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LA DYNAMIQUE DÉMOCRATIQUE
Il ne faut pas se tromper, dans l’évolution générale du monde, l’Occident n’est pas un extraterrestre ni extra-humain, il est seulement le pionnier d’un nouvel équilibre dynamique des sociétés et donc du monde.
L'Occident n'est pas un modèle, il est un pionnier
J’ai longtemps confondu le grégaire et le collectif
J’ai longtemps assimilé le collectif au grégaire, comme si, seul, le nombre était déterminant : l’ « un » individuel contre le « tous » grégaire ou collectif. Or, l’individu ne pouvant vivre ni exister que dans une société et dans son rapport aux autres, l’un ne peut s’opposer au tous, il s’y intègre forcément. Et c’est cette intégration, c’est à dire la socialisation, qui constitue l’élément déterminant de l’évolution, à la fois des sociétés et du statut des individus au sein de ces sociétés.
L’originel archaïque est grégaire car, à l’origine, l’individu est totalement dépendant du groupe pour sa survie, c’est donc le groupe qui prévaut, le sort des individus dépendant de ce que le groupe a besoin pour survivre lui-même. À l’origine donc, l’individu n’a pas de légitimité propre, il n’est qu’un élément de la vie d’un groupe qui, lui, est déterminant. La logique dynamique de leur évolution a conduit les sociétés à développer leurs individus pour se développer elles-mêmes.
Dès le début du Moyen-Âge, sous la houlette de l’Église catholique, les sociétés occidentales se sont individualisées par l’émancipation des individus à l’égard de leurs familles, de leurs groupes familiaux. Progressivement, les individus sont devenus légitimes en-soi, hors appartenance par le statut du salariat, jusqu’à devenir dominants au XVIIIe siècle et produire la société moderne contemporaine démocratique « d’individus et de semblables » et des droits de l’homme. En Occident, nous sommes donc passés d’une socialisation grégaire à une socialisation individualiste où la liberté des individus dans leur égalité prime sur toute hiérarchie sociale puis politique, en droit.
- Ainsi donc, en Occident, l’évolution « sociale-sociologique » a précédé l’évolution « politique-démocratique ».
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Évolution démocratique
Particulièrement depuis le printemps arabe, on oppose régulièrement les valeurs démocratiques occidentales, à celles des pays arabes, musulmans, ou dictatoriaux, tribaux, ou arriérés... On assiste au même préjugé à l'égard de la Russie, ou de la Chine ; ce préjugé s'estompant à l'égard des sociétés christianisées... Opposant ces valeurs comme si elles étaient absolues, au lieu de les voir comme des moments dans le processus de l'évolution des sociétés, comme si l'Occident avait été de toujours démocrate, comme si la démocratie n'était pas une construction socio-politique historique sur des bases précises, qui n'ont pas toujours existé mais qui sont advenues, produites par l'évolution justement.
Les caractéristiques de ces pays « non-démocratiques » qui suscitent chez nous des réactions de crainte, de méfiance, de doute, d'interrogation... sont celles qui nous semblent ne pas être les nôtres : l'absence des droits de l'homme, de l'humanisme, de l'émancipation de la femme, d'une justice indépendante qui respecte tous ces droits, en plus bien-sûr de l'élection réelle, honnête, du personnel politique par le peuple au suffrage universel et que ce personnel politique respecte cette décision sans chercher à accaparer le pouvoir.
Pourtant, l'Occident lui-même n'est pas sorti du néant tout constitué tel qu'on le défend aujourd'hui : il nous semble défendable contre les aspects non-démocratiques des sociétés qui le deviennent, tout en lui reprochant ses excès individualistes ou autres excès sans lesquels on se rapprocherait de ces sociétés-là.
Les valeurs occidentales contemporaines se sont élaborées progressivement contre des valeurs plus archaïques qu'elles ont progressivement subverties. Cette évolution subversive continue car il ne pourrait y avoir d'évolution sans subversion.
L'histoire de l'Occident est pleine de ces subversions et de la résistance à cette subversion : chaque fois qu'une subversion s'installe elle devient conservatrice, jusqu’à ce qu’une nouvelle subversion vienne la renverser...
Les valeurs archaïques occidentales qui ont été subverties pour faire de l'Occident ce qu'il est devenu sont assez semblables à celles des pays non-encore démocratiques, elles semblent être un fond commun de l'humanité, à partir duquel toutes les diverses sociétés évoluent à leur rythme et selon leur histoire propre.
Mais il semble bien que ces évolutions diverses se dirigent toutes dans le même sens, vers la même finalité… ce qui en fait une universalité.
Les diverses sociétés humaines ont le choix du moment et des moyens de leur évolution, mais elles n'ont pas, semble-t-il, celui de l'universalité, elles se retrouvent donc toutes à moment donné sur le même chemin, mais pas au même stade au même moment.
- La valeur fondamentale sur laquelle se fondent toutes les sociétés à toutes les époques, est la légitimité
Toute société a besoin de s'appuyer sur une légitimité pour valider ses valeurs, pour les faire admettre en son sein pour les faire respecter et pour que les membres de cette société désirent les défendre...
L'évolution se fait par celle de la légitimité, et de la subversion de cette légitimité par une nouvelle. Aussi retrouve-t-on partout à toutes les époques des défenseurs de ces deux légitimités concurrentes : l’ancienne qui défend l’ordre ancien, et la nouvelle qui se projette vers l’avenir d’un ordre nouveau.
Le processus général de l’évolution des sociétés humaines porte une attention croissante sur l’intérêt et la défense de leurs individus, d’abord comme membres et représentants du groupe, puis des différents groupes. Progressivement, d’abord d’appartenance au groupe, la valeur des individus devient de plus en plus autonome, intrinsèque, et cette valeur individuelle devient la base de la société démocratique.
- L’Occident, le premier, a initié l’émancipation des individus à l’égard de leurs groupes familiaux, inventant ainsi la liberté, c’est à dire la liberté des individus à l’égard de leurs groupes familiaux, et la légitimant.
Ainsi progressivement, la légitimité de la liberté des individus est devenue la valeur suprême occidentale, qui se développe en se radicalisant.
Cette nouvelle légitimité profite aux individus qui n’y avaient pas accès auparavant, c’est à dire les plus faibles : classes dominées, femmes, enfants...
La légitimité individuelle est devenue la base structurelle de la société démocratique : on ne plus élever les enfants que cette base-là. Élever les enfants sur la base de leur légitimité est inédit, il faut inventer une nouvelle façon de le faire.
Toute société, dans le processus de son évolution, est confrontée à la nécessité de subvertir sa légitimité ancienne par une nouvelle qui lui permette de s’adapter au monde qui vient. Mais une difficulté supplémentaire s’ajoute quand cette légitimité nouvelle est étrangère, comme c’est le cas pour les pays accédant actuellement à la démocratie. Subvertir sa propre légitimité ancienne, par une nouvelle légitimité d’origine étrangère est forcément difficile. Les pays arabes ont une difficulté particulière à accepter la modernité occidentale car ils ont dominé autrefois l’Occident, la modernité occidentale exprimant une supériorité contemporaine d’un inférieur antérieur : imaginons que des anciens esclaves fassent la leçon à leurs anciens maîtres… !!
Étant pionnier, l’Occident a toujours le sentiment que les autres civilisations sont barbares, alors que lui-même a la même origine, barbare. La question déterminante n’est pas l’origine, mais l’évolution.
Jean-Pierre Bernajuzan
à suivre...