Un an et un jour après le début de sa détention, il a été mis en examen pour « crimes graves » visant à inciter à la subversion du pouvoir d’Etat, un crime qui peut valoir jusqu’à quinze ans de détention à son auteur. Son procès devrait avoir lieu dans un délai de 10 à 45 jours. Le crime de Liu Xiaobo ? avoir été l’un des principaux rédacteurs de la « charte 08 », un texte modelé sur la Charte 77 tchécoslovaque, rendu public le 10 décembre 2008 (lire ici mon billet sur Mediapart annonçant l'arrestationn du Havel chinois) et signé par 10 000 personnes depuis[1], qui demande la fin de la dictature du parti unique et la séparation des pouvoirs, en somme l’instauration en Chine d’une véritable démocratie.
Liu a reconnu son rôle dans la rédaction et la publication de la Charte 08, et il n’a pas nié avoir écrit les six articles incriminés. Cette accusation est d’autant plus absurde que l’un d’entre eux concerne les accidents du travail dans les mines, que de nombreux journaux officiels ont eux-mêmes dénoncés, conduisant le pouvoir à sévir contre les propriétaires peu scrupuleux souvent liés aux cadres locaux du Parti.
Comme le dit l’avocat Mo Shaoping, un signataire de la Charte auquel les autorités ont refusé le droit de défendre Liu, « il n’a fait que mettre en œuvre son droit à la liberté d’expression garanti par la constitution ».
Il fut un temps où l’inculpation d’un dissident aussi connu que Liu Xiaobo provoquait un tollé dans la « communauté internationale ». C’était avant que la Chine n’ait le deuxième PNB du monde, avant que l’on ne cesse d’affirmer qu’elle est un partenaire indispensable à la sortie de la crise financière, avant la conférence de Copenhague.
Aujourd’hui, les dirigeants chinois ont obtenu que les gouvernements des grandes puissances s’abstiennent d’intervenir sur les sujets qui fâchent. Et au cours de sa visite dans l’Empire du Milieu, visite au cours de laquelle il n’a rencontré ni dissidents, ni même avocats défenseurs des droits de l’Homme, Barack Obama a donné l’exemple en se faisant très discret. Aujourd’hui, les dirigeants chinois savent qu’ils peuvent condamner les « émeutiers ouighours » à mort au terme de procès douteux, et qu’ils n’ont rien à craindre de leurs partenaires s’ils étouffent les quelques voix qui, depuis vingt ans, n’ont cessé de s’élever contre leur arbitraire.
Donc les opposants, ceux qui critiquent le régime savent qu’ils sont seuls. La bonne nouvelle est qu’ils ne se taisent plus. A peine l’inculpation de Liu Xiaobo était-elle rendu publique que 160 signataires chinois de la Charte 08 ont publié une lettre dans laquelle ils affirment que « si l’on juge que Liu Xiaobo est un ‘criminel’, cela signifie que chaque signataire de la Charte l’est également ». Et ces signataires originaires de toutes les régions du pays, affirment que « le développement et les progrès de la Chine doivent [être fondés sur] la garantie des droits de l’homme, la mise en œuvre de la justice et l’Etat de droit. »
A l’heure de la conférence de Copenhague où les participants ne cessent d’affirmer que nous vivons dans un monde interdépendant, que les excès des uns sont supportés par les autres, laisserons-nous le pouvoir de Pékin imposer le silence à ceux qui osent le critiquer ?
[1] Voir http://www.mediapart.frhttp://blogs.mediapart.fr/blog/jean-philippe-beja/131208/chine-les-signataires-de-la-charte-08-inquietes