappelant les exhortations de Mao, que les cadres devraient se remettre à « servir le peuple » et éviter de « se couper des masses ». On est loin de la création d’une commission indépendante, que demandaient de nombreux intellectuels. Xi Jinping préfère croire comme le Grand Timonier, que la corruption tire son origine de la dégénérescence morale des cadres, plutôt que de l’intangibilité du monopole du pouvoir exercé par le Parti. Dans ces conditions, on risque d’assister à une ènième campagne contre la corruption qui aboutira à l’exécution d’un certain nombre de « dragons » mais ne résoudra pas le problème de fond.

On peut penser que Xi Jinping le sait, mais qu’il n’a guère le choix car, au sommet, on hésite à prendre des mesures fortes. Cela fait plus de vingt ans[2] que l’on annonce que les cadres supérieurs devront déclarer leurs avoirs et ceux de leur famille proche. Pourtant, on n’a pas avancé sur cette voie, alors que les informations sur l’enrichissement des familles de dirigeants circulent de plus en plus dans la population[3].

Paradoxalement, seul un secrétaire général disposant d’un pouvoir charismatique pourrait imposer des sacrifices aux classes dirigeantes. Or, ce n’est pas le cas de Xi. D’autant moins que les luttes de factions qui se sont déroulées en coulisses pendant les mois précédant le congrès ont laissé des traces : la nouvelle direction est issue d’un compromis fragile, et toute décision intempestive pourrait relancer les conflits internes. On peut donc imaginer que Xi continuera, comme son prédécesseur, à gouverner par consensus.  Et même si les membres du comité permanent ne sont plus que sept, il demeurera très difficile d’obtenir l’accord de tous pour lancer une réforme profonde du système politique. La crainte du désordre reste vivace et toute tentative de remise en question du statu quo se heurtera à toutes sortes d’objections : un pouvoir qui réforme est vulnérable, et il est toujours plus risqué de changer les choses que de « maintenir la stabiité »..

Donc, il y a fort à parier qu’au moins pendant son premier mandat, Xi cherchera avant tout à consolider son pouvoir. On peut donc imaginer que la « stagnation » se poursuivra, au risque de conduire la société à l’exaspération des contradictions.

Toutefois cela n’empêche pas que des améliorations puissent se produire à la périphérie. Rappelons que peu après leur arrivée au pouvoir en 2003, Wen Jiabao et Hu Jintao avaient aboli les « centres d’hébergement et de rapatriement » qui permettaient d’interner les ouvriers d’origine paysanne en situation irrégulière. Cela leur avait valu un fort soutien dans les milieux libéraux. Si Hu et Wen, qui se sont par la suite distingués par leur immobilisme, ont pu prendre une telle décision, on peut penser que Xi Jinping en fera autant. C’est sans doute le débat sur la rééducation par le travail (laojiao) qui lui en donnera l’occasion. Le laojiao est l’un des instruments par lesquels la police prive de leur liberté pour trois à quatre ans ceux qu’elle considère comme dangereux sans avoir besoin de passer devant un juge.  

Une campagne lancée par des avocats a permis d’obtenir la libération d’internautes qui avaient subi cette peine pour avoir critiqué le secrétaire de Chongqing, Bo Xilai[4]. Certes, c’est largement à la suite du limogeage de Bo que l’arbitraire de ces condamnations a été reconnu, mais cela a permis aux avocats de lancer une offensive contre la rééducation par le travail. Ainsi, un débat avec les internautes a eu lieu sur le forum du Quotidien du peuple au cours duquel des officiels ont demandé sa suppression. Mieux encore, on a vu le Global Times, ce tabloïde radical qui dépend de l’organe central du Parti, citer l’avocat défenseur des droits Li Fangping pourtant considéré comme un dissident par les autorités. Si le laojiao est aboli, ou du moins profondément réformé, cela représentera une avancée des droits individuels.

De même, la rencontre de Li Keqiang avec des représentants d’ONG de défense des droits des malades du SIDA pourrait également envoyer un signal positif aux acteurs de la société civile qui sont de plus en plus actifs.

Les nouveaux dirigeants prendront-ils d’autres mesures concrètes pour améliorer les droits des citoyens ? La condamnation à 39 mois de prison du neveu de l’avocat aveugle Chen Guangcheng pour « avoir infligé des blessures volontaires » à un chef de village qui l’avait agressé à son domicile montre qu’il ne faut pas être trop optimiste[5]. L’indépendance de la justice n’est pas pour demain, et la société devra encore mener un long combat pour contraindre les dirigeants à prendre des mesures dans le sens de l’ouverture.   

Il faudra surveiller la manière dont la société interprète ces éventuels signaux. Car une réaction positive des acteurs les plus conscients pourrait encourager les dirigeants à faire preuve de plus d’audace.


[1] « Pendant sa visite de l’exposition ‘la voie de la renaissance’, Xi Xijping affirme : « avec l’héritage du passe allons vers l’avenir, poursuivons la cause révolutionnaire et avançons vers l’avenir, et avançons vaillamment sur la voie de la renaissance de la nation chinoise », Quotidien du peuple, 30 novembre 2012, http://politics.people.com.cn/n/2012/1129/c1024-19744072.html

 [2] Zhao Ziyang, alors secrétaire général du Parti, l’avait propos pendant le mouvement pour la démoratie de 1989. Voir JP Béja, M.Bonnin, A.Peyraube, Le tremblement de terre de Pékin, Paris, Gallimard, « Au vif du sujet », 1991

[3] Voir David Barboza, « Hidden Riches for Family of a Chinese Leader », New York Times, 25/10/2012, http://www.nytimes.com/2012/10/26/business/global/family-of-wen-jiabao-holds-a-hidden-fortune-in-china.html?hp&_r=0&pagewanted=print  et les articles de Jordan Pouille sur Médiapart

[4] Voir Brice Pékroletti, « La libération de Ren Jianyu nourrit les appels à l'abolition des camps de rééducation chinois », Le Monde, 24/11/2012, http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/11/24/la-liberation-de-ren-jianyu-nourrit-les-appels-a-l-abolition-des-camps-de-reeducation-chinois_1795339_3216.html

[5] Keith Richburg, éChen Guangcheng’s nephew found guilty of assault in China; sentenced to 39 months », Washington Post,  30 novembre 2012, http://www.washingtonpost.com/world/chen-guangchengs-nephew-found-guilty-of-assault-in-china-sentenced-to-39-months/2012/11/30/55385a9c-3ad5-11e2-9258-ac7c78d5c680_story.html

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