Des historiens prêtent à un calife abbasside (peut-être Haroun-al-Rachid?) l’action suivante : ayant réprimé une révolte, il aurait fait recouvrir les nombreux blessés du camp adverse par plusieurs immenses et précieux tapis, et aurait célébré sa victoire avec ses généraux, des femmes et des esclaves, sur les tapis : repas, beuveries, orgies, avec ce plaisir spécial d’entendre parfois l’os d’un homme craquer ou les cris étouffés des agonies.
N’est-ce pas le tableau monstrueux qu’offre aujourd’hui notre humanité ?
Nous fêtons « Le Sport », qui n’est ici qu’un masque du Pouvoir et de l’Argent. Quel rapport avec le plaisir de gamins et de gamines (ou d’anciens gamins et gamines) à jouer avec un ballon, une boule de pétanque, nager, plonger, sauter où disputer une course ?
Il s’agit ici de consacrer des vies entières, depuis l’enfance, à produire des prodiges par toutes sortes de sélections et de moyens extravagants (l’histoire du Sport –avec majuscule est l’histoire des drogues dopantes), comme, dans la Chine ancienne, on faisait grandir des enfants dans des vases pour que leur ossature (le temps de leur brève existence) adopte des formes curieuses.
Je ne veux pas ici commenter la cérémonie d’ouverture des jeux macronio-parisiens. Pour certains « Ce fut comme un élégant pied de nez, joyeux et moqueur, aux hiérarchies de classe et de statut, de pouvoir et de prétention.», pour d’autres un sommet obscène de laideur et de mauvais goût. Mais les disputes, les analyses et les interprétations de ces monstruosités de foire participent, au fond, à l’indécence de l’évènement. Et ce n’est pas d’esthétique, de morale ou de politique que je parle mais de cette chose étrange dont la signification appartient maintenant au passé : l’humanité.
Car sous les tapis de l’exubérance médiatique, moqueuse et joyeuse, quelques-uns perçoivent encore les hurlements de souffrance et de désespoir des enfants palestiniens assassinés par milliers, torturés par centaines, mutilés par dizaines de milliers, et leurs mères, et leurs sœurs, et leurs frères, leurs pères, leurs anciens.
On en a ici un témoignage par deux héroïques chirurgiens :
Je lis encore que nos maîtres reçoivent d’autres souverains, leur servent « du homard bleu » (je ne sais pas ce que c’est) du « Domaine de Romanée-Conti » (je n’en ai jamais bu et sur Internet je vois qu’une bouteille vaut environ 20 000€, plus 25€ de frais de port) et dépensent des centaines de milliers d’euros pour un plaisir furtif (ça ne vaut sûrement pas une bonne soupe garbure) qui, le lendemain (dans le meilleur des cas) sera devenu de la pisse et de la merde.
Sous les tapis filtrent quelques images de cadavres décharnés des enfants palestiniens morts de soif et de faim après une longue torture causée par une famine voulue dans le but cent fois avoué, justifié, vanté, d'exterminer les corps et les esprits, les mosquées, les écoles, les bibliothèques.
Il y a cette nation génocidaire fêtée partout en Occident par ses complices joyeux et moqueurs, et un peuple martyr que le reste du monde tente d’oublier, volontairement fasciné par les jeux du cirque.
Jeux du cirque ? Oui, certes, les pires atrocités ne se déroulent pas dans l’arène.
Mais sous les tapis.