« J'ai 44 ans de métier et c'est la première fois de ma vie que j'attends les vacances pour faire ce que je n'ai pas pu faire ! » Nadia Miri, directrice d'une école primaire parisienne, est signataire d'un appel où 397 des 662 directeurs des écoles élémentaires et maternelles de Paris expriment leur « désarroi » et leur « colère ». Vincent Peillon ne veut rien savoir, il plastronne, sa réforme est « un succès »... De la langue de bois, vraiment ?
Renoncer à la réforme des rythmes scolaires ? «Jamais ! » a dit et redit Vincent Peillon sur le plateau de BFM Politique-RMC-Le Point, le 14 octobre. Dans son compte-rendu, le journaliste du Point, Christophe Ono-dit-Biot, décrit un homme politique sans état d'âme : « Inébranlablement sûr de lui, le sourire en coin, parlant d'un "combat idéologique à mener", le ministre de l'Éducation balaie comme s'il s'agissait d'un moucheron la grogne qui monte chez les parents d'élèves et les enseignants. » «C'est un succès » martèle Vincent Peillon, « Il faut être dans la raison et pas dans l'émotion » sermonne-t'il.
« Depuis le 2 septembre, l’essentiel de nos préoccupations et de notre temps est consacré au périscolaire municipal décidé par la Ville de Paris. Sa qualité, par ailleurs très inégale, les conditions dans lesquelles il s’exerce, ses modalités d’organisation, les périmètres de responsabilité des uns et des autres dans cette nouvelle organisation de l’école, sont les sujets qui envahissent nos journées », écrivent les directeurs signataires de la lettre ouverte au Directeur académique des services de l'Éducation nationale.
« TOUT LE MONDE PLEURE »
Ce que Nadia Miri (1) formule ainsi : « C'est la confusion totale entre le temps scolaire et périscolaire. C'est le bordel, plus personne ne s'y retrouve, tout le monde pleure : les enfants, les parents, les enseignants, les animateurs. Les enfants ne se repèrent plus dans le temps ni dans l'espace. C'est la première fois de ma vie que je vois des enfants pleurer à midi parce qu'ils ne savent pas à quelle heure ils sortent, que je vois des enfants épuisés s'endormir à la bibliothèque à l'heure de midi, que je vois des enfants déboussolés entre l'apprentissage de la lecture le matin en classe et des exercices de lecture l'après midi avec une association dans le cadre de l'ARE (aménagement du rythme éducatif) dans les mêmes locaux. »
Une parent d'élève écrit à Nadia Miri : « Tout vole en éclat, les enfants sont récupérés énervés, on les récupère dans la cour et on y rentre comme dans un moulin : pas de sécurité ! Mon fils ne veut plus aller aux ateliers ! il pleure pour que je ne l'y laisse pas ? Que s'y passe-t-il ? Qui s'occupe de lui ? pour faire deux collages et trois pliages ! Il préfère ce que sa maitresse lui fait faire ; voilà ses mots. »
« Nous souhaitons affirmer fortement ici qu’à l’école, l’important c’est l’École, autrement dit les apprentissages » [en gras dans le texte], proclament les 397 directeurs en colère. Car ce qui est en cause c'est que « depuis un mois, les bâtiments scolaires sont réduits à des lieux d’accueil pour enfants où différents adultes possédant des statuts mal identifiés par les élèves passent faire avec eux des « activités », le scolaire peinant à trouver sa place dans la confusion générale des espaces et des rôles de chacun. » Et de préciser qu' « en professionnels de l’Éducation que nous sommes, nous savons que la désorganisation structurelle induite par l’application de cette réforme parisienne, ne sera pas résolue après une « période de rodage » ou après quelques « ajustements » à la marge ».
UN « BORDEL » PROGRAMMÉ
Royal, Vincent Peillon concède que sa « réforme est victime de son succès ». Et si ce n'était pas seulement de la langue de bois ? Et si Vincent Peillon ne se contentait pas de se défendre par le déni mais se vantait aussi d'avoir franchi un grand pas dans « le combat idéologique à mener » ? Si le but réel de sa réforme est de faire exploser l'école de la République, en brouillant les repères, en montant les uns contre les autres, en perdant les enfants, en dénationalisant l'éducation... Vincent Peillon peut effectivement s'autoféliciter. Et quoi de plus efficace que le « bordel » pour ouvrir les fenêtres et les portes aux prédateurs ?
« Si tout le monde cherche de l’argent pour le péri-éducatif, certaines grandes multinationales en déficit d’image auprès du grand public et soucieuses de financer leurs bonnes œuvres ont pris la balle au bond », écrit dans son blog, un professeur d'école, Lucien Marbœuf. « Ainsi Total, qui a signé [en juin 2013] un accord cadre avec l'État pour un montant de 16,7 millions d’euros. Trois domaines d’action pour la jeunesse sont décrits, dont le péri-éducatif des nouveaux rythmes scolaires, à hauteur de 4 millions d’euros. » Et de conclure : « Faut-il regretter une privatisation de l’école, ou louer un partenariat avec le privé (surtout en temps de crise) qui se pratique déjà ailleurs dans le monde ?... » En Europe, notamment.
Ce 18 octobre, le Premier ministre et le ministre de l’Éducation nationale installent en grandes pompes le Conseil national éducation économie (CNEE). Présidé par l’ancien patron d’Air France-KLM, Jean-Cyril Spinett, ce conseil, où siègent le Medef et des représentants du CAC 40, sera « destiné à dynamiser les relations entre l’école et le monde économique », rapporte l'AFP. À la manière d'un cabinet fantôme, cette sorte de ministère bis « pourra faire des recommandations, donner des avis, solliciter des expertises et porter des projets. »
Réclamant l'arrêt de la réforme des rythmes scolaires, les principaux syndicats d'enseignants (2) appellent à la grève dans les écoles parisiennes le 14 novembre.
(1) Nadia Miri était interviewée sur ce blog à propos de la réforme des rythmes scolaires, en février dernier, « Réforme Peillon : la violence de trop, celle qui fait sauter le couvercle » : http://blogs.mediapart.fr/blog/jean-pierre-anselme/100213/reforme-peillon-la-violence-de-trop-celle-qui-fait-sauter-le-couvercle
(2) Le SNUipp-FSU, le Snudi-FO, Sud Education, la CGT Éduc'action, la CNT-Ste et des syndicats de la Ville de Paris.
• Image en tête de l'article : tableau d'Eduardo Arroyo, DR.