
Agrandissement : Illustration 1

La modernité prétend rendre le monde disponible, mais plus il est disponible et plus il nous échappe
« Dominer le monde, exploiter ses ressources, en planifier le cours… Le projet culturel de notre modernité semble parvenu à son point d’aboutissement : la science, la technique, l’organisation sociale et politique ont rendu les êtres et les choses disponibles de manière permanente et illimitée. Mais alors que toutes les expériences et les richesses potentielles de l’existence gisent à notre portée, elles se dérobent soudain à nous. Le monde se referme mystérieusement ; il devient illisible et muet. Le désastre écologique montre que la conquête de notre environnement façonne un milieu hostile. Le surgissement de crises erratiques révèle l’inanité d’une volonté de contrôle débouchant sur un chaos généralisé. Et, à mesure que les promesses d’épanouissement se muent en injonctions de réussite et nos désirs en cycles infinis de frustrations, la maîtrise de nos propres vies nous échappe. »
S’il en est ainsi, suggère Hartmut Rosa sociologue et philosophe allemand (Rendre le monde indisponible - La Découverte - 2020), c’est que le fait de disposer à notre guise de la nature, des personnes et de la beauté qui nous entourent nous prive de toute résonance avec elles. Telle est la contradiction fondamentale dans laquelle nous nous débattons. Pour la résoudre, son essai ne nous engage pas à nous réfugier dans une posture contemplative, mais à réinventer notre relation au monde.
La mise à disposition du monde est agression, la vitalité de la rencontre est résonance
La modernité est l’idée, le vœu, le désir de rendre le monde disponible.
Mais la vitalité, le contact et l’expérience réelle naissent de la rencontre avec l’indisponible.
Un monde totalement connu, planifié et donné serait un monde mort.
C’est l’indisponible qui suscite le désir.
Dans la mesure où nous visons sur tous les plans cités - individuel, culturel, institutionnel et structurel -, la mise à disposition du monde, le monde nous fait toujours face sous forme de « point d’agression », ou une série de points d’agression, c’est-à-dire d’objets qu’ils s’agit de connaître, d’atteindre, de conquérir, de dominer ou d’utiliser, et c’est précisément en cela que la vie qui constitue que « la vie », ce qui constitue l’expérience de la vitalité et de la rencontre - ce qui permet la résonance -, que la « vie » donc, semble se dérober à nous, ce qui à son tour, débouche sur la peur, la frustration, la colère et même le désespoir, qui s’expriment ensuite entre autres dans un comportement politique impuissant fondé sur l’agression.
Le point de départ est l’idée que les gens sont déjà placés dans le monde, qu’ils « sont au monde ». La première étincelle de conscience, quand on s’éveille le matin ou après une anesthésie, probablement la première impression consciente du nouveau-né, est une impression de présence : quelque chose est là, quelque chose est présent (Merleau-Ponty). On peut concevoir cette présence comme la forme originelle de ce que peu à peu nous éprouvons, explorons et concevons comme le monde ; mais au fond elle précède la séparation entre le sujet et le monde. De cette forme originelle d’un « quelque chose est là, quelque chose est présent », Hartmut Rosa tire une sociologie de la relation au monde fondée sur l’idée que sujet et monde ne sont pas la condition mais, déjà, le résultat de notre être-en-relation avec ce présent : peu à peu, nous apprenons à faire la distinction, à l’aune de ce « quelque chose », entre nous comme sujet découvrant et le monde comme ce que nous rencontrons. Le type et le mode de cet être-en-relation deviennent ainsi constitutifs de ce que nous sommes en tant qu’êtres humains tout autant de ce que nous rencontrons en tant que monde ; sujet et objet doivent être conçus comme les deux pôles, pôle du soi et pôle du monde, d’une relation qui les constitue.
Contrairement aux philosophes et aux psychologues ou aux théologiens, il part de l’idée que le type et le mode de notre être-en-relation avec le monde ne sont pas déjà fixés par notre qualité d’êtres humains, mais qu’ils dépendent des conditions sociales et culturelles dans lesquelles nous entrons dans la socialisation.
Et que, pour les sujets de la modernité tardive, le monde est purement et simplement devenu le point d’agression. Tout ce qui apparaît doit être connu, dominé, conquis, rendu utilisable. Derrière ce constat se dissimule une refonte insidieuse de notre rapport au monde qui remonte loin sur le plan historico-culturel est économico-institutionnel, mais accède à une nouvelle radicalité au XXIe siècle, notamment avec les possibilités techniques offertes par la numérisation et par les contraintes politico-économiques d’extension et d’optimisation du capitalisme financier et de la compétition débridée.
« Une société est moderne si elle est en mesure de se stabiliser - que de manière dynamique, c’est-à-dire si elle a besoin, pour maintenir son statut quo institutionnel, de la croissance (économique), de l’accélération (technique), et de l’innovation (culturelle) constantes ».
Telle est sa définition d’une société moderne.
Le monde est : indisponible > atteignable > disponible.
Rendre le monde disponible, c’est d’abord le rendre visible, connaissable ; puis atteignable ou accessible ; puis maîtrisable, sous contrôle ; et enfin utilisable. Ce qui est là à l’instant présent est instrumentalisé et transformé en matériau et en objet de nos projections et désirs spécifiques. Ces quatre moments de mise à disposition sont solidement institutionnalisés par la science, la technique, l’économie, les règles juridiques et les appareils politico-administratifs.
Revers paradoxal : le recul énigmatique du monde
Le monde rendu disponible se dérobe, se ferme, devient illisible et muet ; il se révèle à la fois menacé et menaçant, et donc au bout du compte constitutivement indisponible. Le monde rendu calculable et maîtrisable ne perd pas seulement sa magie et sa couleur, mais aussi son sens et sa voix. Il se « refroidit » pour devenir une « cage de fer » jusqu’à ce que les hommes soient devenus un « néant » qui s’imagine « avoir gravi un degré de l’humanité jamais atteint jusque-là » (Weber). Quand le monde devient muet la résonance est perdue.
Le monde comme point de résonance
L’aliénation désigne une situation de relation sans relation dans laquelle sujet et monde se font face avec indifférence ou même hostilité sans établir de lien inhérent. Dans ce mode de relation se dissimule déjà le germe du rapport d’agression, qui a toutefois permis les succès spectaculaires de la science, de la technique et du développement. L’accomplissement culturel de la modernité est d’avoir perfectionné l’aptitude humaine à mettre le monde à distance et à y ouvrir un accès permettant de le manipuler. Cette forme de relation au monde agressive et créatrice de distance est primordiale, elle compte au nombre des prérequis de l’être vivant « en position excentrique » qu’est l’homme, c’est -à-dire de se considérer de l’extérieur.
L’agression comme relation au monde devient problématique à partir du moment où elle devient le mode fondamental de toute manifestation de la vie, parce qu’elle méconnaît le fait que sujet et monde ne se présentent pas d’emblée comme deux entités indépendantes, mais qu’ils émanent d’abord de leur interrelation et de leur attachement mutuel : les sujets sont toujours dans le monde ou « au monde », ils se trouvent toujours engagés dans, enveloppés par, et liés au monde comme tout.
Ce n’est pas le fait de disposer des choses, mais l’entrée en résonance avec elles, le fait d’être en mesure de susciter une réponse - l’efficacité personnelle - et de s’engager ensuite à son tour dans cette réponse, qui constitue le mode fondamental pour l’humain de l’être-au-monde dans sa forme vivante.
Quatre moments :
1 Le moment du contact (affection). 2 Le moment de l’efficacité personnelle (réponse). 3 Le moment de l’assimilation (transformation). 4 Le moment de l’indisponibilité.
Les états pathologiques ne peuvent être résolus par la volonté, la résonance ne se laisse pas rendre disponible.
Elle est constitutivement indisponible, et notre rapport avec elle est du même ordre que l’endormissement : plus nous le voulons intensément, moins nous arrivons à trouver le sommeil. La résonance ne peut être obtenue ni empêchée de manière certaine. Il est par principe impossible de savoir de quelle manière et à quel degré nous nous transformons quand nous nous engageons vraiment avec une personne, une idée, un livre, un paysage, avant que le processus soit achevé : ce qui signifie que les effets transformatifs d’une relation de résonance échappent constamment au contrôle et à la planification de sujets ; on ne peut ni les calculer ni les maîtriser. Parce que la résonance est par nature un phénomène dont l’issue ne peut être déterminée à l’avance, elle s’inscrit dans un rapport de tension fondamental avec la logique sociale de l’augmentation et de l’optimisation incessantes qui constituent le point d’agression. Car l’indisponibilité de la résonance signifie qu’elle ne se laisse ni accumuler, ni stocker, ni accroître de manière instrumentale, on ne peut pas se battre pour l’obtenir, le calcul lui est contraire.
La modernité est culturellement portée et structurellement poussée à rendre le monde calculable, maîtrisable, prévisible, disponible : par la connaissance scientifique, la maîtrise technique, le pilotage politique, l’efficacité économique… Mais la résonance, elle, ne se laisse pas rendre disponible : là réside sa contradiction fondamentale, ce qui produit dans des variantes toujours nouvelles, des citoyens en colère.
Cinq thèses sur la disponibilité des choses et sur l’indisponibilité de l’expérience
Thèse 1 : L’indisponibilité constitutive de la résonance et la disponibilité de principe des choses ne forment pas encore une contradiction en soi.
Thèse 2 : Les choses dont nous disposons complètement, c’est-à-dire dans les quatre dimensions, perdent leur qualité de résonance. La résonance implique donc la semi-disponibilité.
Thèse 3 : La résonance exige une indisponibilité qui « parle » ; elle est plus que simple contingence.
Thèse 4 : L’attitude qui vise à la fixation, à la domination et à la mise à disposition d’un fragment du monde est incompatible avec une orientation vers la résonance : elle détruit l’expérience de la résonance en suspendant sa dynamique interne.
Thèse 5 : La résonance a besoin d’un monde atteignable, pas d’un monde disponible (sans limite). La confusion entre l’atteignabilité et la disponibilité est à la racine du mutisme qui s’empare du monde dans la modernité.
Rendre disponible ou laisser advenir ? Le conflit fondamental illustré par six étapes de la vie
La tension irréductible entre la volonté de rendre les choses disponibles, calculables et maîtrisables, et l’intuition ou le désir les laisser simplement se produire en tant qu’ils sont « la vie », de les écouter puis d’y répondre de manière créative et spontanée, se manifeste à toutes les étapes et tous les processus de notre vie - depuis la naissance jusqu’à la mort.
Naissance. Jusqu’à l’invention des moyens de contraception modernes, la grossesse et avec elle la « bénédiction d’avoir des enfants » étaient hautement indisponibles ; l’avortement constitue une tentative plutôt douteuse d’en disposer ex-post à un prix élevé. Aujourd’hui la grossesse s’inscrit dans le domaine du planifiable, du prévisible et du maîtrisable, même si on continue à engendrer sans le vouloir ou que les grossesses n’arrivent pas au bon moment. L’indisponibilité marque encore la genèse de la nouvelle vie, mais la médecine reproductive la talonne : de la gestation in-vitro jusqu’à la gestation pour autrui et au droit et au marché de l’adoption, la société moderne a trouvé les moyens de rendre les enfants « disponibles ». Le fait d’avoir des enfants ou non n’est plus un destin, mais un projet ou une erreur.
Éducation et formation. L’incertitude qui peut aller de pair avec l’accroissement du savoir et l’élargissement des possibilités d’intervention dans des processus « naturels », avec leur disponibilité croissante, apparaît avec autant de vigueur dans quasiment toutes les questions liées à l’évolution et à l’éducation de l’enfant dès sa naissance. À nouveau, tous les paramètres du développement physique et intellectuel rendent disponibles les multiples processus au gré desquels l’enfant grandit, afin de garantir un « développement conforme » et la détection précoce de maladies nécessitant un traitement ou de prévenir retards et autres anomalies. Mais ce sont aussi d’innombrables manuels et dispositifs qui sont censés favoriser chaque étape du développement et guider chacun sur la bonne voie : ils ne font en définitive qu’intensifier l’angoisse au lieu de la diminuer. Le paramétrage du développement des compétences en sciences de l’éducation et la politique éducative tentent de rendre les processus de formation scolaire disponibles, mesurables et pilotables, si l’on conçoit l’éducation comme le développement des compétences. Chaque enseignant ne sait que trop bien que l’éducation ne fonctionne pas comme cela, les compétences ne sont jamais le but final de l’éducation. Les enseignants sont tiraillés entre les exigences de la disponibilité des cursus et des autorités chargés de la formation et de l’attente de résultats exprimée par les parents, et d’autre part, l’ardent besoin de résonance des élèves et les processus de résonance qui se produisent tout de même dans la salle de classe.
Trajectoire et projet de vie en matière relationnelle et professionnelle. Après l’enfance et l’adolescence dominées par les parents et autres, les jeunes adultes cherchent à « prendre eux-mêmes les rênes » de leur vie, essentiellement trouver un métier et un compagnon ou une compagne, par le biais d’un plan de carrière et d’un projet familial. Jusqu’au baccalauréat la trajectoire des bacheliers se déroule « sur des rails », ils n’ont pratiquement pas de choix. Mais ensuite le champ s’élargit à l’infini, que dois-je faire : études immédiates ou année de bénévolat, physique ou musique, grande école ou université, dois-je même faire des études ? Comment savoir à cet âge-là ce que l’on fera toute sa vie ? Le bon choix d’études serait certes disponible, on est incapable de le déterminer.
Cette situation est en contradiction flagrante avec l’idée qu’on a besoin de se laisser « interpeller » pour ensuite, en tentant d’apporter une réponse, non pas trouver le bon chemin, mais plutôt le tracer. Or il est plus difficile aux bacheliers de s’orienter en fonction de cette résonance du fait qu’ils ont l’impression de se trouver à un carrefour décisif de leur vie. Toute expérience de vie enseigne que les chemins professionnels d’un être humain sont indisponibles, que la profession exercée corresponde au vœu du bachelier est l’exception. Les carrières se dessinent au gré d’une alternance permanente d’écoute et de réponse aux circonstances extérieures - les options et les impératifs - et aux dispositions intérieures, les deux pôles se transformant constamment. Le hasard joue ici un rôle aussi important que dans l’autre dimension de la vie - les projets familiaux.
Que la recherche d’un compagnon ou d’une compagne soit dominée par les indisponibilités est clair pour tout le monde. Mais dans les « choses de l’amour », la tâche est doublement complexe, parce que non seulement l’ « autre partie » n’est pas à notre disposition, mais que « notre partie », c’est-à-dire notre propre désir, ne l’est pas non plus. De fait, nous n’avons aucun pouvoir sur notre propre orientation sexuelle, et nous ne décidons pas davantage de quelle personne nous tombons amoureux.
L’expérience de tomber amoureux correspond sous une forme pure aux critères d’une phase de résonance, elle ne « cadre » absolument pas avec la culture post-moderne qui vise à rendre la vie disponible. L’institution sociale et juridique du mariage fixe à l’indisponibilité une sorte de barrière institutionnalisée censée garantir que les deux partenaires sont disponibles l’un pour l’autre, même si cette disponibilité était jusqu’ici patriarcale dans l’inégalité des sexes ; en 1966 encore, une chambre civile de la Cour fédérale de justice allemande jugeait que l’épouse devait être aussi physiquement disponible pour son mari et le servir avec plaisir, sans feindre le plaisir, même si elle ne ressentait pas de désir à cette occasion. La raison profonde de cette inversion tient au fait que la tentative de conférer aux choses une disponibilité garantie leur ôte leur qualité de résonance.
La numérisation du rapport au monde. Les techniques et le processus de numérisation ont transformé de manière fondamentale notre rapport au monde en rendant disponible la quasi-totalité du monde accessible à notre conscience : tel qu’on se le représente, il ne se situe jamais qu’à 1 ou 2 clics de distance. À l’ère numérique, nous n’avons pas seulement le monde entier disponible à portée de clic, nous sommes soi-même disponible au monde. Pour les marchandises il en va de même, à peu près tous les biens imaginables peuvent être acquis en un clic ; en quelques secondes le monde des marchandises s’ouvre dans toute sa diversité à la contemplation et à l’achat. Mais aussi tous ceux que nous aimons, et que nous n’aimons pas, sont eux aussi disponibles ; eux aussi nous les portons sur nous en permanence. En très peu de temps, la numérisation a radicalement révolutionné le rapport entre disponibilité et indisponibilité, la limite de la disponibilité n’est plus déterminée part la capacité de résistance du monde, mais par les limites de notre attention et de notre bourse : ce n’est pas le monde qui se dérobe, mais nous-mêmes qui faisons obstacle à l’extension de notre accès au monde. Il n’est donc pas surprenant que notre propre personne soit devenue le plus important point d’agression dans le rapport moderne au monde.
L’âge et les soins. En dépit de toutes les tentatives, notre âge et notre processus de vieillissement restent toujours indisponibles. La déchéance du corps et le caractère éphémère de notre vie constituent la limite la plus ferme du programme d’extension de l’accès au monde de la modernité. La relation moderne à la maladie est un pur rapport d’agression - Débarrasser-moi de ça ! -, et là, nous ne pouvons pas gagner. « Plus on déploie de technique et plus la médecine considère la maladie uniquement comme un désastre, ce à quoi on ne peut réagir qu’en le combattant et non en le surmontant, plus le patient est plongé dans le désespoir et plus on l’empêche de vivre avec la maladie », écrit Giovanni Maio. En guise d’alternative, il esquisse une attitude de d’écoute et de réponse ; une attitude qui attribue à la maladie, identifiée comme un destin, une voix audible à laquelle il s’agit de répondre dans sa manière de vivre.
Mort. L’homme de la modernité tardive comme celui de l’époque prémoderne est est confronté de par la mort à une indisponibilité radicale et à la fin ultime de tout accès au monde. Le début et la fin de la vie demeurent indisponibles, même si nous pouvons provoquer par des moyens violents notre propre mort ou celle d’autrui : au regard de notre propre vie, nous ne savons ni quand vient la mort, ni comment elle vient, ni ce qu’elle est ou ce qui vient après si quelque chose vient. La mort en elle-même reste essentiellement indisponible, même si nous pouvons et devons interroger notre attitude face à la mortalité. Est-ce qu’un rapport de résonance est pensable avec la mort ? Ce serait plutôt non, car nous ne pouvons entendre sa voix, et aucune efficacité personnelle n’est possible au regard de la mort. Les efforts modernes visent cependant la mise à disposition de la fin de la vie et des processus qui l’accompagnent. Comme le déplore G.Maio :
« L’agonie est aujourd’hui considérée comme quelque chose qu’il convient de contrôler et d’aménager. On adopte désormais à l’égard de la fin de vie une attitude gestionnaire, en oubliant ce faisant que mourir signifie justement que la vie nous échappe, la prétention à notre désir de contrôle est contradictoire ».
Seul le suicide programmé permet de disposer pleinement sa propre mort, mais négativement.
Rendre disponible ou laisser advenir ? Les enfants ? La vie ? Le monde ?
L’incertitude peut croître en même temps que le savoir et la maîtrise.
La disponibilité garantie perd la résonance.
C’est l’indisponibilité qui est désirable.
Numérique : critère d’optimisation, tension, pouls, médicaments prennent la place de la relation.
Jusqu’à la mort : l’agonie contrôlée par les critères plutôt que la relation.
La thèse centrale de Hartmut Rosa est que la structure fondamentale du désir humain est un désir de relation : nous voulons atteindre quelque chose qui n’est pas à notre disposition.
La disposition complète provoque l’extinction du désir.
L’erreur fondamentale de la culture moderne est qu’elle transforme la nostalgie en atteignabilité.
L’indisponibilité complète est dépourvue de sens au regard du désir, mais la disponibilité totale est sans attrait.
Cela signifie qu’une relation réussie au monde vise à l’atteignabilité, pas à la disponibilité.
« Rendre le monde disponible - Hartmut Rosa - La Découverte - 2020 »
Jean-Pierre Bernajuzan