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Billet de blog 8 février 2025

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La terre habitable ou la zone critique - à l’école

Aux mythes des ethnies et des peuples et aux idéologies des nations qui racontent leur histoire en les légitimant, maintenant que nous connaissons notre origine terrestre, il est temps de les remplacer par un récit scientifiquement fondé, qui devrait démarrer dès le commencement de l’école. Par des images d’abord, puis par des savoirs au fur et à mesure que l’enseignement progresse…

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Altérer, c'est créer

Pour cet article, je m’appuie sur le livre de Jérome Gaillardet « La terre habitable ou l’épopée de la zone critique » - La découverte 2023.

La « terre habitable » est un mince film à la surface de l’immense globe terrestre : on ne peut pas vivre enfoncés dans la terre, on ne peut pas vivre en l’air ni dans l’eau. On ne peut vivre, nous humains, qu’à la surface de la terre. La mince couche sur la terre sur laquelle nous vivons nous est primordiale, sa dégradation, que nous causons nous-mêmes, nous est gravement préjudiciable. Il est capital de comprendre comment cette « mince couche » de terre habitable se construit continûment et comment elle s’entretient. Nous verrons que cette dynamique embarque la totalité du « système terre ».

Tout le mouvement de la vie terrestre repose depuis l’origine sur la désagrégation des roches primaires qui libèrent ainsi les nutriments nécessaires à la vie. C’est l’enchaînement des altérations successives qui constituent la base de la dynamique de la vie terrestre. C’est la découverte de J-J Ebelmen au XIXe siècle. Imprégné des travaux de Lavoisier sur les acides et alcalis, il envisage la transformation des roches comme le résultat d’une réaction dite « acide-base » qui sont deux substances ennemies qui se neutralisent spontanément pour donner des « sels » dissous et de l’eau. Les alcalis sont les roches, et Ebelmen propose que l’acide est le gaz carbonique, le fameux CO2. Pour transformer une pierre dure et noire en un matériau meuble, fragile, jauni, il faut de l’eau et aussi un agent gazeux dissous dans l’eau qui y forme un acide, substance agressive. L’eau est un vecteur, le CO2 l’agent de la transformation.

Cette réaction de neutralisation qui absorbe le gaz carbonique de l’air produit de nouveaux minéraux contenant des éléments chimiques peu mobiles dans l’eau et des substances dissoutes dans l’eau qui seront emportées vers les rivières et océans. Quant au CO2, il passe sous une forme aqueuse, dissoute. L’acte d’altération est ainsi un acte de création de nouvelles entités, qui transforme des roches dures et saines en des substances nouvelles, résiduelles, molles et imparfaites qui sont des argiles comme le kaolin, des oxydes comme la rouille, et le CO2 en bicarbonate. D’où l’équation suivante : Roches + CO2 = argiles + oxydes + sels minéraux + bicarbonates.  Ebelmen comprend alors que la chaux qui manque aux continents existe dans les calcaires marins une fois décomposée par le gaz carbonique. Une deuxième réaction chimique s’écrit tout naturellement : Sels minéraux + bicarbonates = calcaire
Puis il découvre une nouvelle rotation du carbone, qui reproduit celle qui lie les végétaux et animaux dans un principe de vie. Alors que notre conception du temps était linéaire, il introduit dans la science occidentale que notre monde est cyclique, son équilibre vital tient à des processus dont les réactions invisibles jouent en permanence. Il démontre que la transformation qui purifie l’air des rejets volcaniques donne également naissance à la poussière, au kaolin, à l’argile de nos terres ; elle libère les nutriments nécessaires à la croissance des plantes et à notre nutrition, comme les calcium, potassium et phosphore sans lesquels nous ne pouvons vivre. Troisième équation : Eau +CO2 = Matière vivante + oxygène = matière organique fossile. Ebelmen a soulevé le voile de l’entrelacement de l’animé et de l’inanimé, du vivant et du non-vivant, des choses et des êtres.

Faire parler les fleuves
L’Amazone est un géant de plusieurs kms de large, jusqu’à 100 m de profondeur et un courant de surface de plusieurs mètres par seconde, qui mène à l’océan 6400 km3 d’eau douce par an, soit 20% de l’eau apportée par l’ensemble des fleuves, ce qui en fait le plus grand fleuve du monde. Son bassin versant s’étend des hauts plateaux andins et des volcans de l’Équateur jusqu’aux plages de l’Atlantique Sud, de 7,5 millions de km2.
À l’ouest les Andes aux pentes raides très instables contrastent avec le reste du bassin amazonien. Les eaux des rivières andines brunes et tumultueuses transportent des fragments de la montagne, roches, sols écroulés, végétaux en décomposition appelés sédiments. À l’est s’étendent des reliefs plus mous des boucliers guyanais et brésiliens dont les eaux sont cristallines. Le reste du bassin de l’Amazone est constitué de vastes plaines centrales, couvertes de forêts parmi les plus riches en biodiversité. Les rivières de plaine sont noires. 

Chaque année, l’Amazone apporte à l’océan entre 500 millions et un milliard de tonnes de boues. Cette érosion physique représente 7/8 millimètres du bassin par siècle, mais prises à 90% sur 10% de territoire montagneux, et le fleuve est là depuis des millions d’années.

Au contraire de la matière minérale, la matière organique est fabriquée par les vivants. Transportée par l’Amazone elle n’est pas vivante, elle est la trace « géobioécologique » de la photosynthèse, fondamentale sur notre planète. La photosynthèse est la capacité de certains êtres vivants à fabriquer eux-mêmes leurs briques constitutives et leur source d’énergie à partir du gaz carbonique de l’air, d’eau et d’énergie solaire : un miracle planétaire qui transforme le minéral en organique et libère l’oxygène dans l’air. Une spécificité terrestre qui permet de stocker l’énergie solaire sous la forme de liaisons chimiques dans les molécules organiques. À leur mort les êtres vivants sont décomposés dans le sol par d’autres êtres vivants utilisant cette ressource énergétique d’origine solaire et restituent par leur respiration le gaz carbonique à l’atmosphère en utilisant l’oxygène. Mais toute la matière morte accumulée sur le sol ne se dégrade pas rapidement, elle passe par un état transitoire appelé « humus », auquel les sols doivent une partie de leur fertilité.

L’humus est un ensemble de molécules organiques partiellement décomposées et de cellules vivantes : une espèce de poubelle des vivants à la surface du sol, appelée à redevenir du minéral, c’est-à-dire gaz carbonique, eau et sels minéraux. La décomposition des « matières vivantes mortes » par des champignons et bactéries peut s’étaler sur plusieurs millénaires. Photosynthèse et respiration ne sont pas symétriques, elles doivent se compenser, l’entraînement de molécules organiques par les eaux de ruissellement constitue une « erreur » de recyclage, une entorse au principe de réparation, au nécessaire équilibre entre la consommation et la production de gaz carbonique atmosphérique par les vivants. L’essentiel de la matière organique des sédiments de l’Amazone date en moyenne d’un millier d’années.

La forêt amazonienne menacée
L’immense plaine amazonienne a un sous-sol épais de chape poreuse et friable faite de kaolin, d’oxydes de fer et d’aluminium rougeâtres. Cette pelisse est la « latérite », une enveloppe d’altération chimique, de décomposition intense qui caractérise toutes les régions tropicales relativement planes du monde. Les roches « fraîches » se trouvent à une très grande profondeur, hors d’atteinte des racines, la décomposition des roches de la croûte terrestre n’y est pas vaillante, l’épais manteau de latérite montre qu’elle agit depuis longtemps. L’érosion physique est quasiment inexistante dans ces régions, inhibée par des pentes faibles, une forêt aux racines protectrices : une goutte d’eau qui arrive à la surface de la Terre et se charge de gaz carbonique doit parcourir verticalement 50 mètres avant de rencontrer un éventuel minéral avec lequel réagir. Les basses plaines amazoniennes sont un exemple de ce que donnerait une Terre sans montagnes, sans mouvements telluriques, un monde qui s’est étouffé sous l’accumulation de ses propres produits de transformation, en coma géologique. La forêt amazonienne est fertilisée par les poussières du Sahara. Si la forêt amazonienne disparaissait elle ne pourrait se reconstruire car elle n’aurait pas accès aux ressources physiques profondes.

La cordillère des Andes est un haut lieu de la purification planétaire
La raison en est simple. Les roches volcaniques des Andes, les granites, sont très riches calcium, magnésium, sodium, potassium, ces bases qui réagissent avec le gaz carbonique. Elles possèdent naturellement une capacité à épurer l’atmosphère plus importante que celle des roches qui les entourent. Volcaniques ou granitiques, ces roches magmatiques issues de la fusion de la Terre en profondeur, ne sont pas très fréquentes à sa surface. Dans les Andes elles sont localisées en Colombie, Équateur et Pérou sur les hauteurs de la cordillère. Si elles ne sont pas transformées sur leur lieu de production, trop vite emportées dans les flots des torrents ou broyées sous l’action des glaciers, elles peuvent l’être plus bas dans les collines préandines. Profitant de la rupture de pente et des eaux devenues paresseuses, les débris arrachés aux reliefs y trouvent les conditions de la métamorphose chimique qu’ils n’avaient pas eu le temps d’accomplir en altitude. Autour d’elles affleurent des roches sédimentaires constituées de matériaux déposés par les mers anciennes et provenant de l’érosion de chaines de montagnes disparues dont elles sont les restes fossiles. Ces roches ont un pouvoir purificateur moindre car elles ont déjà servi à neutraliser l’acidité des atmosphères passées.

Une Terre sans relief serait sans doute inhabitable
Nous sommes isolés du manteau par une mince croûte rocheuse. Issues du manteau par une fusion très partielle, les croûtes, granitiques sur les continents et basaltiques sous les océans, moins denses que lui, flottent sur le manteau. Le granite étant moins dense que le basalte, la croûte continentale doit être en relief par rapport à la croûte océanique. Puisque l’eau abonde à la surface de notre planète, elle s’accumule naturellement dans les creux. Le contraste de densité entre les roches océaniques et les roches continentales est donc à l’origine des océans, mais aussi de l’émersion des continents. Le relief permet la naissance d’un mouvement, d’un flux d’eau des continents aux océans, d’une forme d’animation de la matière.

Ceci nous amène à parler de la « tectonique des plaques » qui à la fin des années 1960, a révolutionné le champ des sciences de la Terre. Tel un tapis roulant, en deux cents millions d’années, une croûte océanique peut ainsi naître, migrer sur des milliers de kms avant d’être avalée par le manteau. La Terre est une cannibale lente qui, aux dorsales, enfante des roches qu’elle mange lentement dans les fosses océaniques. Il peut se produire que deux blocs granitiques de la croûte terrestre entrent en collision. Telle l’écume, confrontés l’un à l’autre et trop légers pour sombrer dans le manteau plus dense, les deux blocs n’ont d’autre choix que de se chevaucher, de passer l’un sur l’autre, ce qui crée des reliefs. Ne pouvant s’enfoncer, les croûtes continentales trouvent une échappatoire vers le ciel. En somme, les montagnes bougent : elles se construisent et se déconstruisent à l’infini. La découverte de la radioactivité par Henri Becquerel a permis de comprendre que la Terre n’était pas seulement une sphère chaude à l’origine se refroidissant, mais qu’elle était aussi chauffée de l’intérieur par la radioactivité. Et l’intérieur du globe ne se refroidissait pas par conduction, mais par convection, un autre mode plus efficace, dans lequel la matière se déplace et s’anime.

Pourquoi la Terre n’est pas sèche
Sans doute une des conséquences les plus fondamentales de la dissipation de l’énergie d’Hélios reçue par la Terre est que la Terre se « mouille ». Chauffer revient à augmenter l’agitation des molécules. Lorsque l’océan de surface est réchauffé par le soleil, l’agitation de certaines molécules d’eau les libère des liens d’attirance qui existent entre elles, dits « liaisons hydrogène ». En agitant les molécules d’eau, l’énergie solaire tend à les séparer : c’est l’évaporation. Une eau qui s’évapore passe de l’état liquide à l’état vapeur : une population enchaînée de molécules océanes se trouve libérée et se disperse dans l’atmosphère, elle aussi réchauffée.
L’air chaud, enrichi de ces molécules d’eau vapeur indisciplinées, moins dense, s’élève. À une certaine altitude, avec la diminution de la température, la vapeur d’eau se condense en une myriade de fines gouttelettes, à l’intérieur desquelles les molécules se réassocient par des liaisons hydrogène. Si la température le permet, ce sont des cristaux de glace qui se suspendent dans l’atmosphère. En chauffant l’atmosphère, le soleil permet donc à la planète de se couvrir d’un voile discontinu de particules liquides ou de glace suspendues et regroupées en masse aux contours indécis : les nuages.
En se condensant autour des fines particules en suspension dans l’atmosphère, sortes de sédiments de l’air appelés « aérosols », les gouttelettes d’eau des nuages les phagocytent et les digèrent, de même qu’elles dissolvent le gaz carbonique et l’azote.

Chaque année, Hélios évapore 434 000 km3 d’eau, soit 0,003% du volume global des océans, 90% de l’eau évaporée retombe dans les océans. Une partie de l’eau évaporée des mers tropicales s’échappe vers les pôles Nord et Sud et sur les continents, redistribuant ainsi la chaleur en dehors de la zone intertropicale. On pourrait dire que le feu d’Hadès crée les continents à partir du manteau au-dessus de celui-ci et les déplace, tandis que le refroidissement du feu d’Hélios crée les nuages à partir de l’océan et les déplace sur celui-ci.
Mais il pleut sur les continents trois fois plus d’eau qu’il ne s’en est évaporé de l’océan…

La photosynthèse est le passage du carbone solitaire du gaz carbonique à de longues molécules de carbones enchaînés. Grâce à la chlorophylle, l’énergie lumineuse du soleil est capturée et utilisée pour fabriquer des molécules de glucose et libèrent un déchet, l’oxygène. La photosynthèse est donc la mise en réserve de l’énergie solaire sous la forme de molécules chimiques. Chaque plante capable de photosynthétiser est une manifestation concrète d’Hélios, exactement comme les nuages sont issus de la distillation de l’eau de mer rendue possible par la circulation de cette énergie. Il a fallu bien du temps pour arriver à ce subtil équilibre dans lequel des vivants vivent au détriment d’autres vivants pour leur permettre d’exister et de recycler leurs déchets. La boucle vertueuse n’allait pas de soi. Les premiers êtres vivants ne savaient pas utiliser la lumière du soleil. L’apparition sur Terre, il y a plus de 3,5 milliards d’années, d’un type de bactéries (cyanobactéries) dotées de pigments et capables de capter l’énergie solaire conduisit à l’apparition de l’oxygène, déchet de la photosynthèse, et au buissonnement des formes du vivant. Les vivants photosynthétiques ont une autre fonction : ils exhalent de l’eau. Les végétaux verts restituent à l’atmosphère, sous forme de vapeur, l’essentiel de l’eau que les nuages et la pluie leur avaient concédée. Après avoir absorbé l’eau sous la surface du sol, ils la relâchent par les feuilles, les végétaux sont un des acteurs clés de l’humidification de la terre. L’évapotranspiration est un des processus majeur et trop souvent oublié de la ressource en eau.

De la roche à la vie
L’eau aime le gaz carbonique de l’air avec lequel elle s’associe pour donner un acide corrosif responsable de l’altération chimique, l’acide carbonique. En s’altérant, les minéraux du basalte libèrent des éléments chimiques bénéfiques, des nutriments, prélevés par les plantes pionnières : calcium, potassium, phosphore, zinc… Lorsqu’ils ne sont pas utilisés par les quelques êtres vivants téméraires qui tentent de s’accrocher à la surface de la coulée, ces éléments chimiques sont emportés par la première averse et entament un long voyage vers l’océan. Les éléments les moins mobiles, comme le fer et l’aluminium, se recombinent pour donner des oxydes, solides mal organisés, puis les premières argiles.

Insidieusement, un évènement très important se produit : la perte de matière, conséquence de l’agressivité des acides, laisse des vides se former, des « trous » ou pores. La création d’une porosité est un moment crucial dans la transformation de la roche, comme l’est la mise en communication de ces pores : la « perméabilité ». Dans le même temps, certaines réactions conduisent à la formation des oxydes, des minéraux occupant un volume plus important que leur minéral parent. Réclamant plus de place, ces oxydes font « craquer » la roche et induisent des fractures.

L’apparition de la porosité et et de la perméabilité est le passage important d’un univers de surface à un univers de volume, dans lequel l’eau peut pénétrer en profondeur et être stockée, résider plus longtemps. La capacité d’un milieu poreux à retenir l’eau acidifiée dans ses pores est un progrès considérable, car le contact prolongé donne du temps à des réactions souvent trop lentes et accélère le démantèlement de la roche et de ses minéraux. Plus d’altération signifie davantage de nutriments libérés, d’argiles formées, de porosité et une capacité à stocker l’eau plus grande encore. Un cercle vertueux d’humidification de la roche nouvelle se met en place, qui crée un nouveau milieu propice à la vie. Un nouvel océan se recrée, un océan terrestre de grains entourés d’eau, de pores et de fractures noyées, prêts à être peuplés. Les êtres vivants ne sont plus tributaires des fractures naturelles de la roche, ils disposent d’un monde de cavernes qu’ils peuvent coloniser, d’un océan poral qui se remplit plus ou moins au gré des pluies. La création de la porosité permet à de nouveaux types de végétaux possédant un système racinaire comme les herbes, arbustes et arbres, de s’y installer.
Plus le temps passe, plus la coulée de lave se désagrège. Une végétation de plus en plus luxuriante prospère sur ses ruines. Un nouveau monde se tisse sur la coulée. Elle est comme digérée, phagocytée par un voile autant organique qu’aqueux. À mesure que le temps passe et que la végétation croît, la roche basaltique semble disparaître. Recouvert de quelques millimètres discontinus durant les premières décennies, le voile de satin s’épaissit, se répand en couverture de laine dense et protectrice qui atteint un mètre en 10 000 ans.

L’eau doit être présente mais ne doit pas s’accumuler car la stagnation conduit à la mort. L’océan souterrain de la porosité doit se renouveler sans cesse. Le mouvement de l’eau permet de garder éveillée la réaction de consommation par les roches du gaz carbonique de l’air. L’érosion retire les détritus pour éviter qu’ils ne s’accumulent, soulève et retire la couverture tissée par les vivants, les gaz et l’eau. Ainsi l’altération chimique des roches peut-elle se renouveler.

Définitions
Tel qu’on le conçoit habituellement, le sol est ce sur quoi nous pouvons marcher, construire, une surface sûre et compacte, tout le contraire de ce qui vient d’être décrit. En réalité le sol est incertain, puisqu’en s’infiltrant et se dissolvant, l’eau crée un volume poreux et mou. Le sol s’est fait ressource, de surface il est devenu couche nourricière que nous cultivons. Mais pour les géologues le sol va jusqu’à une cinquantaine de mètres, avec toutes les variantes que l’on peut trouver dans cette épaisseur.
Le sédiment est mal défini : il est à la fois ce qui bouge, est transporté en suspension dans l’eau et rampe au fond des rivières et qui se pose, se « sédimente » pour devenir boue puis roche. La difficulté de nommer le sédiment s’évanouit quand on le regarde à l’aune de la zone critique. Comme le sol, le sédiment devient mouvement : un flux, un état fugace et fuyant du cycle d’engendrement de la fine pellicule habitable de la Terre. Le nutriment de la plante dont elle a besoin pour fixer l’énergie du soleil devient sédiment lorsqu’il est emporté par les eaux vers l’océan. Le sol lui-même se fait sédiment lorsque l’érosion l’embarque. Dans la chorégraphie de la zone critique, sol et sédiments ne sont que des accélérations différentes.
Le mot biosphère ne désigne plus que la sphère des vivants, si tant est qu’il existe une démarcation entre le vivant et le non-vivant. Elle côtoie l’atmosphère, la lithosphère, l’hydrosphère…

Temps emboités

En 1824, Sadi Carnot décrit un cycle dans lequel l’échange de chaleur entre source chaude et source froide peut être converti en énergie mécanique, c’est-à-dire en mouvement. Il invente la « thermodynamique ». La nature est lente, mais Carnot voyait juste, la Terre est un amalgame de machines thermiques enchaînées qui décrivent des cycles : en suivant ses boucles, on introduit le temps dans la chorégraphie de l’habitabilité.

Le langage des cycles
Le cycle de l’eau exprime la machine thermique atmosphérique. Réchauffé par le soleil, l’océan s’évapore et ses vapeurs sont emportées dans les convections de l’atmosphère. La condensation de la vapeur d’eau en altitude génère des gouttelettes d’eau de pluie qui retombent majoritairement dans l’océan. Une partie de la vapeur d’eau et des nuages échappent à ce cycle océanique et se déplacent sur les terres émergées, où ils alimentent un deuxième cycle, continental, nourri par la transpiration des végétaux. Là encore, une partie de l’eau s’échappe du cycle, s’infiltre, finit par émerger sous forme de sources et rivières, puis retourne l’océan. Ce double cycle mondial, marin et continental, permet à l’océan de garder un niveau constant. Si l’océan garde un volume constant, c’est que le flux d’eau qui entre dans l’océan est égal au flux qui en sort. C’est le principe premier des cycles de la matière : la conservation.

L’océan n’est pas le seul stock d’eau sur Terre, le cycle de l’eau est une succession de bassines dans lesquelles l’eau s’accumule plus ou moins et sous toutes ses formes. Si les glaces des pôles fondaient, le niveau de la mer monterait de 80 mètres. Une autre réserve d’eau est stockée sous nos pieds, cette eau porale représente une couche de 200 mètres environ, tant que la sécheresse n’empêche pas son renouvellement. Ces grands cycles de l’eau sont les plus visibles, d’autres naissent de l’imperfection du cycle continental. En réagissant avec les minéraux des roches qu’elle transforme en argile, l’eau s’y incorpore en partie. L’argile ou l’oxyde sont des minéraux hydratés. On y trouve non de l’eau au sens strict, mais un groupement d’atomes contenant de l’oxygène et de l’hydrogène nommées « groupe hydrophile » eau amputée d’un atome d’hydrogène. Cette eau liée aux minéraux constitue un autre réservoir du cycle de l’eau, un autre océan souterrain mais fixé dans les argiles et les oxydes. Mais ce ne sont que des parties infimes des flux des rivières. La notion de fuite souligne le troisième trait de caractère des cycles : leur imperfection.


De l’imperfection naît la richesse
Le cycle le plus connu après celui de l’eau est celui du maintien de la vie : le mouvement de balancier du carbone entre la photosynthèse des plantes et la respiration des animaux et des bactéries ou champignons : un cycle vital. Qu’on l’étudie de l’échelle très locale ou autre, la totalité de la matière organique annuelle photosynthétisée par les végétaux verts est en gros celle respirée dans le même temps, par eux, par les vivants qui les consomment et par les décomposeurs qui la dégrade une fois qu’elle tombe au sol. Un carbone rentre, un carbone sort et la biomasse reste la même. Dans cette vision du monde en cycles, la vie n’est plus que ce stock de carbone et d’autres éléments qui lutte pour son intégrité. Le cycle de la photosynthèse-respiration permet de maintenir finement la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère, du moins avant que les activités humaines ne l’aient perturbé pour de bon.

Il en va de même pour l’azote, un élément essentiel par exemple pour la fabrication des protéines. Pour le malheur des végétaux terrestres, aucun minéral de la croûte terrestre ne contient d’azote. Pire, alors que l’air contient 70% d’azote gazeux, les végétaux verts ne sont pas capables d’utiliser cette immense réserve. Seules quelques espèces de bactéries du sol peuvent transformer l’azote de l’air en molécules assimilables par les racines des végétaux, comme l’ammonium ou le nitrate. Une fois dans le sol, l’azote est incorporé par les plantes, puis les animaux. À leur mort, il est libéré de nouveau par le travail des décomposeurs sous des formes assimilables ou en azote gazeux s’échappant dans l’atmosphère.

Lorsqu’ils sont vertueux les cycles du carbone et de l’azote sont très rapides. La paresse est introduite par la formation, à un instant du cycle, d’une forme de carbone ou d’azote bien plus coriace à la décomposition : cela se produit dans la matière organique du sol, l’humus. On a trouvé en de nombreux endroits, sols cultivables ou sédiments de rivières, des molécules datant de plusieurs millénaires, alors qu’il faut quelques mois à une feuille pour se former, tomber à terre et disparaître. Cet humus est au carbone ou à l’azote ce que la nappe phréatique est à l’eau, une réserve. Il crée les conditions d’une résilience. Un aspect essentiel des cycles de la matière sur Terre est qu’ils ne sont pas étanches. Au-delà des principes de conservation, il se produit des erreurs qui permettent de nouveaux engendrements. Le plus bel exemple est la formation des gisements d’hydrocarbures : à l’échelle planétaire, ce carbone en fuite représentait 0,2 milliard de tonnes par an, à ce rythme, il suffirait de 1000 ans pour qu’il n’y ait plus de gaz carbonique dans l’atmosphère.

De cette implacable conclusion naît l’idée qu’un mécanisme inverse doit exister : le grand cycle du carbone engendre dans son imperfection un petit cycle plus modeste qui le pérennise et le régule. Le cycle des roches introduit de la lenteur dans un cycle de vie trop pressé de récupérer ses briques. Les circonvolutions des cycles sont elles-mêmes une richesse permettant de stabiliser, de faire durer la Terre. Tout se recycle, car tout se transforme paresseusement et imparfaitement.


La Terre se révélait très ancienne, 4,55 milliards d’années grâce à la datation de Clair Patterson en 1950. Le Puy de Dôme s’est formé il y a 11000 ans, les roches de Bretagne ou des Vosges ont 350 millions d’années, les plus anciennes roches d’Écosse 3 milliards d’années, les plus anciennes datées au monde, vers 4 milliards d’années dans le nord de l’Amérique ou en Australie : l’utilisation de la radioactivité naturelle pour les dater est l’une des plus grandes avancées scientifiques. Mais nous ne connaissons que les roches de moins de 400 millions d’années. Trouver de vieilles roches est difficile, car les restes du passé les plus lointain ont disparu, digérés et transformés par les orogenèses successives, l’altération et l’érosion. Nous vivons sur l’alluvion le plus récent, qui ne représente que 10% du temps géologique. Au-delà de 500 millions d’années, les traces du vivant sont ténues, on n’y connaît plus que les grands bouleversements, comme l’épisode de la Terre « boule de neige » au cours de laquelle la planète entière a gelé, il y a 2,4 milliards années. Le temps de résidence permet de sortir du temps linéaire et de ses défauts. Les temps de résidence relient le temps à l’espace, car ils expriment la viscosité des milieux mis en mouvement. L’atmosphère peu visqueuse s’orne de turbulences aux temps rapides, le manteau de la Terre, très visqueux, s’anime de vortex lents et amples.

Observatoires en zone critique

L’hétérogénéité géologique est considérable mais statique, sauf dans les rares régions volcaniques ou sismiquement actives. Cette relative stabilité reflète une histoire longue dont le moteur est le refroidissement de la Terre. À cette hétérogénéité du « dessous » s’ajoute celle du « dessus ». Des grandes alternances de période glacières et interglacières, des saisons, tempêtes ou cyclones, jour-nuit, la mouvance des contraintes solaires imprime sa marque sur le développement et le maintien de la zone terrestre habitable. Les humeurs d’Hélios et d’Hadès donnent à la surface de notre planète une incroyable diversité à toutes les échelles, vivants et non-vivants participent à cette métamorphose.

La zone critique est un tout, ce qui justifie qu’on l’étudie comme un système complexe. Le climat, la géologie, la configuration du relief, la végétation, les irrégularités de pentes influencent la manière dont les vents tourbillonnent et les microvariations du cycle de l’eau, il en ressort un engendrement d’une incroyable fragmentation microclimatique. La profondeur du manteau croît-elle avec le temps ? Atteint-il rapidement une épaisseur constante lorsque l’altération est compensée par l’érosion ? Quelle est la vitesse de transformation des roches ?

Autant de questions non résolues à ce jour, qui ont motivé une poignée de jeunes scientifiques à se lancer dans cette recherche locale de long terme. En équipant des bassins versants en série, ils espèrent décrypter quelques uns des secrets de la zone critique et comprendre comment, dans ce système complexe, l’eau, les roches volcaniques, l’air, les végétaux et leur décomposition interagisssent pour transformer la terre volcanique en terre habitable par les vivants. Il n’est pas question de sortir lors des tempêtes, cyclones, pourtant, les rater revient à passer à côté du scénario principal : alors ils ont équipé ces sites d’appareils qui enregistrent tous les paramètres possibles, pilotables à distance, de ces moments cruciaux. Si nous décidons d’étudier la zone critique comme un système, comme une « chose », alors, ces points de vue doivent être réconciliés, et chacune des échelles de temps qu’ils embarquent prise en compte.

Penser ensemble
Quelle est la profondeur de la zone habitable et qu’est-ce qui la détermine ? Quels sont les êtres vivants dans les roches ou les fractures sous nos pieds ? Quel est leur rôle ?  Quelle est la vitesse de terraformation, c’est-à-dire de la transformation des roches en zone habitable ? Faire réseau, c’est ensuite se mettre d’accord sur une liste de paramètres à mesurer dans tous les observatoires. C’est aussi mettre en commun les données acquises. C’est enfin inventer des modèles numériques, interface entre le monde réel et ce que nous sommes capables d’en comprendre scientifiquement, traduction utile des données des scientifiques pour la société. 

Les capacités d’anticipation des humains sont bien en deçà de ce qu’elles devraient être pour que nous puissions transmettre aux générations futures une planète encore vivable. Des nouvelles infrastructures de recherche seront indispensables pour prendre à bras-le-corps les problèmes complexes de l’Anthropocène.
Nous vivons à l’intérieur d’une petite partie de ce globe dont nous dépendons, mais nous ne connaissons des contours physiques de cet habitat que son espace topographique. Le paysage s’arrête sous nos pieds, nous sommes d’une étonnante superficialité car nous méconnaissons nos « limites ».

Plutôt que creuser des trous qui coûterait cher et serait destructeur, les ondes sismiques et électromagnétiques permettent beaucoup mieux de connaître nos sous-sols. Ces méthodes géophysiques ne sont appliquées à la zone critique que récemment, elles ont lancé une véritable révolution qui devrait produire des représentations tridimensionnelles de nos habitats et permettre d’en appréhender la genèse. Demain, peut-être verront-elles les vivants microscopiques qui fourmillent sous nos pieds ?
La magie géophysique nous apprend que les collines de Californie ou des Vosges ne sont pas des massifs rocheux, mais des bosses faites de cette matière de transition, mi-roche mi-sol, suintante d’eau et de nutriments, s’offrant à la vie. Une des questions qui agitent beaucoup la communauté scientifique, c’est la relation entre l’abondance de ces traceurs invisibles et la quantité d’eau : que le volume d’eau augmente après l’orage n’étonne personne, mais que cette eau ne soit pas de l’eau de pluie est troublant. C’est pourtant ce que montre le suivi de l’eau d’une rivière pendant un orage : elle n’est pas diluée par l’ajout d’eau de pluie. Elle a circulé plus ou moins rapidement dans les profondeurs de la zone critique avant de rejoindre le cours d’eau. En y circulant elle l’a explorée et comme rincée.

À la recherche de Gaïa
Parmi les grandes questions qui agitent les scientifiques de la zone critique, figure celle du rôle des vivants. « Que fait la vie ? » est une question récurrente et l’un des points d’achoppement du dialogue entre « géo » et « bio »-scientifiques : un géologue et un écologue regardent le même paysage, mais ne donnent pas aux mêmes détails les mêmes puissances d’agir. La vie s’adapte-t-elle à des conditions qu’elle ne contrôle pas, ou est-elle résolument actrice, partie prenante de la transformation de la Terre qui crée son milieu de vie ? Selon que l’on étudie la vie, les gènes, les relations entre vivants dans leur « environnement » ou que l’on s’intéresse aux minéraux du sol, aux flux de gaz entre le sol et l’atmosphère ou à la quantité de nitrate dans la rivière, les visions du monde diffèrent. Le cœur de la question est d’identifier, d’inventorier, et d’attribuer aux vivants leur part de responsabilité, d’ « agentivité ».

Outre les biais disciplinaires, le croisement des temporalités longues et courtes ne se laisse pas facilement étudier. Il est bien clair que les vivants existent à tous les étages. La montagne, le bassin versant, le marécage sont des lieux de coexistence de mondes que le vocabulaire scientifique qualifie à tort de « biotique » et d’« abiotique » : ils ne sont ni l’un ni l’autre puisqu’ils résultent d’une coconstruction.
Une nouvelle catégorie de scientifiques se réclamant de la « géomicrobiologie » colonise les bassins versants et tentent d’identifier des brins d’ADN ou d’ARN et de reconstituer la diversité des espèces de bactéries vivant sur une roche remontée d’un forage. Loin du soleil, ces écosystèmes originaux hébergent des bactéries mangeuses de roches et de nitrate, qui profitent des contrastes offerts par la rencontre des eaux tombées du ciel, mais ayant emprunté des chemins d’infiltrations différents, et qui pourraient devenir des alliés importants dans la lutte contre l’excès de nitrate des eaux bretonnes.

Identifier la ligne de démarcation entre l’animé et l’inanimé dans la construction de l’espace habitable de la Terre est un des plus grand défis à relever, prédire l’évolution de notre espace de vie en réponse au changement d’utilisation des terres, à la déforestation, à l’urbanisation, au réchauffement de l’atmosphère et aux changements de rythmes de précipitation est un des plus grands défis de notre époque, qui réclame l’alliance de toutes les disciplines et doit nous inciter à concilier des visions centrées sur la matière et d’autres centrées sur le vivant.

Chaque été qui passe nous laisse le sentiment anxieux que l’humanité affronte une des pires crises de son histoire. Chaque année, l’inimaginable est franchi : nos habitats flambent, s’écroulent, meurent en silence étouffés par les plastiques. Le développement des sciences expérimentales a été spectaculaire durant les derniers siècles, notre aptitude à mesurer et à décrire des objets et processus inaccessibles à nos sens a explosé grâce à des progrès techniques sans précédent. Paradoxalement, ces efforts ont laissé des vides, comme une porosité aux interstices des disciplines qu’il nous faut investir.
La nouvelle Terre que les observatoires tentent de découvrir est animée de cycles du temps hétérogènes, dans lesquels nous sommes venus nous lover un peu précipitamment. Il reste un long chemin à parcourir avant que nous soyons capables d’inventer des modes de coexistence durables avec notre planète.

 Conclusion

La Terre est une planète en évolution
Si je savais depuis longtemps que les sociétés humaines étaient fondées sur leur évolution, et non sur leur origine, je m’interrogeais sur la capacité de la Terre à s’entretenir dans son équilibre vivant, et sur des temps extraordinairement longs. Dans ce livre, j’ai enfin trouvé l’explication du « système Terre », la Terre aussi est fondée sur son évolution, qui durera encore plusieurs milliards d’années, ce qui à l’échelle du temps humain représente l’éternité.

Nous sommes des « terriens » avant d’être des « humains »
De ce voyage de l’histoire de la Terre, nous nous rendons compte qu’avant de devenir des humains nous sommes d’abord des « terriens », car c’est bien la Terre en tant que telle qui nous a fait advenir tels que nous sommes. Et cette dénomination de terriens, nous la partageons avec les autres êtres vivants dont nous dépendons pour notre vie et notre survie. Au début, la Terre n’était pas vivante ni vivable, c’est après plusieurs milliards d’années que les premières bactéries ont commencé à la coloniser.

Altérer, c’est créer
Après avoir été conçue en tant que planète, l’histoire de la Terre est d’abord géologique. La Terre s’est constituée par la dégradation de ses roches : c’est leur altération par le gaz carbonique qui les a rendues poreuses, les a changées en argile et autres, qui a permis à l’eau de pénétrer profondément, etc.

La Terre n’est pas plane grâce à la tectonique des plaques
C’est le refroidissement du noyau terrestre qui meut la tectonique des plaques. Par les volcans qu’elle suscite, cette tectonique des plaques fournit les ingrédients nécessaires à l’altération continue qui permet la vie par l’évolution, qui sans elle s’asphyxierait. Cette évolution géologique a lieu sur un rythme de temps très long. Depuis deux milliards d’années, des chaînes de montagnes apparaissent tous les 200 millions d’années, puis disparaissent par l’apparition de nouvelles. Nous ne connaissons donc que la dernière apparition, sauf en de rares endroits où nous trouvons des témoignages de roches plus anciennes. 

La Terre évolue en cycles de temps emboités
Ces cycles peuvent être très longs ou très courts : le cycle des roches est très long, celui de l’air très court ; celui de l’eau peut être très court ou très long ; celui de la dégradation de l’humus peut à la fois durer quelques mois ou plusieurs milliers d’années : tous ces temps s’emboitent. Tous ces cycles sont imparfaits, de cette imperfection naît la richesse car les « fuites » permettent d’autres cycles d’un autre rythme : la différence des cycles tient à cette imperfection, sans elle, l’évolution serait impossible et la Terre inhabitable.


Penser ensemble
Les différentes disciplines scientifiques sont nées et se sont développées les unes à côté des autres avec peu de communication entre elles. C’est devenu un handicap pour comprendre le fonctionnement de la zone critique, essentielle à la vie humaine en particulier. Le défi central de la recherche scientifique aujourd’hui est d’arriver à les faire travailler toutes ensemble. Quelle est la profondeur de la zone habitable et qu’est-ce qui la détermine ? Quels sont les êtres vivants dans les roches ou les fractures sous nos pieds ? Quel est leur rôle ?  Quelle est la vitesse de terraformation, c’est-à-dire de la transformation des roches en zone habitable ? 

La Terre habitable-zone critique doit fonder le récit de l’histoire de l’humanité entière

Aux mythes des ethnies et des peuples et aux idéologies des nations, qui leur racontent leur histoire en les légitimant, maintenant que nous connaissons notre origine terrestre, il est temps de les remplacer par un récit scientifiquement fondé, qui devrait démarrer dès le commencement de l’école. Par des images d’abord, puis par des savoirs au fur et à mesure que l’enseignement progresse.

Dès la maternelle, l’école devrait démarrer par la visualisation de notre origine terrestre, par la visualisation de notre évolution terrestre, au lieu de tous les mythes ou idéologies qui obscurcissent le sens plutôt qu’ils ne l’éclairent. Cette visualisation première ouvrirait les élèves vers les disciplines scientifiques conçues comme un ensemble cohérent, et non comme des disciplines ésotériques sans lien avec leur perception immédiate. Cela faciliterait grandement leur approche des sciences, sans empêcher nullement les autres approches, littéraires, artistiques ou manuelles, par exemple.

En complément des besoins fondamentaux des élèves d’une part, et de la « désemprise scolaire » d’autre part, la « Terre habitable-zone critique » doit être au fondement de l’enseignement à l’école pour permettre aux enfants-élèves de se projeter sainement et sciemment dans leur vie future et dans le monde tel qu’il est avec ses forces et ses fragilités qui nécessitent sa préservation. Nous aurons ainsi un enseignement plus concret et plus rationnel fondé sur une approche scientifique vérifiée.  

Je recommande vivement le livre : « La terre habitable ou l’épopée de la zone critique » de Jérome Gaillardet - La découverte 2023

Jean-Pierre Bernajuzan

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