
On parle beaucoup de la responsabilité des parents dans le comportement des enfants, qu’on le dise bon ou mauvais, que ces enfants s’intègrent bien ou non. Le plus souvent on parle de l’autorité des parents, qui serait en baisse paraît-il, de l’exercice de l’autorité qui serait de plus en plus difficile à pratiquer...
Il y aurait beaucoup à dire sur l’autorité que l’on confond souvent avec la contrainte, alors que l’autorité s’exerce sans contrainte. Non, l’autorité repose sur la légitimité que l’on reconnaît à celui qui exerce cette autorité : si on ne lui reconnaît pas cette légitimité il n’a pas d’autorité.
Comment les enfants accordent-ils de la valeur à la parole de leurs parents ?
Le sujet de cette chronique est autre, il s’agit d’un aspect de la relation éducative à laquelle on ne pense pas d’habitude.
Les parents essaient d’éduquer leurs enfants convenablement, ils le font "spontanément". Or, leur attitude spontanée n’est pas forcément adéquate, pas toujours, mais c’est pourtant celle qu’ils adoptent... avec des résultats contrastés.
Cette attitude spontanée est en fait acquise par l’expérience vécue et socialement légitimée, il s’agit donc d’une expérience à la fois individuelle et collective, la légitimation étant collective. Mais encore une fois cette attitude spontanée n’est pas forcément adéquate, les sciences sociales cherchent à établir les bonnes conditions de l’éducation, les bonnes pratiques éducatives, et les parents devraient essayer, essaient, de les acquérir, tant ils sont soucieux de l’avenir de leurs enfants.
Pourtant, ce n’est pas cette production scientifique qui convainc d’abord, elle influence la société en commençant par les plus cultivés, et puis elle s’étend progressivement à toute la société. Plus que cette production scientifique ce sont les ruptures socio-culturelles, telle celle de Mai 68, qui accélèrent les changements.
La spontanéité des parents dans leur relation éducative est indispensable pour leur crédibilité aux yeux de leurs enfants ; si leur éducation n’était pas spontanée, s’ils avaient l’air de toujours se référer à un manuel pour décider de leur conduite à tenir, leurs enfants s’en rendraient compte et ne pourraient plus croire à l’authenticité des décisions de leurs parents puisqu’ils copieraient un modèle.
- On pense généralement que l’enfant reçoit son éducation de la part de ses parents-éducateurs, or pour l’essentiel cette éducation est acquise, c’est lui, l’enfant, qui acquiert cette éducation ; dans la relation éducative l’enfant n’est pas passif, il est actif, il ne reçoit pas, il prend.
Le cœur de la relation éducative est la relation d’identification de l’enfant à ses parents et plus encore la relation d’identification sexuée, - l’enfant s’identifie au parent du même sexe que lui, la fille s’identifie à sa mère qui est une fille comme elle, le garçon s’identifie à son père qui est un garçon comme lui (ou d’un autre adulte de substitution) - et cette relation d’identification sexuée est une relation d’initiation, c’est la démarche propre de l’enfant pour se constituer lui-même en s’appuyant sur le modèle du parent auquel il s’identifie. On n’a pas à le convaincre, il se convainc lui-même ; c’est la part la plus solide et la plus durable de la construction de la personnalité car l’enfant la constitue de sa propre initiative, il ne l’a pas reçue, il l’a prise. C’est de sa part une démarche d’auto-construction, de maîtrise de sa vie.
Mais pour ce faire, il faut qu’il puisse croire à la valeur de son modèle, cette valeur, c’est l’authenticité de son parent, et cette authenticité s’exprime par sa spontanéité qui est le signe de sa personnalité intrinsèque.
Comme l’attitude éducative spontanée n’est pas forcément adéquate, c’est par le débat collectif sur le vivre-ensemble général que chacun peut assimiler ces valeurs pour les transmettre à leurs enfants, spontanément.
Autrement dit, la bonne spontanéité doit être apprise, elle s’acquiert par l’assimilation profonde des critères collectifs «adéquats», pour pouvoir ensuite les restituer sans réfléchir. Au fond c’est cela la spontanéité : c’est une assimilation si profonde et parfaite qu’elle nous constitue, et qu’elle ressort immédiatement sans réflexion dès qu’elle est sollicitée. C’est en cela que l’enfant perçoit l’authenticité de ses parents et qu’il peut les prendre pour modèle pour se construire lui-même.
Jean-Pierre Bernajuzan