« Vie d'un païen », le roman culte de Jacques Perry, est enfin réédité. Paru en 1965, anticipant l'esprit d'insoumission de Mai 68, ce road movie avant la lettre n'a pas pris une ride. Il nous entraîne à travers la France et l'Italie du début du XXe siècle sur les traces d'un jeune peintre prolétaire propulsé par l'absolue liberté que lui procure sa totale amoralité.
« Je traînais des mois en France, évitant les gendarmes et les hôtels, traversant Nivernais, bourbonnais, Auvergne, Cévennes, Provence, tout à pied. C'était le début de l'été. Je dormais n'importe où, vivais de pain et de fromage, de fraises ou de cerises cueillies dans la campagne. Il faut si peu d'argent. Je ne comprends pas qu'il y ait si peu de vagabonds. J'invite ceux qui aiment la liberté à la grande promenade . » Ainsi parle le protagoniste de « Vie d'un païen », Charles Desperrin, né à Gien, en 1877, d'une mère femme de ménage et d'un père inconnu.
Quand « Vie d'un païen » reçoit, en 1966, le Prix des libraires, Jacques Perry griffonne ces lignes sur un coin de table : « Prenez un enfant très grand, très robuste ; donnez-lui une mère presque muette à force de simplicité, et qui ignore la morale. Surtout pas de père. Épargnez-lui l'éducation du vase de Soissons. Donnez-lui de puissants instincts, du talent pour la peinture, et lâchez-le sur les routes. Peut-être deviendra-t-il un grand peintre. Tout dépendra de son courage, de sa folie et des hasards de la vie. En tout cas, il deviendra un homme entier, sans “complexe”, sans faiblesse et sans cruauté, un de ces hommes que la société ne peut supporter qu'en tout petit nombre sous peine d'exploser : un grand païen. »
Aujourd'hui où vagabond rime avec SDF on a oublié que, dans les années soixante et soixante-dix, toute une jeunesse va, sans le savoir, s'inspirer de Charles Desperrin. Comme lui, tout au long de leurs errances sur les routes, hippies et beatniks vont « incarner subitement le désordre et la liberté », croiser le chemin d'une multitude d'autres personnages, s'énivrer de l'amour pluriel sans comprendre « qu'on pût se sentir coupable en agissant selon son bon plaisir », et découvrir que « le vagabondage demande une âme légère dans un corps dur ».
LE PREMIER VOLUME D'UNE TRILOGIE
En nous transportant dans la vie quotidienne de la France et de l'Italie d'il y a un siècle, Jacques Perry nous immerge, avec son style enlevé, dans un monde où, les jours de foire, les paysans, souvent, « étaient invariablement ivres et repartaient, assis de côté sur le cheval, jambes pendantes, piquant du nez ».
« Vie d'un Païen », ce sont les mémoires que Charles Desperrin écrit à quatre-vingt-cinq ans, c'est-à-dire en 1963, alors qu'il est devenu un peintre illustre dont les tableaux figurent dans les musées du monde entier. Ce premier volume de la « Vie d'un païen » se termine en 1914, au début de la guerre. Le premier d'une trilogie dont les deux autres tomes seront à leur tour réédités par les éditions du Bateau ivre dans les mois à venir.
LE LIVRE
« Vie d'un païen » de Jacques Perry, 320 pages, 20 €
Éditions Le bateau ivre, 5 rue Picot, 83 000 Toulon
http://lebateauivre.fr/
https://www.facebook.com/LeBateauIvreEditeur
L'AUTEUR
Né en 1921 à Neuilly-sur-Seine, Jacques Perry est à ce jour l'auteur prolifique de 32 romans, trois pièces de théâtre et de nombreuses pièces radiophoniques, diffusées sur France-Culture et France-Inter. Il a été récompensé par plusieurs grands prix littéraires, dont le Prix Renaudot en 1952 pour « L’amour de rien » (Julliard), le Prix des libraires en 1966 pour « Vie d’un païen » (Robert Laffont) et le Prix du Livre Inter en 1976 pour « La Ravenala ou l’Arbre du voyageur » (Albin-Michel). Dans les années d'après-guerre, ses premiers romans témoignent d'une inspiration assez noire.
Puis, au début des années 60, après une longue période de maturation, les trois tomes de Vie d'un païen surgissent comme une joyeuse embellie. Dès lors, il enchaînera les succès jusqu'au début des années 2000, apparaissant pour beaucoup comme un des écrivains majeurs de la seconde moitié du XXe siècle.
Retiré depuis longtemps dans sa jolie maison de Seine et Marne avec son épouse Katalin, Jacques Perry se tient à l'écart des mondanités parisiennes et fréquente plus volontiers depuis toujours ses amis peintres. À 92 ans, il écrit son trente-troisième roman.
L'ÉDITEUR
Fondée en septembre 2013, la toute nouvelle maison d'édition Le bateau ivre, établie sur la côte varoise, a de grandes ambitions :
– faire redécouvrir de grands textes littéraires du XXe siècle injustement oubliés,
– faire découvrir de jeunes auteurs débutants du XXIe siècle.
Elle a déjà publié en 2013 un texte d'une actualité brûlante : « L'Église et la République », d'Anatole France, ainsi qu'un joli recueil de nouvelles peu connues : « Sanguines » de Pierre Louÿs.
Au programme de 2014 :
• Trois autres superbes ouvrages devenus introuvables de Jacques Perry, dont les deux premiers constituent la suite de « Vie d'un païen » (« La Beauté à genoux » et « La Peau dure Á) et le troisième, une autobiographie imaginaire de Picasso (« Yo Picasso »).
• Trois textes magnifiques de Jacques Audiberti, qui constituent les trois volets d'un essai intitulé « Le Globe dans la main » et dont les deux premiers (« L'Amour et La Médecine ») sont devenus introuvables, tandis que le troisième (« La Guerre ») est inédit.
• Et puis quelques surprises, parmi lesquelles au moins une œuvre d'un jeune auteur inconnu, « parce que c'est la vocation première de tout éditeur de découvrir de nouveaux talents ».
[Image en tête article : « La renaissance », collage et huile sur carton, J-P A 2002]