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Billet de blog 21 avril 2016

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Carpe DiEM25

Le 9 février dernier a vu le lancement du mouvement "Democracy in Europe Movement", DiEM25, à l'initiative de l'ancien ministre grec des finances Yanis Varoufakis. Mot d'ordre : "démocratiser l'Europe". Le manifeste de DiEM25 répond enfin à la nécessité de plus en plus prégnante de faire de la Politique, au sens de "construire un projet de société", directement à l'échelle pan-européenne.

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Le mouvement DiEM25, dont le manifeste a été publié sur mediapart, ne consiste pas "simplement" à concevoir un Plan B, bien que ce soit au demeurant une excellente initiative, mais plutôt à imaginer, concevoir, et construire un système tout entier -- un Plan A, en quelque sorte. Le temps n'est en effet plus à imaginer des solutions de secours au cas où le plan initial n'aboutisse pas : de fait, il ne fonctionne déjà plus ! Le Plan B est ce sur quoi nous aurions dû plancher "avant", dans l'hypothèse d'aujourd'hui. Nous ne l'avons pas fait, et il est grand temps maintenant de fixer une nouvelle feuille de route. Mais peu importe la terminologie, tant il est évident que l'initiative autour du fameux Plan B va dans le même sens politique que DiEM25. Simplement, l'idée supplémentaire avec un véritable mouvement militant tel que DiEM25 est d'affirmer également que pour arriver à construire cette voie alternative pour l'Europe, ce dont nous avons besoin c'est de nous lancer dans une expérience militante et humaine qui dépasse les seules élites politiques, et qui ait l'ambition de faire tomber le dernier mur psychologique que sont les frontières entre états membres. L'UE actuelle dépense une énergie considérable pour nous maintenir dans cet état d'esprit complexé, à nous de le dépasser et de proposer autre chose.
"Peut-être, mais les gens ne sont pas prêts !". Faux. Mais peu importe, en fait, parce que la question n'est plus là.  L'administration européenne qu'est devenue l'actuelle UE, elle, est prête depuis longtemps. Nous n'avons d'ailleurs même plus la maîtrise de l'essentiel de nos politiques nationales, qui sont téléguidées depuis Bruxelles, plus ou moins directement, depuis l'échelon le plus local jusqu'à l'échelon national. Et quelle est l'opposition politique à laquelle est confrontée cette UE ? Le néant. Elle est inexistante. Ou plutôt elle est divisée, morcelée entre les pays membres, incapables que nous sommes de dépasser nos visions nationales de la Société et d'assumer un changement d'échelle. La question n'est donc plus, depuis longtemps, de savoir si nous souhaitons ce changement ; la question est de savoir quelle forme nous souhaitons lui donner. Nous pouvons subir la forme actuelle, et tenter de limiter les dégâts qu'elle engendre, ou nous pouvons construire une alternative.
Ce que nous devrions tous avoir clairement à l'esprit aujourd'hui c'est précisément que les politiques nationales se font dorénavant en Europe, et que cette Europe-là n'a surtout pas l'intention de faciliter l'émergence d'un sentiment Européen. En chantre du libéralisme économique ultra-orthodoxe, l'UE agit au contraire jour après jour pour renforcer un environnement où la sacro-sainte Compétition entre tous est omniprésente, érigeant cette Compétition en principe inviolable, et prenant toutes les mesures possibles pour empêcher les pratiques et les initiatives qui risqueraient de mettre en péril ce tout-compétition. "Diviser pour mieux régner" est une stratégie qui a fait ses preuves. Juncker nous l'a d'ailleurs bien dit : "Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens". Quelle arrogance, d'oser même une telle affirmation ! D'où vient donc ce sentiment manifeste d'impunité, qui conduit nos dirigeants à ne même plus craindre la démocratie elle-même, et à oser l'affirmer haut et fort ? Est-ce là un modèle de société qui doit perdurer ? Et où est donc le discours d'opposition, le contre-argumentaire, élément indispensable à tout fonctionnement démocratique ?
Cette vision de la chose politique, unique et inéluctable, est insupportable, et ne doit en aucun cas nous être imposée comme elle l'est aujourd'hui. Nous sommes, dans le même temps, un certain nombre à penser que "L'union fait la force" est la règle qui doit prévaloir pour nous conduire vers une société plus juste. Aujourd'hui il est donc grand temps de s'unir, et de s'organiser, afin d'opposer à cette Europe administrative un discours et une action politiques véritablement pan-européens, au-delà des états membres. Une leçon parmi d'autres que nous devons tirer des déclarations et agissements récents de l'UE actuelle est que sa seule crainte est la démocratie en action. Et à juste titre : c'est bel et bien par la démocratie qu'elle peut et doit être repensée, restructurée, et réorganisée, nous le savons tous depuis longtemps. Aujourd'hui la vision de société que nous devons proposer doit se placer à l'échelle Européenne.
Le discours unique ambiant consiste à assimiler "pro-Europe" à "pro-UE-sous-sa-forme-actuelle", partant du principe que cette UE-là est la seule forme d'organisation pan-européenne possible. Le discours n'est pas seulement faux, il est avant tout abusif, pour ce qu'il suggère, lorsqu'il n'affirme pas explicitement, que toute opposition à l'administration actuelle de l'UE est synonyme d'anti-Europe et de nationalisme exacerbé. Cette pratique de diabolisation est intellectuellement malhonnête, et on ne peut s'empêcher de penser que le seul but recherché avec une telle assimilation et culpabilisation des discours d'opposition est de maintenir l'omnipotence et l'omniscience de l'UE actuelle, en tuant dans l'œuf toute poche de résistance ou tentative de contradiction. Il y a finalement une certaine logique dans ce discours : le débat contradictoire étant au cœur de la démocratie il est crucial pour l'UE de l'empêcher au plus tôt, pour ne pas courir le risque de voir émerger de solutions alternatives.
Bien sûr il est important de souligner que les combats locaux, régionaux, et nationaux restent pertinents et importants. Mais les réponses que nous apportons à ces niveaux-là, ou proposons d'apporter, doivent s'intégrer dans un projet de société pan-européen. Tant que nous ne prendrons pas conscience de cela nous en serons réduits à nous battre contre des moulins à vent, en faisant de notre mieux pour réduire à la marge les effets néfastes des directives Européennes. À ma connaissance DiEM25 est la première initiative qui va dans ce sens. Une utopie ? Peut-être. Et quand bien même ? Aurions-nous déjà oublié que la politique peut (et doit) être motivée par une vision de société, et non seulement par des motifs économiques soi-disant impératifs, ou autres mesures prétendument urgentes dont le seul but est d'entretenir les peurs des uns et des autres ? Comme tout projet, un projet politique se doit d'avoir une finalité, déclinée en buts à atteindre à cette fin, et donnant lieu à leurs tours à des objectifs précis. Dénoncer comme "utopistes" ceux qui prétendent repenser le projet Capitaliste de société en se fixant une nouvelle finalité, un nouveau cap pour l'action politique, c'est admettre qu'aucun projet alternatif n'est possible, ou tout simplement refuser l'idée même de chercher à en construire un autre. Il n'y a pas plus aveugle que celui qui ne veut voir. Peu importe, en fait, que DiEM25 soit ou non une utopie : c'est un mouvement qui s'interroge, qui questionne le système en place, qui fait avancer la réflexion, et qui-plus-est qui tente de construire des réponses aux problèmes soulevés. La démarche n'est pas seulement noble d'esprit, elle est avant tout très concrète et indispensable à l'élaboration d'un projet de société.
En cette période troublée, où les élites politiques se détachent chaque jour un peu plus du peuple, de ses aspirations, ses besoins, ses attentes, et ne gouvernent plus que pour une caste d'ultra-privilégiés, il est plus que jamais primordial que chacun d'entre nous se sente concerné et contribue d'une manière ou d'une autre à ce que le peuple reprenne le pouvoir.
Carpe DiEM25, donc !

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