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Billet de blog 3 juillet 2020

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La société de consommation, c’est l’État social

On a l’habitude d’attribuer l’origine de la « société de consommation » au marché et donc au capitalisme. Pourtant, la détermination de cette mise en œuvre n’a pas été celle des entrepreneurs mais celle des politiques, non pour des raisons économiques mais pour des raisons sociales et politiques.

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On a l’habitude d’attribuer l’origine de la « société de consommation » au marché et donc au capitalisme. Pourtant, la détermination de cette mise en œuvre n’a pas été celle des entrepreneurs mais celle des politiques, non pour des raisons économiques mais pour des raisons sociales et politiques.

Représentants de la nation et de son unité, détenteurs de la légitimité et du pouvoir de décider, les politiques élus, maîtres de l’État, semblent être ceux qui peuvent répondre aux désirs des citoyens-électeurs. Après-guerre, après l’occupation et les horreurs totalitaires, ont été mises en oeuvre des politiques sociales qui sécurisent la vie des gens avec des institutions adéquates, Sécurité sociale, politique familiale, aide au logement, contre la pauvreté, et plus tard assurance chômage, retraites… On s’habitue au progrès social, on le trouve normal et on n’imagine pas qu’il puisse s’interrompre.

C’est ce qui arriva à la fin des Trente Glorieuses, dans une conjoncture de moindre croissance : pour pallier la montée du chômage, la précarité et l'exclusion, ont été sollicités ce qu'on appelle État-social ou État-providence. La redistribution de cet État-providence a pourtant continué à réduire les inégalités malgré la conjoncture défavorable, augmentant très fortement les dépenses au point de peser sur la rentabilité des entreprises et de compromettre leur compétitivité. La perspective est bouchée.

Le système fonctionne sur le couple État-entreprises
C’est sur la production quantitative de richesses que l’on base les solutions sociales, et non sur les relations sociales proprement dites sur lesquelles repose pourtant le dynamisme social. Les associations ne sont sollicitées que pour pallier marginalement les ratés de l’économie. La dynamique intrinsèque des relations sociales est laissée de côté au profit de la quantité de biens produite susceptible de redistribution par l’État.

Ainsi, le couple État-entreprises apporte systématiquement une réponse économique à des problèmes sociaux, ces problèmes sociaux ne reçoivent jamais de réponses sociales. D’après les économistes, notre PIB a doublé depuis la fin des Trente Glorieuses, la situation sociale n’a pourtant cessé de se dégrader. C'est donc notre système social qui est en cause, et pas notre économie. Mais il n’est proposée aucune réforme sociale proprement dite.

  • L’État prétendant résoudre les problèmes sociaux par la consommation, il exige toujours plus de croissance qui devient le critère central de la performance à la fois économique et sociale. Quand on parle d’État social, on ne parle que d’économie, on ne mesure le progrès social qu’en termes économiques : la société de consommation, c’est l’État social.
    Elle n’est advenue que par la manière dont l’État a prétendu apporter le progrès social et résoudre les problèmes sociaux, la consommation.
    Et cette consommation nécessitant une production toujours croissante, il advient que nous sommes arrivés au bout des capacités de la planète, on est au bout de la logique du système.

L’effet pervers de la consommation comme critère central, c’est que le revenu qui permet cette consommation devient le critère central de l’identité sociale, ce qui aggrave les inégalités proprement sociales, et ce, dans un mouvement général de progrès de l’égalité - en droit : le sentiment d’injustice et d’exclusion explose dans les couches sociales les plus défavorisées.

La société de consommation a certes apporté des progrès indéniables de confort et d’hygiène, mais en réduisant l’ensemble de ces progrès à la consommation on en rend les gens dépendant, leur faisant perdre l’autonomie qu’ils pouvaient avoir auparavant en cultivant leur jardin et élevant leurs volailles ce qui leur demandait du travail mais pas de ressources financières, les aides sociales servaient davantage à leur socialisation qu’à leur nourriture. Aujourd’hui, par cette société de consommation instituée par l’État, les plus pauvres ont perdu cette autonomie et ne peuvent survivre que par des ressources monétaires qu’ils reçoivent par les aides sociales ou la mendicité.

La nécessité de la mendicité a été provoquée par l’institution de la consommation comme principe central de lutte contre les problèmes sociaux dont la pauvreté. La mendicité est un moyen de se procurer les ressources monétaires nécessaires à la survie, les personnes en état de pauvreté extrême n’ont plus l’autonomie ni le savoir faire pour produire leur propre nourriture, ils sont réduits à une totale dépendance : c’est un changement fondamental de société qui n’a été voulu ni décidé par qui que ce soit, mais qui est l’effet pervers d’une décision de consommation qui semblait bonne.

Certes, il faut continuer à combattre les inégalités économiques, surtout en ces temps de remontée, mais il ne faut pas tout miser sur cette lutte économique car la preuve est faite qu’elle ne résout pas les problèmes sociaux. Cet a priori économique existe dans tous les camps, tous les bords politiques, quelles que soient leurs idéologies : pousser à la consommation peut passer pour être pro-entreprises, à droite donc, mais le revenu universel revient au même, permettre à aux plus pauvres de consommer, ce qui est tout à fait de gauche. La gauche extrême n’a pas d’autre façon d’agir que les autres.
On réduit facilement les problèmes sociaux à la pauvreté et la pauvreté à la consommation, mais l’essentiel réside pourtant dans les rapports sociaux qui construisent les personnalités et les sociétés qui peuvent avoir divers niveaux de richesse.

  • Ainsi, en tous temps et à tous niveaux de richesse, c’est par la nature des relations sociales que l’on peut maîtriser les problèmes sociaux.

Le choix du type d’action choisi est pourtant celui de la consommation, pourquoi ?
La réponse est d’abord, par qui ?
En effet, c’est l’État qui agit par la consommation, parce qu’il ne peut agir par les relations sociales qu’il ne peut avoir eu égard à sa place dominante et surplombante. C’est la société qui pourrait agir par les relations sociales mais elle n’a pas le pouvoir, le pouvoir étant étatique, l’action ne peut être qu’économique, et juridique.
C’est donc à l’État que revient ce type d’action économique qui passe pour social, et tant que ce sera lui qui commande, on ne changera pas parce qu’il n’a pas le choix. Notons que l’État est non seulement l’État central Gouvernement, Assemblée nationale et Administration, mais aussi les Collectivités territoriales.

Pour pouvoir concevoir une action sociale qui soit spécifiquement sociale et pas économique, il faudrait que la société retrouve une capacité d’action, et donc de pouvoir. Car les sociétés sont beaucoup plus anciennes que les États qui sont relativement récents, elles se sont donc longtemps gouvernées elles-mêmes sans États prééminents. Pour cela il faut que la légitimité ne soit pas uniquement étatique, il faut que des instances sociales aient les mêmes légitimités et pouvoirs, à égalité avec les instances étatiques.

Jean-Pierre Bernajuzan

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