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Billet de blog 30 mars 2015

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Xi Jinping contre la société civile : après les avocats, les féministes

J'ai reçu récemment de Chen Tao, une observatrice basée à Pékin, le texte suivant qui montre que, dans son offensive contre la société civile, le Parti s'attaque chaque jour à de nouveaux groupes.

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J'ai reçu récemment de Chen Tao, une observatrice basée à Pékin, le texte suivant qui montre que, dans son offensive contre la société civile, le Parti s'attaque chaque jour à de nouveaux groupes.

L'arrestation des cinq féministes Wang Man, Li Tingting, Wei Tingting, Wu Rongrong et Zheng Churan marque un nouveau point culminant dans la répression contre la société civile lancée par le PCC.

Le 6 mars dernier, alors que les "deux assemblées[1]" se réunissaient pour dix jours d'enregistrement des décisions prises par le Comité central lors de l'année écoulée, plus de dix jeunes féministes chinoises ont été arrêtées par la police pékinoise. Elles étaient en train d'organiser une campagne nationale contre le harcèlement sexuel dans les lieux publics pour célébrer la journée internationale de la femme qui devait avoir lieu deux jours plus tard, le 8 mars. Habitués à ce genre de "rafles" à la veille des événements politiques importants en République populaire, les membres de la société civile chinoise ont d'abord cru qu'elles allaient être libérées sous 24h et que la campagne allait devoir être annulée, comme tant de fois auparavant. Mais cette fois-ci, le dénouement a été différent. Nous sommes aujourd'hui le 30 mars, et cinq d'entre elles, Wang Man, Li Tingting, Wei Tingting, Wu Rongrong et Zheng Churan sont encore en détention.

Plus de vingt jours après leur arrestation, elles n'ont encore été accusées d'aucun crime, et ont dû attendre plusieurs jours avant de pouvoir rencontrer leurs avocats (compte-rendu de la rencontre de Li Tingting avec son avocate disponible ici). Wu Rongrong, souffrant de l'hépatite B, s'est vue refuser ses médicaments de façon systématique et Wang Man a eu une crise cardiaque à cause de l'intensité des interrogatoires et de la fatigue (elle a été par la suite transférée à l'hôpital et ses jours ne sont plus en danger).

Le 20 mars, seize personnes se sont rendues au centre de détention de Haidian, à Pékin, pour exiger que les traitements inhumains infligés à Wu Rongrong cessent. En réponse, les policiers ont accepté de remettre leur pétition à leurs supérieurs. Alors qu'elles attendaient leur réponse à l'entrée du commissariat, trois voitures de police les ont encerclées puis saisies. Elles ont été détenues pendant dix heures.

Le 24 mars, vingt policiers en civil ont envahi les bureaux de l'ONG chinoise Yirenping et emporté des ordinateurs et des dossiers financiers ainsi que l'un des employés. Ils ont ensuite changé les verrous de la porte du bureau pour faire en sorte que les employés ne puissent plus y retourner. Le militant arrêté a été libéré et les cinq employés de l'ONG ont quitté Pékin par peur de représailles. Le crime de cette ONG? Envoyer des informations régulières sur le cas des cinq jeunes femmes et demander leur libération.

C'est la première fois que de jeunes militantes travaillant dans des ONG couvrant les questions de droit des femmes et d'égalité des genres sont traitées avec une telle violence. Le Parti communiste a toujours prétendu défendre l'égalité des sexes et a donc laissé plusieurs actions similaires à celle qui devait être organisée cette année se tenir les par le passé. Ainsi, le jour de la Saint Valentin en 2012, des féministes avaient défilé sur la rue Qianmen (une rue centrale et commerçante de Pékin) en robe de mariée ensanglantée pour protester contre la violence domestique. Des évènements similaires avaient été organisés pour soutenir l'américaine Kim Lee, battue par son mari Li Yang (célèbre entrepreneur chinois) sans provoquer de répression de la part de l'appareil sécuritaire chinois. D'autres campagnes sur le harcèlement sexuel avaient déjà été organisées dans les métro de Shanghai et Pékin en 2013 sans provoquer d'arrestations.

Cet évènement marque ainsi un tournant dans la gestion du développement de la société civile par le pouvoir chinois. Là où l'on se contentait auparavant de s'occuper des employés d'ONG en les "invitant à prendre le thé[2]" ou en les détenant quelques heures dans un commissariat, aujourd'hui on les arrête ou on ferme leurs bureaux, comme ceux l'ONG Li Ren, Rural Library, dont le travail consistait à établir des bibliothèques gratuites dans les écoles primaires déshéritées des zones rurales chinoises. Là où on s'attaquait aux intellectuels et aux avocats qui mettaient le gouvernement devant ses responsabilités (les uns en lui demandant de respecter l'esprit de sa constitution, les autres en se fondant sur ses lois pour combattre ses abus), on s'attaque désormais à ceux qui s'adressent à la société pour la sensibiliser. A peu près n'importe quelle question est devenue "politiquement sensible" en République populaire, à partir du moment où elle porte sur la défense des droits et qu'elle a lieu dans l'espace public.

Si l'on ajoute à ce tableau la lutte violente engagée par le pouvoir contre le financement étranger des ONG chinoises et contre les ONG internationales en général, on comprend que les difficultés s'accumulent pour ceux qui se battent pour le respect des droits fondamentaux en République populaire. Malgré cela, le courage et la ténacité de ces jeunes femmes et de tant d'autres dans leur travail quotidien sont porteurs d'espoir et laissent penser que "le rêve chinois" du camarade Xi Jinping sera plus difficile à réaliser qu'il n'y paraît.

Jean-Philippe Béja


[1] lianghui réunion annuelle de l'Assemblée Nationale Populaire (ANP) et de la Conférence Consultative du Peuple Chinois (CCPCC).

[2] Méthode consistant à convoquer un militant dans un restaurant, un salon de thé ou au commissariat pour l'intimider et le pousser à cesser de travailler sur certaines causes.

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