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Billet de blog 2 mai 2017

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MACRON ira-t-il au bout de son mandat ?

Marine Le Pen sera battue dimanche prochain. Certains fondent de grands espoirs sur son score, s'il est bas. On parle "d'éclater le FN". Ce sont des momeries. Qu'il obtienne 40%, 30%, 20% ou moins, le FN repartira de l'avant, plus dangereux que jamais. Réellement dangereux cette fois.

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Au sortir de la première guerre mondiale, dans laquelle elle a hésité entre les différents camps et la neutralité, l'Italie est aux prises avec toutes sortes de difficultés, sa fragile unité nationale, ses échecs coloniaux, son problème paysan, une économie dynamique mais chaotique, quatre cent mille chômeurs, un prolétariat peu organisé, une classe politique incapable. Mussolini, longtemps hésitant quant à son projet social, comme à sa conception du régime (république ou royauté) mais hostile au bolchévisme, prend en 1922 franchement un tournant favorable au capital et au roi, hostile aux grèves et aux syndicats. Ses tentatives électorales obtiennent des résultats piteux. Il organise le mouvement fasciste dans tout le pays sous la forme de groupes activistes para militaires. Fin octobre 1922, le Duce envisage une "Marche sur Rome". De manière concomitante, le gouvernement Facta tombe. Le roi refuse de signer le décret proclamant l'état d'urgence. Le 29 Octobre 1922 un télégramme du roi invite Mussolini à former le gouvernement.

Le venue au pouvoir de Hitler eut lieu dans un contexte bien différent, mais il y a des ressemblances frappantes. Comme Mussolini, Hitler renforce son mouvement grace à un double jeu ou l'hameçon "social" doit pêcher la partie la plus déshéritée et la moins conscience du peuple. Plus largement, Hitler se sert de l'exhaltation de la patrie, mais aussi de la "race" et développe un fanatisme antisémite à peu près absent en Italie. Comme les fascistes, plusieurs années avant leur venue au pouvoir, les nazis forment des milices, des armées privées qui entretiennent la terreur dans les rues des villes. Comme Mussolini, Hitler échoue à conquérir le pouvoir par les urnes. En 1932, il est battu (Hindenburg: 53%, Hitler : 36,8%, Thaelmann : 10,2%) à l'élection présidentielle. Il double le nombre de ses députés mais reste loin de la majorité au parlement. Toutefois, à la faveur de l'instabilité politique incontrôlable, Hindenburg nomme Hitler Chancellier du Reich quelques mois plus tard, fin janvier 1933. 

Ainsi, dans ces deux cas, le fascisme est parvenu au pouvoir après un échec électoral, à la faveur d'une profonde crise politique, que la démocratie ne parvient pas à dépasser. 

Si nous considérons la situation française, il n'est pas absurde d'envisager que la victoire d'Emmanuel Macron prélude à une grande instabilité sociale et politique. La coalition qui l'amène au pouvoir n'est cimentée que par les ambitions : vieilles figures de droite ou de gauche/droite affamés de postes, "géniaux conseillers", retraités en mal de sinécures... Son programme, pour ce qu'on en sait, est réactionnaire, fumeux, brouillon, essentiellement basé sur le suivisme des dirigeants de l'UE qui, eux-même, sont à vau l'eau. Macron veut rénover le pays en appliquant les recettes qui, depuis cinquante ans, produisent le chomage et la misère, ruinent et désorganisent toute l'économie. Il va sans doute pratiquer une fuite en avant mêlée d'aventures militaires. Le contexte international lui-même, tant sur le plan politique qu'économique, promet de violentes secousses.

D'un autre côté, la résistance populaire est probable. Le mouvement contre la loi travail l'a montré : les travailleurs ne sont pas à genoux. L'instabilité politique et la faillite économique lui donneront des ailes. Cette résistance pourra faire éclater les coalitions gouvernementales.

Que manque-t-il à cette vision pour que la venue de Marine Le Pen au poste de premier ministre d'Emmanuel Macron devienne une réalité ?

Au moins deux conditions. L'une, c'est la faveur d'au moins une partie de l'oligarchie économico-médiatico-financière, qui pour le moment joue à fond la carte Macron. Si Macron échoue, et il va échouer, cette condition sera remplie (au prix, peut-être, de l'éviction de quelques têtes "sociales" du FN, comme Florian Philippot). Le FN va envisager comme impossible sa venue au pouvoir par les voies électorales. Il va renoncer à la séduction "sociale" et se tourner plus franchement vers le grand patronat. 

L'autre est plus intéressante : c'est la force physique, dans la rue, des fascistes, c'est à dire la constitution de milices illégales ou semi-légales qui viendront concrêtement briser les grèves et les mouvements progressistes. Car il faut, pour que le Capital confie aux fascistes le soin de remettre "la France en ordre", que ces derniers prouvent leur capacité et qu'on sorte de la métaphore. 

C'est précisément sur ce point que les socialistes italiens et les communistes allemands ont failli. 

Les socialistes et les anarchistes italiens étaient bien trop divisés, hésitants (en particulier vis à vis du "bolchevisme") pour comprendre la menace et s'y opposer. Les communistes allemands, gouvernés par le Komintern et donc par Staline ont foncé dans le mur en refusant de proposer aux autres tendances ouvrières au moins une unité défensive.

Il faut comprendre pourquoi le Capital hésite à donner la main aux fascistes : c'est qu'il s'agit d'un quitte ou double. Le même mouvement qui peut assurer le succès du fascisme peut assurer celui de la révolution. Que les classes populaires sachent s'unir en défense et elles peuvent, sans même le décider, par un mouvement naturel, passer à l'offensive et établir leur gouvernement.

Autrement dit : Mélenchon n'a pas tort de dire : "Je suis prêt à gouverner". Mais je ne suis pas certain qu'il se représente vraiment dans quelles circonstances cela peut être d'actualité.

Pour ce qui concerne le nouveau mouvement progressiste qui est né avec le succès, mais aussi l'échec (ou l'échec, mêlé de succès), de la FI, je considère comme peu probable une grande réussite aux législatives. Nous avons su faire une campagne présidentielle indépendante, innovante, nourrie d'immenses talents, mais il nous reste à apprendre d'autres domaines de la politique, plus terre-à-terre : discuter avec les partenaires, passer des compromis, faire des arrangements, gagner des positions. Et en même temps, opérer un travail éducatif de fond, dans la durée, à différents niveaux. Rester particulièrement vigilants quand à la défense des travailleurs et de leurs organisations, vis à vis des menaces fascistes.

Ce sera, dans les années qui viennent, révolution ou fascisme, et en aucun cas un long fleuve tranquille.

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