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Billet de blog 21 juin 2017

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Et maintenant, sommes-nous vraiment en marche pour faire barrage au FN ?

M. Macron s'apprête a régner sans partage sur l'exécutif et le législatif. Élu président pour "faire barrage au FN", quelles sont ses chances de réussir ? En seulement 5 ans de politique Hollande-Valls-Macron le FN a gagné 4,2 M d'électeurs, passant de 6,4 M en 2012 à 10,6 M en 2017. En 1995 il n'était encore "qu'à" 4,5 M. L'uber-société à la Macron est-elle une solution, ou une cause profonde ?

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Élu président pour "faire barrage au FN", M. Macron a entrepris de mettre en oeuvre ses solutions tambours battants : suppression déguisée de l'impôt sur la fortune, mise à contribution financière des retraités les plus démunis, lois sécuritaires et état d'urgence permanent, avec son lot de violations des droits de l'Homme (appelées courtoisement "dérogations" par la Cour Européenne des Droits de l'Homme), confirmation de la dégradation systématique des services publics ordinaires (éducation, enseignement supérieur, santé, recherche, etc.) pour favoriser leur privatisation, etc.

L'avènement de l'uber-société

Mais le pire viendra sans doute du changement de cap violent en matière de protection sociale. L'uber-société ne se fixe plus comme rôle de protéger les plus démunis, socialement et financièrement. L'uber-société ne protège plus les individus, elle protège l'individualisme. L'uber-société s'organise pour permettre à quelques-uns de pouvoir réaliser leur rêve d'écraser tout le monde pour parvenir en bout de chaîne alimentaire et devenir milliardaire. Mais "chacun a sa chance", nous dit-on. L'intérêt dit "collectif" est alors de permettre à une poignée d'entre nous de devenir sur-puissants, en espérant qu'un jour ces nouveaux privilégiés daignent redistribuer quelques miettes autour d'eux.

Cette vision dogmatique de la société, et de l'économie, nous est en fait assénée depuis plusieurs décennies : pour que l'économie fonctionne, il faut, nous dit-on, des gens riches et des entreprises riches pour qu'ils et elles puissent nourrir "les autres". Ou, dans une version plus alarmiste, pour lutter contre le chômage il faut d'abord enrichir les employeurs afin qu'ils puissent, nous répête-t-on sans relâche depuis 35 ans, embaucher. Pour quelle efficacité ? À partir de quelle accumulation de richesse ceux qui la détiennent se décident-ils à la partager, en admettant qu'ils le fassent jamais ? La dérégulation à outrance tire-t-elle vraiment l'ensemble de la société vers le haut, ou seulement une poignée de privilégiés dont l'appétit pour l'accumulation de richesses n'a aucune limite ?

Parce que la richesse est là, et bien là. Depuis début 2017, les entreprises du CAC 40 reversent des dividendes records à leurs actionnaires (tels que mesurés par le "CAC 40 GR"). En trente ans, la rémunération des actionnaires a été multipliée par 5, pour représenter 45 jours de travail par an en 2012. Et le calcul mériterait d'être mis à jour avec les dividendes records de 2016. Mais ça ne semble pas encore suffire. Il semblerait qu'un des problèmes majeurs de notre société aujourd'hui, selon M. Macron, vienne des protections sociales encore accordées aux travailleurs. Ces travailleurs, nous dit-on, "coûtent trop chers", et ne sont pas assez "flexibles". À force de nous répéter que ce sont les entreprises qui font vivre les travailleurs, nous finissons par le croire. Pourtant, cette vision des chose inverse sournoisement la réalité, puisqu'en y regardant bien ce sont bel et bien les travailleurs qui font vivre les entreprises, et ses actionnaires. Mais une répartition des gains plus équitable ne semble pas à l'ordre du jour.

La soi-disant "Révolution" de M. Macron consiste, sur la forme, à faire de la politique comme on conduit une affaire commerciale façon start-up. Mais qu'en est-il sur le fond politique ? Quel projet de société, qui accessoirement fasse barrage (ou même, soyons fous, fasse reculer) l'extrême-droite ? Son programme économique et social va non seulement dans la même direction que celle du quinquennat précédent (dont il était déjà en grande partie responsable) et de ceux d'avant, mais de surcroît il souhaite l'accélérer, notamment en court-circuitant le débat démocratique avec des lois imposées autoritairement par ordonnances.

Quelles conséquences sur l'électorat d'extrême-droite ?

Cette stratégie va-t-elle apaiser les électeurs qui se tournent vers l'extrême-droite par découragement, par désespoir, ou par dégoût des politiques mises progressivement en place depuis 35 ans ? Quelles chances cette stratégie a-t-elle de satisfaire les classes les plus basses de la société, jusqu'aux classes moyennes-basses et moyennes ? En quoi l'affaiblissement légal de ces classes sociales, notamment dans leur rapport de force aux puissants employeurs, ou à l'État, va-t-il "faire barrage au FN" ? En quoi l'affaiblissement des services publics, et leur démantellement systématique plus ou moins masqué au profit d'intérêts privés va-t-il "faire barrage au FN" ? En quoi la protection et l'acroissement des grandes fortunes personnelles vont-ils "faire barrage au FN" ? En quoi un état d'urgence permanent va-t-il "faire barrage au FN" ? Et en quoi tout cela est-il nouveau sous le soleil ?

La progression de l'extrême-droite en nombre d'électeurs sur les 20 dernières années devrait être un signal d'alarme pour tous. À "seulement" 4,5 M en 1995, elle est à 6,4 M en début de mandat de M. Hollande, et termine à 10,6 M au 2e tour de 2017 (7,7 M au 1er tour). 4,2 M d'électeurs supplémentaires en seulement 5 ans d'un programme économique dont M. Macron était le principal maître d'oeuvre. Si cette progression se poursuit, le FN pourrait dépasser les 9,5 M d'électeurs au 1er tour de la présidentielle de 2022. À titre de comparaison, M. Macron n'en a totalisé que 8,6 M lors du 1er tour de 2017. Malgré l'alerte patente et chiffrée, le programme qui s'annonce pour les 5 ans à venir poursuit imperturbablement la même direction, telle une autruche la tête dans le sable. Ou, pour reprendre l'image de Mathieu Kassovitz dans "La haine", tel cet homme en chute libre du haut d'un gratte-ciel, qui à chaque étage se répète "jusque-là, tout va bien".

M. Macron devrait prendre garde à ce que ses orientations politiques, économiques et "sociales" n'engendrent pas toujours plus de cette haine, tant elles ignorent une part grandissante de la population, et la pressurent encore et toujours plus sans la moindre considération. Parce que l'Assemblée Nationale maintenant élue, constituée apparemment à 70 % de députés issus des classes dites supérieures, ne permet malheureusement pas d'augurer autre chose à venir qu'une lutte des classes de plus en plus violente. Souhaitons donc que M. Macron ait bien présent à l'esprit que "l'important ce n'est pas la chute, c'est l'aterrissage".

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