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Billet de blog 23 avril 2015

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Foulard : l'égalité à coup de bâton

« Tout le monde parle des femmes voilées mais personne ne les écoute. Tout le monde croit pouvoir dire ce qui est bon pour elles mais personne ne songe à le leur demander », s'indignait récemment Émile Carme dans un des rares articles qui prend la peine de répondre à cette question : « Comment un vêtement est-il parvenu à brouiller et à cliver à ce point la société tout entière ? »

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Tout le monde parle des femmes voilées mais personne ne les écoute. Tout le monde croit pouvoir dire ce qui est bon pour elles mais personne ne songe à le leur demander », s'indignait récemment Émile Carme dans un des rares articles qui prend la peine de répondre à cette question : « Comment un vêtement est-il parvenu à brouiller et à cliver à ce point la société tout entière ? »

« On dit un peu partout que le « voile » est l’intolérable symbole du contrôle de la sexualité féminine. Parce que vous imaginez qu’elle n’est pas contrôlée, de nos jours, dans nos sociétés, la sexualité féminine ? Cette naïveté aurait bien faire rire Foucault. Jamais on n’a pris soin de la sexualité féminine avec autant de minutie, autant de conseils savants, autant de discriminations assénées entre son bon et son mauvais usage, La jouissance est devenue une obligation sinistre. L’exposition universelle des morceaux supposés excitants, un devoir plus rigide que l’impératif moral de Kant. »

Alain Badiou (« Derrière la loi foulardière, la peur »)

Dans son article,

publié le 31 mars 2015, sur le site Ballast,

Émile Carme expose dans ses termes

le point de vue où il se place :

 « La position morale et politique que nous défendons ici est celle de la ligne de crête. Tenir les deux bouts de la corde, en somme. C'est-à-dire : reconnaître, contrairement à certaines franges militantes radicales, que le voile n'est pas un objet neutre, anodin ou sacro-saint et qu'il constitue, au regard de la tradition féministe [...], l'un des multiples marqueurs de la domination masculine [...] et de la prépotence des hommes (leurs lois, leurs imaginaires, leur désirs, leurs frustrations, leurs attentes et leur empire) tout en reconnaissant, d'un même élan, qu'il est attentatoire à la liberté de pensée et de conscience de forcer une femme à l'ôter (de la même façon qu'il l'est de la forcer à le porter) et que l'attention délirante dont il est l'objet – inversement proportionnelle à celle que l'on porte d'ordinaire aux luttes féministes – relève avant tout du racisme anti-musulman. »

L'ARTICLE :

LE VOILE — HALTE À L'HYSTÉRIE NATIONALE

On l'appelle voile, foulard, hijab, mais aussi tchador, jilbeb ou khimar. Nous ne parlerons pas, ici, de la burqa, du sitar ni du niqab, mais seulement du foulard musulman qui couvre les cheveux, et n'aborderons que le seul cas français.

CHASSE À COURRE

On pourrait (et certains auteurs anti-impérialistes le font) remonter à l'Algérie coloniale et au rapport que les autorités entretenaient avec le voile. C'est toutefois en 1989 – l'année, cela ne fut pas sans incidences, de la fatwa visant Rushdie – que le sujet, celui du « tchador à l'école », s'avance sur le devant de la scène médiatique et politique française. Avec, notamment, l'affaire dite « de Creil » : en septembre de la même année, trois jeunes musulmanes sont renvoyées d'un collège de cette commune de l'Oise du fait de leur habit. La laïcité est invoquée par la direction de l'établissement. Lionel Jospin tente de tempérer – l'école doit inclure et non exclure – et un accord est conclu : les trois élèves peuvent poursuivre leur scolarité à condition d'ôter leur foulard en arrivant le matin et de le remettre sitôt, les cours terminés, à l'extérieur du collège. Les années 1990 voient les incidents se multiplier et les associations s'emparer de ce sujet. Entre 1993 et 2004, on dénombre environ cent exclusions (chiffres de l'ouvrage Des cultures et des Dieux, signé Attias & Benbassa) – parmi elles, en 2003, les médiatiques Alma et Lila Lévy.

Mais c'est en mars de l'année 2004, avec la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques, que l'interdiction du voile (bien que la loi évoque l'ensemble des attributs religieux, elle se focalise à l'évidence sur le vêtement musulman) s'officialise1. Elle fait suite à la commission Stasi, souhaitée par Jacques Chirac peu auparavant. L'opinion, les mouvements associatifs et les partis se déchirent – républicains, socialistes plus ou moins radicaux, laïcs et féministes se divisent. La mesure fait polémique à l'international (on se souvient d'Obama tançant, en 2009, la France en matière de libertés individuelles) et les Indigènes de la République lancent un appel fracassant, à leur création, pour la dénoncer : « Discriminatoire, sexiste, raciste, la loi anti-foulard est une loi d’exception aux relents coloniaux. » Le film Un racisme à peine voilé, réalisé par Jérôme Host, fait alors face à de nombreuses pressions.

Loin, comme semblaient le souhaiter certains des partisans de la loi, d'apaiser les tensions, les polémiques et accrochages autour du voile se multiplient. En 2006, la propriétaire d'un gîte de montagne refuse l'entrée à deux femmes musulmanes (le voile, argue-t-elle, opprime les femmes et, du fait de l'immigration, conduit à l'anéantissement de la civilisation française) ; en 2010, la candidature d'Ilham Moussaïd au NPA suscite une controverse nationale ; en 2012, on refuse à des mères voilées de participer à des sorties scolaires ; en 2013, deux femmes voilées sont violemment agressées à Argenteuil (l'une d'elles, enceinte, perd son enfant) ; en 2014, deux femmes sont exclues de l'espace de loisirs Wissous Plage et une étudiante est vertement apostrophée par l'une de ses professeures à Paris-I Panthéon-Sorbonne ; en 2015, un enseignant de l'université Paris-13-Villetaneuse menace de cesser de faire cours en présence d'une étudiante voilée, un député UMP propose, nous l'avons dit, d'interdire le voile dans les universités, une femme voilée est violentée à Toulouse et le Parti radical de gauche entend empêcher les nounous voilées d'exercer à domicile ainsi que dans les crèches privée

Les porte-paroles politiques ne sont pas en reste dans l'anathème et la confusion mentale. Marine Le Pen appelle, en 2012, à supprimer le voile (et la kippa) des espaces publics – rue comprise. Un an plus tard, Manuel Valls clame : « Le voile qui interdit aux femmes d'être ce qu'elles sont doit rester pour la République un combat essentiel. » En 2014, Nadine Morano photographie une femme voilée à la plage et commente sur son Facebook, après l'y avoir postée : c'est là « une atteinte à notre culture qui heurte » (culture qu'elle juge, précise-t-elle, mieux représentée par Brigitte Bardot en bikini). En 2015, Nicolas Sarkozy croit bon de donner son sentiment (sans craindre de se contredire, mais il semble apporter un soin tout particulier à cultiver cet art, puisqu'il pensait exactement l'inverse en 20092) : « Il y a un certain nombre de pratiques sociétales que nous ne voulons pas. Nous considérons que les valeurs de la République, c'est l'égalité de l'homme et de la femme. Nous ne voulons pas de femmes voilées » (la République n'en finit plus d'avoir bon dos : on se souvient pourtant de ses plus fervents bergers – mafia médiatico-intellectuelle et camarilla politicienne – épaulant comme un seul homme, en 2011, les pratiques assurément « égalitaires » d'un Dominique Strauss-Kahn).

Et nous ne parlons même pas des nombreuses discriminations à l'emploi qui affectent les femmes voilées.

SUR UNE LIGNE DE CRÊTE

On ne devrait plus l'ignorer : le voile revêt différentes significations pour les femmes qui décident de le porter (un détail qui n'en est pas un : nous sommes en France et non en Iran ou en Arabie saoudite, où le voile est une obligation d'État – ce qui n'exclut pas, cela s'entend, que certaines soient contraintes, par pressions familiales, de s'en parer) : spiritualité, dogme, culture, tradition, recherche identitaire... Il peut également être affiché en signe de contestation politique, ainsi que le rappelle Hanane Karimi, porte-parole du collectif Les Femmes dans la Mosquée : « De simple aspiration spirituelle, il est devenu symbole de résistance à une politique sexiste et raciste, à la politique offensive contre nous les enfants d’ex-colonisés. » Et il est même parfois affiché (ce que d'aucuns ne manquent pas de déplorer) en accessoire de mode – songeons aux défilés du Muslim Fashion Show ou au mouvement « Mipsterz » (un néologisme contractant les termes musulman et hipster).

Tout le monde parle des femmes voilées mais personne ne les écoute. Tout le monde croit pouvoir dire ce qui est bon pour elles mais personne ne songe à le leur demander. À l'exception notable de deux ouvrages : Les filles voilées parlent (collectif paru en 2008 chez La Fabrique) etDes voix derrière le voile (de Faïza Zerouala, aux éditions Premier Parallèle, sorti en 2015). Les témoignages qu'ils proposent font état de cette pluralité. Dans les pages de ce dernier, Zerouala rapporte que l'on ignore en général tout de leurs intentions et de leurs motivations. Le voile qui couvre leurs cheveux focalise l'attention et nie leur individualité propre, leur qualité de citoyenne ou de sujet pensant. L'auteure est allée à la rencontre de dix femmes, de 18 à 58 ans, qui portent ou ont porté le voile. Les raisons invoquées ? Pêle-mêle : pudeur, refus d'être considérée comme un objet sexuel, respect du Coran, regard des hommes, humilité, pureté, modestie, plaire à Dieu, vouloir être « une femme bien », sentiment de protection et de fierté, quête identitaire, désir d'invisibilité ou de ne pas se sentir isolée de ses amies, etc. « Je considère, déclara Ismahane Chouder dans Les filles voilées parlent, qu'on ne peut pas objectiver le voile et lui donner une signification unique, valable quel que soit le lieu, quel que soit le contexte social et quelles que soient les filles. »

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