
« J’aimerais savoir si les militant(e)s « socialistes » dont la presse dominante recueille si complaisamment les complaintes depuis que Jérôme Cahuzac est passé à l’aveu ont l’intention de continuer encore longtemps cette gonflante comédie - ou s’ils vont bientôt cesser, merci ?...
Billet de Sébastien Fontenelle paru dans Bakchich, le 6 avril 2013

... « Non, je demande, parce que, perso, bien plus que la révélation des pratiques bancaires de l’ex-ministre « socialiste » du Budget (1), c’est plutôt le spectacle surmédiatisé des larmes de Gérard Filoche, qui me fout les miquettes – et plus généralement la lancinante mélopée des « déçu(e)s » et des « écoeuré(e)s » qui depuis quatre jours vont psalmodiant qu’ils ne sont pas entré(e)s en politique pour se faire ainsi posséder, honte à toi Cahuzac, et qu’eux, n’est-ce pas, ce qui les intéresse, c’est les «vrais sujets», etc.
Tu veux du vrai sujet, Hervé?
Je te soumets quelques suggestions.
Jérôme Cahuzac, contrairement à ce que tu as l’air de penser – ou si c’est juste que tu voudrais nous le faire croire –, n’est pas ce gars dont tout soudain tu nous expliques que tu ne comprends pas du tout ce qu’il fait dans ta cuisine - merde alors, par où qu’il est-il rentré, ce déprimant capitaliste?
Jérôme Cahuzac est un «socialiste», made in la rue de Solferino, où votre parti a le siège.
Concrètement, qu’est-ce que ça veut-ce dire?
Concrètement, ça veut dire qu’il est de la fine équipe dont les représentant(e)s, depuis trente longues années – n’oublie pas de souffler les bougies d’anniversaire du Grand Reniement Dégueulasse de 1983 -, suivent le régime (toujours le même, à base de privatisations et de réduction de la dépense publique) qui leur permet de se sentir à l’aise dans leurs (plus si) nouveaux habits d’obéissants sujets de Sa Majesté Le Très Saint Marché, que son nom soit mille fois béni.
Des libéraux, quoi – mais plus nettement radicaux que ceux du camp politique (dit) d’en face, puisque c’est sous leur règne que monsieur Bébéar, emblématique boss patronal, s’est le plus extasié que des gouvernant(e)s osent aller si loin dans le démantèlement de nos antiquités sociales.
Un libéral, c’est quoi-ce?
C’est quelqu’un(e) qui met le profit avant tout.
Et qui tient que cette fin – la multiplication des talbins - justifie les moyens (2).
Et qui, parce qu’il sait parfaitement que les salarié(e)s sont les pires ennemis du business, s’accommode sans trop de mal de les voir sacrifier sur l’autel des dividendes: j’eus adoré sauver ton poste, mais l’État ne peut pas tout, quand ce tout n’est pas du domaine de la mutualisation des pertes du secteur privé.
(Pour Pôle Emploi tu prends tout droit, puis la deuxième à gauche.)
Le libéral, dans sa déclinaison «socialiste», est – par exemple - ce curieux mec, tu sais, qui posément déclare aux salarié(e)s de Renault Vilvorde: allez donc vous faire foutre, j’ai mieux à faire que de m’occuper de vos fins de mois, j’ai d’entiers pans de mes environs à privatiser - sans quoi monsieur Patron me mesurera ses louanges, et j’en serai marri.
Sa morale, dans ces différentes (mais complémentaires) matières, est à peu près celle du goujon – à ceci près, naturellement, que jamais le goujon n’outre son indécence jusqu’à venir te caresser le bulletin de vote en te sussurant qu’il est de gauche, alors que le « socialiste » : si.
Les yeux dans les yeux – comme on dit beaucoup ces jours-ci: il te jure et promet que si tu lui donnes de ta voix, il va te sauver l’emploi.
Et ce n’est bien sûr pas vrai – mais il aurait tort de se gêner, vu que tu es si crédule.
Question numéro 2 : est-ce que le libéral, quand il se fait de la monnaie dans la sueur des prolétaires, vient gentiment la déposer chez La Poste - qu’il veut bien sûr privatiser, nonobstant que cela peut certaines fois être un peu coûteux en vies de salarié(e)s harassé(e)s?
Non point: il la délocalise vers des archipels exotiques, car il juge que trop d’impôt tient du soviétisme, et n’entend pas laisser l’État le ponctionner des quelques dépassements d’honoraires et autres stock options qu’il a mis de côté.
Le libéral conséquent veut donc s’émanciper – cela fait un tout avec le reste de sa philosophie de la vie - de la tutelle du fisc, et rester libre d’investir, plutôt que dans la redistribution, dans des aventures enivrantes, quelque part en Chine populaire – grand paradis démocratique -, ou d’entreposer le produit de ses astucieux placements chez un banquier singapourais.
Et là encore, il aurait tort de se brider, puisqu’il est aux affaires – et veille à ce que rien n’empêche la libre circulation des capitaux.
Questions subsidiaires: est-ce qu’un certain Arnaud Montebourg n’aurait pas rédigé, il y a de ça déjà quelques temps, un virulent rapport sur les paradis fiscaux ?
Si fait : il a.
Est-ce que ce certain Arnaud Montebourg ne serait pas au parti des «socialistes» de la rue de Solferino ?
Si fait : il y est.
Est-ce que lesdit(e)s, prévenu(e)s, ont légiféré pour empêcher que des euros baladeurs ne finissent à George Town ?
Que non, Raymond : ils étaient pris par la planification de la réforme des retraites qui doit leur permettre de récupérer les vingt milliards d’euros qu’ils viennent de verser dans les tirelires des entreprises.
T’es-tu plaint?
As-tu narré qu’il devenait « difficile de se dire socialiste » ?
As-tu pleuré, bouleversé jusqu’aux tréfonds par les manquements de ton-parti-pour-lequel-tu-as-voté?
Si oui : je t’ai pas vu.
Mais je crois que tu n’as rien dit vraiment, pendant toutes ces années où il consolidait (pour le modique prix d’une looooongue série de trahisons) les dispositifs où quelques triées coteries se gavent – pour finalement s’équiper d’un ministre du Budget totalement désinhibé.
Ou alors si : t’as dit.
Mais personne t’a écouté: t’as fait « l’aile gauche » - cette farce qui depuis toutes ces années permet à tes « camarade s» de libéraliser en protestant qu’ils ne sont pas de droite du tout, gadez bien, j’ai monsieur Emmanuelli et monsieur Hamon sur mes marches occidentales, et vous prétendez que j’aurais oublié monsieur Jaurès?
Et dans ces conditions: n’importe qui d’un peu sensé aurait bougé depuis lurette – parce que tout le monde ou presque se lasse un jour de pisser dans des violons.
Mais toi?
Non.
T’es resté.
Alors évidemment, quand après tout ça je t’entends bubuler que Jérôme Cahuzac t’a horriblement déçu, et que t’es pas venu jusqu’à la rue de Solferino pour te laisser marcher dessus – mais pour traiter de vrais sujets -, je te trouve un peu désolant.
Regarde autour de toi, la prochaine fois que t’iras au siège de ton parti: tu verras plein de pair(e)s de Cahuzac, pétri(e)s comme lui de la conviction que la lutte des classes est dépassée, et qu’il convient d’asseoir l’emprise de celle des possédant(e)s.
Le mec n’est pas un mouton noir égaré dans un blanc troupeau : il est le produit d’une culture (du résultat).
Sèche tes larmes, s’il te plaît : elles viennent trop tard. »
Sébastien Fontenelle
http://www.bakchich.info/blogs/sebastien-fontenelle/seche-tes-larmes-socialiste
(1) Dont l’excellent Claude Bartolone, président d’une Assemblée où siège Patrick Balkany (liste non exhaustive), nous explique gravement qu’il messiérait qu’il prétendît garder son siège de député : on passe quand même de bons moments.
(2) La prochaine fois qu’un(e) rigolo(te) viendra te chanter les suavités de la concurrence libre et non faussée, demande-lui par exemple pourquoi le versement de «commissions» sur de lointains comptes bancaires est explicitement compté au nombre des traditions de «notre» commerce extérieur : tu vas voir que c’est assez fendard.
• Autres articles de Sébastien Fontenelle : http://www.bakchich.info/auteur/sebastien-fontenelle
