Au moment où l’opinion publique en France est engluée dans un débat sur la déchéance de la nationalité, un épisode qui se déroule à l’autre bout du monde jette un nouvel éclairage sur ce sujet. Le 30 décembre 2015, Lee Bo, principal actionnaire de la maison d’édition Mighty Currents et de la Causeway Bay Bookstore qui publient et vendent des livres critiques des dirigeants de la République populaire de Chine, a disparu de son entrepôt de Hong Kong. Le lendemain, il appelait sa femme de Shenzhen, la ville chinoise limitrophe, pour la rassurer et lui dire qu’il s’était rendu en Chine pour « collaborer à une enquête en cours ». Elle s’inquiétait d’autant plus qu’il lui avait parlé en mandarin, ce qui semblait indiquer qu’il se trouvait en présence de policiers chinois[1].
Avant lui, en octobre, quatre autres collaborateurs de la librairie avaient « été disparus », trois alors qu’ils se trouvaient à Shenzhen, tandis que le quatrième, un citoyen suédois (né en Chine) Gui Haimin avait été enlevé à sa résidence secondaire de Pattaya en Thaïlande et probablement ramené en Chine. Depuis, on n’a aucune nouvelle de ces quatre personnes. Les demandes d’information de la Suède auprès de la Thaïlande et de la Chine pour savoir où se trouvait Gui Haimin sont restées sans réponse à ce jour[2].
Ces disparitions ont choqué l’opinion publique de Hong Kong, causant une grande inquiétude quant à la validité de la formule « un pays, deux systèmes » qui prévoit que Hong Kong bénéficie d’un régime différent de la République populaire, et notamment bénéficie des libertés d’expression, de publication, d’association et de manifestation.
Les arrestations de ressortissants de Hong Kong alors qu’ils sont sur le territoire de la République populaire se sont multipliées récemment, et ont frappé notamment des éditeurs. Ainsi, Yao Wentian, qui, se préparant à publier un livre du dissident Yu Jie sur Xi Jinping, a été attiré à Shenzhen pour « livrer de la peinture à un ami » et a été condamné à dix ans de prison en mai 2014 pour contrebande d’objets ordinaires[3]. Cette a provoqué une sérieuse inquiétude dans les milieux de l’édition à Hong Kong.
La disparition de Lee Bo a encore renforcé (ce sentiment) dans la population : en effet, Lee a disparu de Hong Kong en laissant ses papiers chez lui, ce qui conduit les observateurs à penser qu’il a été enlevé par la police chinoise. Les autorités hongkongaises, pourtant plutôt dociles avec le gouvernement central, ont demandé des explications aux autorités du Guangdong et au gouvernement de Pékin. Le chef de l’exécutif Leung Chun Ying a déclaré que « seules les agences locales d’application de la loi ont le pouvoir de faire respecter la loi à Hong Kong dans le cadre de la Loi fondamentale, et aucune autre agence d’application de la loi n’a ce pouvoir. »[4]
Le 3 janvier, la femme de Lee Bo a annoncé avoir reçu un fax écrit de sa main lui affirmant « qu’il était rentré en Chine par ses propres moyens pour collaborer à une enquête, qu’il était en bonne santé et ne reviendrait pas immédiatement à Hong Kong ». Sur quoi, elle avait retiré sa demande d’information auprès de la police de Hong Kong[5]. Le fax de Lee Bo n’est guère convaincant : d’abord, il est illégal de rentrer en Chine (comme dans tout autre pays) sans papier. De plus, le bureau de l’immigration de Hong Kong n’a trouvé aucune trace de sa sortie de territoire. Ces éléments font craindre que Lee a été « accompagné » par des agents de sécurité chinois.
Les choses se compliquent car il s’avère que Lee Bo dispose de la nationalité britannique. Le ministre des affaires étrangères de sa Majesté Philip Hammond se trouvant justement en visite à Pékin au début de l’année, il a demandé aux autorités chinoises où se trouvait ce ressortissant britannique. Le ministre des affaires étrangères Wang Yi lui a répondu que «dans son cas, la nationalité chinoise préva(lai)ut ». C’est d’autant plus paradoxal que la Chine ne reconnaît pas la double nationalité. C’est une interprétation plutôt originale du droit international. L’Union européenne a du reste adressé des demandes d’information aux autorités de Pékin[6]
Ainsi, alors qu’ici on s’inquiète de la déchéance de la nationalité française, un nombre croissant de résidents hongkongais craint que la République populaire ne reconnaisse que leur nationalité chinoise (il semble que le gouvernement chinois considère que toute personne ethniquement chinoise née sur le territoire chinois, a automatiquement la nationalité chinoise, et qu’il doit la répudier s’il veut pouvoir jouir de son autre nationalité).
Il y a fort à parier que Lee Bo et Gui Haimin seraient bien heureux d’être déchus de leur nationalité chinoise de manière à être protégés par les ambassades de leur pays d’adoption !!
[1] Les policiers et les geôliers chinois interdisent à leurs prisonniers de parler dialecte.
[2] « Sweden’s foreign ministry takes ‘serious view’ over disappearance of publisher and naturalised citizen while in Thailand « , South China Morning Post 5 Jan 2016 http://www.scmp.com/news/hong-kong/politics/article/1898013/swedens-foreign-ministry-takes-serious-view-over
[3]Angela Meng, « Shenzhen court gives Hong Kong publisher Yiu Man-tin 10-year prison sentence », South China Morning Post, 8 May 2014, http://www.scmp.com/print/news/china/article/1507002/shenzhen-court-gives-hong-kong-publisher-yiu-man-tin-10-year-prison
[4] « CY on bookseller : it is unacceptable for mainland enforcement agencies to enforce the law in HK », SCMP, 4 Jan 2016, https://www.hongkongfp.com/2016/01/04/cy-on-bookseller-it-is-unacceptable-for-mainland-agencies-to-enforce-law-in-hk/
[5] http://www.scmp.com/news/hong-kong/law-crime/article/1877932/missing-presumed-detained-hong-kong-publishers-books?utm_source=&utm_medium=&utm_campaign=SCMPSocialNewsfeed
[6] « Vanishing Hong Kong booksellers ‘extremely worrying’, says EU as scrutiny on mainland intensifies », SCMP, 8 Jan 2016, http://www.scmp.com/news/hong-kong/law-crime/article/1898997/vanishing-hong-kong-booksellers-extremely-worrying-says-eu