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J’avais appris que le nationalisme était la cause idéologique des deux guerres mondiales. Mais à la lecture du livre dirigé par Pierre Grosser, - l’HISTOIRE DES RELATIONS INTERNATIONALES de 1900 à nos jours - une autre problématique apparaît : la motivation primaire n’était pas le nationalisme, mais le désir de se partager le monde entre puissances diverses reposant effectivement sur des États-nations. Le nationalisme était bien là comme socle légitimant puisque c’était l’État national qui agissait, mais la cause de l’affrontement meurtrier était le désir de se partager le monde, c’est-à-dire de disposer de territoires et de populations à leur guise.
La motivation première était donc la colonisation pour affirmer leur puissance. Les désirs des populations concernées n’étaient pas prises en compte.
La première guerre mondiale a mis fin à trois empires : autro-hongrois, allemand, ottoman. En plus des empires coloniaux déjà constitués - Grande-Bretagne, France, Portugal, Russie, Espagne -, la deuxième guerre mondiale a vu refleurir les ambitions impériales de l’Italie, de l’Allemagne et du Japon.
La défaite de l’Italie, de l’Allemagne et du Japon a mis fin à des exactions de toutes sortes où le respect des personnes individuelles n’existait pas. Après les abominations des puissances de l’Axe, la victoire des Alliés a construit un nouvel ordre mondial fondé sur le respect des individus. Ce qui ne veut pas dire que tout était parfait de leur côté, mais ça les obligeait à travailler dans le sens des Droits de l’Homme, État de droit, Droit des peuples à disposer d’eux mêmes, qui sont devenus progressivement la base de ce nouvel ordre mondial. La colonisation a été abandonnée, non sans mal. Progressivement, l’égalité de droit des individus et des peuples est devenue la base des relations internationales, contrairement au régime de la colonisation.
À l’origine de cette évolution, l’Europe occidentale a dû renoncer à ses colonies, ce qui a supprimé le contentieux fondamental de la rivalité de puissance intra-européenne, et a permis la construction de l’Union Européenne qui aurait été impossible sans l’abandon de la colonisation. C’est surtout la relégation de puissance au second rang qui a permis et obligé les États européens de renoncer à leur rivalité et à s’associer au lieu de se combattre. Renonçant à leur rivalité, la construction pacifique européenne s’est donc réalisée sur la base du respect des droits de chacun, en interne et en externe. On n’adhère à l’Union européenne que si on le désire ; on peut même s’en séparer. L’Union Européenne devient un modèle de construction mondial, qui s’oppose à l’État-nation en le dépassant, et à l’empire en respectant la liberté de choix de chacun. Ceci est une construction des droits jamais encore entreprise dans l’histoire du monde.
Il y a moins de 10000 ans, l’avènement de l’État avait été un dépassement des formes archaïques des sociétés humaines, tribus, ethnies, clans, etc, jusqu’à l’État-nation qui a rassemblé ces différents groupes sous une même identité collective ; la construction de l’Union Européenne est un dépassement de l’État-nation par un rassemblement des États-nations qui le désirent ; l’Union Européenne allie le pouvoir de rassembler et la liberté de chacun, l’un sans l’autre ne fonctionnerait pas. La construction européenne est née de l’impasse dans laquelle se trouvaient les États européens dans leurs rivalités insolubles.
Tout cela ne va pas sans mal. La plus grande difficulté réside dans l’évolution de la souveraineté - nationale ou européenne. La délégation de souveraineté entre les États-nation et l’UE ne va pas de soi car le souvenir de la souveraineté nationale perdure. Peut-être que la nécessité de se défendre collectivement nous obligera à promouvoir la souveraineté européenne ?
La construction européenne est une invention historique, qui a une place prééminente dans l’évolution de l’ensemble des sociétés humaines, elle ouvre la possibilité d’une coexistence pacifique générale.
Pendant que l’Union Européenne se construisait, les autres régions du monde évoluaient selon leurs propres logiques. Dans ces logiques l’État-nation a gagné le premier rôle, mais les pays les plus puissants ont gardé un sentiment de domination et un désir de puissance ; ceux-là ont une vision des relations internationales où ils dominent et disposent des autres, avec colonisation ou pas. La plupart du temps, ces pays ne respectent pas la liberté de choix de leurs citoyens ni celle de ceux qu’ils veulent dominer.
Les États-Unis de Trump, la Russie de Poutine ou la Chine de Xi Jinping veulent utiliser leur force pour arriver à leurs fins plutôt que la coopération. Beaucoup d’autres moins puissants veulent aussi imposer leur volonté à leurs opposants. Beaucoup enfin, démocrates, finissent par penser qu’ils pourraient gouverner mieux en autocrates, en contraignant, ils pensent qu’ils seraient plus efficaces, où le point de vue du dirigeant prévaudrait sur celui de l’ensemble de la société. C’est un point de vue qui se répand, hélas.
Ainsi c’est le gouvernement par l’arbitraire qui s’impose de plus en plus, contre la majorité, contre le consensus, contre la science, contre le droit de l’égalité et la liberté.
L’arbitraire de gouvernement a toujours existé, même en démocratie, mais il semble vouloir à nouveau imposer son nouvel ordre au monde. Cet arbitraire est un mouvement réactionnaire qui veut revenir en arrière, comme si les sociétés n’évoluaient pas, comme si le passé représentait l’avenir.
Jean-Pierre Bernajuzan